Al-Qaida se tourne vers le Sahel pour trouver de nouvelles sources de financement

Le fait qu’al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) se tourne vers de nouvelles sources de financement, notamment les rapts d’étrangers, l’extorsion des contrebandiers et le trafic de drogue, suscite des inquiétudes de plus en plus vives parmi les agences de sécurité du Grand Maghreb.

 

Spécialistes et responsables de plusieurs pays s’inquiètent de voir les opérations d’AQMI apporter une source de revenu essentielle pour les attentats d’al-Qaida dans le reste du monde.

« Les enlèvements qui ont visé des Occidentaux au Sahel africain ont rapporté aux terroristes plus de 150 millions d’euros au cours des cinq dernières années », a expliqué Kamel Rezzag Bara, conseiller auprès du Président algérien. Il a souligné que la veille sécuritaire avait montré qu’après avoir identifié leur victime, les terroristes perpétuent leurs enlèvement dans la plupart des cas par le biais de bandits de grand-chemin et de trafiquants locaux en échange d’argent.

Il a rappelé que les mesures prises à ce jour pour lutter contre le financement du terrorisme mondial « ont contraint les groupes terroristes, au premier rang desquels al-Qaida, à recourir à d’autres moyens, en particulier la contrebande, le trafic de drogue et d’armes, et les enlèvements pour des rançons ».

« C’est ce qui se produit dans la région du Sahel africain, où ce modus operandi est devenu un moyen de financement très rentable pour les groupes terroristes qui opèrent sous la nébuleuse al-Qaida », a-t-il ajouté.

Le ministre algérien pour le Maghreb et les Affaires arabes Abdelkader Messahel a révélé que 95 pour cent du financement terroriste proviennent du paiement de rançons à ces groupes. Il a également estimé que la quantité de drogue traversant la région chaque année représente environ 50 tonnes.

Les experts algériens soulèvent également la question des partenariats entre AQMI et les trafiquants de drogue, dans le cadre desquels les terroristes offrent leur protection aux gangs qui font transiter la drogue dans le désert.

Abdelmalek Sayeh, le directeur de l’Office national algérien pour la lutte contre la drogue et la toxicomanie, a expliqué que 240 tonnes de cocaïne avaient ainsi transité par l’Algérie en 2008.

Selon lui, le trafic de cocaïne provenant du Brésil, du Pérou et de Colombie vise à supporter le noyau de l’organisation al-Qaida dans la région. Il a également souligné que « la communication entre les trafiquants de drogue et les terroristes a atteint la région du Sahel », ajoutant que 52 tonnes sur un total de 75 tonnes saisies dans le pays en 2009 l’avaient été au Sahel.

Les enlèvements en Algérie fournissent des revenus à AQMI

La hantise des enlèvements terroristes a commencé en 2003, lorsque le leader terroriste algérien Abderrezak « El Para » avait enlevé plus de trente touristes européens dans le désert algérien. L’Allemagne avait finalement accepté de payer une rançon de 5 millions d’euros.

Depuis lors, les enlèvements sont devenus un véritable commerce.

Les enlèvements de touristes occidentaux sont devenus une source de financement massive pour al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Dans le nord du pays, spécialement en Kabylie, milliardaires et chefs d’entreprises sont la cible de prédilection des terroristes, dans l’espoir d’obtenir des rançons très élevées.

Une grande partie de ces « revenus » est utilisée pour acheter des armes, qui sont faciles à trouver en Afrique de l’Ouest.

Le directeur général par intérim du Centre africain d’études et de recherche sur le terrorisme (CAERT), Lies Boukraa, a expliqué que les criminels avaient gagné 100 millions d’euros par le truchement des rançons et du trafic de drogue, donnant aux terroristes un budget dépassant celui de certains pays de la région. Il affirme cependant que « AQIM est militairement très prenable ».

Il a tenu à à relativiser l’importance de la menace que représente AQMI, mais sans pourtant autant la négliger. Au contraire, il a appelé à l’anéantissement de cette organisation terroriste.

« La menace AQMI est exagérée et amplifiée. Qu’il s’agisse d’AQMI ou autre, il faut être prudent et essayer de déceler ce qui relève de l’intox et de la réalité », a-t-il expliqué.

Le directeur du CAERT estime qu’il est primordial que les pays du Sahel luttent contre les facteurs de vulnérabilité du Sahel, comme la mauvaise gouvernance, la corruption et la pauvreté.

« Chaque pays du Sahel, cette région de l’Afrique qui s’étend d’est en ouest, de l’océan Atlantique à la Mer Rouge, et du nord au sud, du nord du Nigeria et du Sénégal au sud de l’Algérie, et dont les habitants ne semblent pas se préoccuper des frontières des Etats, doit s’engager dans la lutte contre le terrorisme et réaliser que toute tentative de s’y lancer seul rendra inévitable une interférence étrangère », a ajouté Boukraa.

Bien que le gouvernement algérien partage l’avis selon lequel l’activité d’al-Qaida au Sahel doit être éradiquée, il insiste sur le fait que les pays occidentaux doivent refuser de verser les rançons demandées par les terroristes. L’Algérie a réussi à persuader le Conseil de sécurité des Nations unies d’adopter une résolution interdisant cette pratique. L’Algérie soutient également que la lutte antiterroriste au Sahel étant avant tout l’affaire des pays de la région, il ne devrait y avoir aucune intervention étrangère.

L’Algérie est connue pour son opposition féroce à toute forme d’ingérence étrangère. Ahmed Adimi, un spécialiste de la sécurité, estime que l’Occident n’a un intérêt pour le Sahel qu’au vu de ses ressources naturelles et d’autres préoccupations économiques.

Il pense que les plus gros problèmes que connaissent les pays de la région, en particulier l’Algérie, tiennent à la taille-même du Sahel, qui couvre une superficie d’environ 5 millions de kilomètres carrés, et à la pauvreté dans ces pays.

La menace d’al-Qaida nécessite une coopération régionale

Les pays de la région se sont officiellement engagés à coordonner leurs efforts pour contrer la menace d’al-Qaida dans la région. L’Algérie, la Mauritanie, le Niger et le Mali ont déjà mis en place un commandement militaire conjoint à Tamanrasset, dans le sud de l’Algérie, et un centre de renseignement conjoint à Alger.

Parlant à Magharebia, l’ancien ministre malien de la Défense Soumeylou Boubèye Maiga a déclaré qu’il est « important de ne pas confondre AQMI et al-Qaida ». Il a également expliqué que « AQMI fait exactement ce qu’il veut, même s’il est effectivement affilié à al-Qaida, et que depuis 2006, l’organisation a récolté plus de 50 millions de dollars par le biais de diverses activités comme les enlèvements et toutes sortes de trafics. »

Ahmed Baba Deida, journaliste et ancien conseiller auprès du directeur général de l’UNESCO, a expliqué que la question de savoir si les activités d’AQIM pouvaient palier le manque de financement mondial d’al-Qaida reste sans réponse.

Il a ajouté qu’à moins qu’une action militaire significative ne soit lancée, « le danger de l’instabilité reste le même pour la sous-région ».

« Même si les pays du Sahel, par une action militaire limitée, réussissent à réduire le nombre d’enlèvements et, partant, les revenus d’AQMI, ils ne font que retarder l’embrasement de la sous-région. La menace persiste et, telle une épée de Damoclès, elle restera suspendue au-dessus de la tête des peuples de cette sous-région », a-t-il ajouté.

Selon un spécialiste marocain, AQMI contribue au financement mondial d’al-Qaida

Mohammed Benhammou, expert en matière de sécurité et de terrorisme, a expliqué à Magharebia qu’AQMI participe à la nébuleuse mondiale d’al-Qaida. Il a souligné qu’AQMI constitue pour al-Qaida une nouvelle opportunité, dans la mesure où ce réseau régional dispose de plusieurs sources de financement, notamment le trafic de drogue, le trafic d’armes, l’immigration clandestine et les enlèvements.

« Je pense qu’il faut être réaliste en ne versant pas dans l’excès d’optimisme, mais en même temps en ne tombant pas dans la vision apocalyptique. Il faut se dire qu’aujourd’hui, al-Qaida représente une menace réelle à la sécurité de la région. »

Benhammou souhaite voir se développer une coopération étroite sur tous les fronts liés à la guerre contre le terrorisme, en commençant par la lutte contre les idées extrémistes et le développement social et économique.

Concernant la pérennité des financements des cellules terroristes, cet expert souligne que la région est face à un ennemi invisible qui a une grande capacité d’adaptation face à une situation changeante.

« Nous sommes dans une nouvelle phase. On est passé de groupes terroristes qui comptent un nombre important d’activistes à des cellules composées d’un nombre réduit, voire à une forme de terrorisme individuel », a-t-il expliqué.

« A ce jour, nous n’avons pas encore de stratégie claire et forte en la matière. Il faut accepter que le besoin est ressenti en ce qui concerne le soutien de la communauté internationale pour l’élaboration d’une stratégie visant à atteindre les objectifs escomptés ou au moins minimiser le risque du phénomène », a-t-il poursuivi.

Le politologue Mohamed Darif a expliqué que dans la mesure où AQMI existait auparavant avec ses propres structures, il ne reçoit pas ses instructions directement d’al-Qaida. Il s’agit plutôt selon lui d’une relation de loyauté générale et d’adoption d’une idéologie salafiste. Il a expliqué que ces liens couvrent le recrutement et la formation des combattannts, et leur envoi dans les zones de conflit, comme l’Irak, l’Afghanistan et la Somalie.

« Al-Qaida au Maghreb islamique facilite la mission d’al-Qaida-mère vu que la première obtient des ressources financières des trafics en tous genres, dont l’enlèvement des ressortissants algériens ; une question qui n’est pas médiatisée. Une partie des financements provient des immigrés en Europe (Zakat), qui ne considèrent pas al-Qaida comme une cellule terroriste », a-t-il expliqué.

Le gouvernement marocain a appelé à une mobilisation internationale pour faire face aux terroristes dans la région qui recherchent de l’argent pour financer leurs opérations. Les terroristes utilisent leurs connaissances des voies sahariennes et leur armement pour protéger les trafiquants de drogue dans leurs déplacements dans la région du Sahel-Sahara.

Un ancien membre d’AQMI explique que les terroristes comptent sur les rançons et le trafic de drogue

Un ancien membre d’al-Qaida qui se fait appeler Noureddine a confirmé à Magharebia à Nouakchott que le Maghreb est un terreau très fertile pour l’organisation terroriste mondiale.

« Il semble qu’al-Qaida au Maghreb islamique dépende de ressources économiques qui ne sont pas affectées par les crises financières qui secouent le monde depuis un certain temps maintenant », a-t-il expliqué.

« Ces ressources dont dépend al-Qaida proviennent essentiellement des rançons et des taxes fournies par les trafiquants de drogue, en échange de leur protection, en plus des extras, comme la capture de soldats ennemis dans la région. »

« Al-Qaida s’appuie essentiellement sur la région du Maghreb pour recruter de jeunes éléments vigoureux, enthousiastes à l’idée d’aller connaître toutes sortes d’aventures. Et la tâche est grandement facilitée par le chômage très répandu, la pauvreté et la frustration au sein de la jeunesse de la région, ce qui en fait des proies faciles pour les griffes d’al-Qaida », a expliqué cet ancien terroriste.

Mohamed Ould Khattat et Mohamed Wedoud à Nouakchott, Siham Ali à Rabat, et Walid Ramzi et Nazim Fethi à Alger

Source  :  Magharebia le 10/11/2010

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page