Mohamed Lemine Ould Dadde, l’ancien commissaire aux droits de l’Homme a-t-il réellement fait œuvre de prévarication ? Est-il victime d’un règlement de comptes ? A-t-il payé pour d’autres ? Le Calame a plongé au fond du dossier pour permettre à ses lecteurs d’avoir une meilleure idée sur cette affaire qui n’a pas fini de faire des vagues.
Il nous a paru nécessaire d’en publier quelques extraits. Hors de toute prétention d’intervenir dans le processus d’instruction judiciaire et de prendre position sur les faits, c’est, en ces temps de doute concernant l’indépendance de la justice, dans notre pays, un des rôles de la presse indépendante que de présenter les arguments d’une défense pas toujours respectée…
Pour rappel, Ould Dadde avait reçu une mise en demeure de l’Inspection Générale d’Etat (IGE) en date du 25 août 2010, de rembourser la somme de 271.965.016 UM, au Trésor public, dans un délai de quinze jours.
La mise en demeure précise que la somme incriminée découle du rapport final de la mission de contrôle de l’IGE auprès du Commissariat au Droits de l’Homme, à l’Action Humanitaire, aux Relations avec la Société Civile, exercice 2008-2009 et premier trimestre 2010, montant décomposé comme suit :
• Surfacturation consécutive à l’absence de concurrence, à l’usage de faux et aux pratiques collusoires (224.064.260 UM)
• Dépenses fictives (40.780.122)
• Dépenses privées indûment prises en charge : 5.929.634 UM
• Avantages indus sans bases règlementaires : 1.191.000 UM.
A l’expiration du délai, le commissaire fut arrêté, soumis à interrogatoire et à privation de tout contact avec sa défense et, même, avec sa famille. Ce n’est qu’après une première prorogation de la garde à vue qu’il est déféré devant le procureur de la République. Assisté par sa défense, il soulève, alors, l’incompétence des juridictions ordinaires de connaître de son cas, parce qu’il a rang et prérogatives de ministre, et donc justiciable de la Haute Cour de Justice. Le procureur rejette, d’un revers de main, l’exception d’incompétence soulevée, en soutenant qu’il exécute des ordres, écrits, du ministre, pour inculper Mohamed Lemine Ould Dadde de détournement de deniers publics, avec demande d’informations et mandat de dépôt; lequel mandat est, aussitôt, délivré par le juge d’instruction, en dépit, encore, de l’incompétence soulevée devant lui, de connaître le dossier.
De fait, le décret 247/2008, du 24 décembre 2008, dispose, en son article 4 : «le commissariat aux droits de l’Homme, à l’action humanitaire et aux relations avec la société civile est dirigé par un commissaire, nommé par décret, qui a rang et prérogatives de ministre» et c’est en application des dispositions des articles 92 et 93 de la Constitution, portant définition de la compétence de la Haute Cour de Justice, lorsqu’il s’agit du président de la République, du Premier ministre ou des ministres, et conformément aux dispositions de la loi organique 021/08 du 15 juin 2008, définissant sa composition, ses règles de fonctionnement et la procédure applicable, mais, aussi, des articles 1 et 7 de la loi portant organisation judiciaire, que la défense a demandé, au juge, de se déclarer incompétent et d’annuler le mandat de dépôt qu’il avait délivré, le jour de sa saisine par le procureur de la République.
Le seul élément de réponse fourni, à ce jour, en dépit de l’insistance de la défense, a été une déclaration, au micro de l’AFP, du procureur qui a, tout simplement, soutenu que, ne siégeant pas au Conseil des ministres, le commissaire ne peut se prévaloir de la qualité de ministre. Pour la défense, cet argument d’opinion ne peut, évidemment pas, faire opposition au caractère organique de la définition, particulièrement précise et dépourvue de toute ambiguïté, de la fonction du commissaire aux droits de l’Homme, telle que définie par le décret 247/2008. Ceci rappelé, la défense ne comprend pas la lenteur dans le traitement de l’exception d’incompétence, soulevée depuis le 28 septembre 2010, devant le juge. Mais elle demeure confiante, quant à la suite qui sera donnée par celui-ci, personnalité indépendante et souveraine.
Sur le fond des accusations, l’IGE parle, tout d’abord, de surfacturation, de collusions, de faux et d’usage de faux, en ne s’intéressant qu’à une seule personne. Or, en matière de surfacturation, la première personne à répondre et à s’expliquer sur une telle question ne peut être, et en premier lieu, que celle qui a établi la facture. Mais ceux qui les ont établies n’ont jamais été interrogés ou recherchés. Pour soutenir l’existence de surfacturations et les imputer à Ould Dadde, il va, donc, falloir prouver qu’il a, lui-même, établi les factures et encaissé les fonds. Or, aucun indice de quelque nature qu’elle soit n’a été et ne peut être, bien évidemment, administré que le commissaire ait eu une relation quelconque avec l’établissement des factures et/ou l’encaissement des fonds ou s’est enrichi, à titre personnel et à quelque niveau que ce soit. En outre, il y a lieu d’ajouter que l’inspection ne formule point de tels reproches à Mohamed Lemine Ould Dadde. Plus grave: l’IGE parle de collusions et de pratiques collusoires et ne s’intéresse qu’à celui-ci. Mais comment seulement imaginer qu’il y ait eu collusions ou pratiques collusoires n’impliquant qu’une seule personne? Il faut, à cet égard, comme en tout ce qui concerne cette affaire, se rappeler que le commissariat est constitué, essentiellement, de cinq programmes (1) et qu’à la tête de chacun, est placé un coordinateur qui prépare et contrôle, avec le directeur administratif et financier, la moindre dépense, notamment l’identification des besoins, les appels d’offres, la sélection de celles-ci et le paiement des prestations, enfin, par chèque supervisé par le commissaire: un processus qu’il convient de décortiquer, soigneusement, avant d’accuser qui que ce soit de quoi que ce soit…
Mauvais calcul
Sur les «avantages indus sans bases règlementaires pour la somme de 1.191.000 UM», le rapport de l’inspection ne précise pas la décomposition et l’attribution de ce montant, qu’il prétend correspondre à des avantages indus, pour pouvoir fournir les éléments de réponse, comme s’il suffisait de le présenter et le faire signer par l’inspecteur général d’Etat, Thiam Diombar qui est – soulignons-le – membre de l’instance dirigeante du parti au pouvoir, l’UPR.
Les «dépenses privées indûment prises en charge», évaluées à 5.929.634 UM – une prouesse de précision comptable – concernent des fournitures installées au domicile de fonction du commissaire où il est, statutairement, entièrement pris en charge. Aucune de ces installations n’est sa propriété et ne constitue, en aucune manière, des dépenses privées. Elles relèvent de l’équipement nécessaire d’un lieu susceptible de recevoir des hôtes protocolaires et demeurent la propriété du commissariat, tout comme la voiture et autre élément de confort mis à sa disposition, dans le cadre du traitement qui lui dû, durant son mandat. Toutes les installations que l’IGE considère comme dépenses privées indûment prises en charge sont répertoriées dans le registre du patrimoine du commissariat. Il se comprend, alors, que ce volet d’accusations est, également, inopérant.
Il est, enfin, question, de «dépenses fictives, pour un montant de 40.929.634 UM». Ici encore, une telle précision serait admirable, si elle n’était pas le fruit de manifestes erreurs de calcul. En effet, une simple vérification de l’addition des chiffres retenus aboutit au total de 34.490.722 UM. De telles erreurs permettent de soutenir, déjà, qu’un inspecteur incapable d’additionner correctement des chiffres n’est pas digne d’une mission d’inspection. C’est, aussi, le signe de la précipitation qui a caractérisé le traitement du dossier qui n’a fait, non plus, l’objet d’une (re)lecture – procédé régulièrement appliqué et exécuté, au niveau de tout rapport d’inspection – avant qu’il ne prenne sa forme définitive. Voyons, maintenant, le détail, de ces prétendues dépenses fictives.
Un budget annuel de 30.000.000 UM est alloué, conformément aux accords de Cotonou, à la plate-forme de la société civile dont le président ordonne le détail, présentant, au commissariat, ses justifications de dépenses. La question est, ici, fort simple: en quoi le commissaire est-il impliqué dans ces dépenses? Le rapport de l’IGE, évoque, également, les travaux d’adduction d’eau des villes de Boutilimit et de Nema, réalisés sur demandes motivées et formulées par les autorités administratives et locales. Il se trouve qu’ils ont été exécutés, dans les normes, à des prix plus compétitifs que ceux proposés par la SNDE… Enfin, les divers moulins, mini-réseaux et équipements solaires implantés, à la demande du ministre de l’Hydraulique, des wali, hakem et maires, à Oudeylemed (Boulharass, Barkéol), à Boubagja et à Mâle (département d’Aleg), n’ont rien de fictifs et leur installation est certifiée par toutes les autorités, jusqu’aux chefs de village.
Le document de la défense énumère, alors, une longue liste des réalisations du commissariat, au cours de la courte période où Mohamed Lemine Ould Dadde a dirigé celui-ci. Il suffit, note le document, de mener un minimum d’investigations auprès des bénéficiaires, notamment dans les départements de Monguel, de Barkéol mais aussi la commune de Mâle, pour ne citer que ceux-ci, particulièrement notables en ce qu’ils sont situés dans la zone dite «triangle de la misère». Les maires, députés et sénateurs de ces zones peuvent témoigner de l’ampleur des transformations qui s’y sont déroulées. On saisira mieux, alors, l’inconsistance du dossier de l’accusation, seulement monté pour casser un homme dont le mérite est d’avoir réussi dans sa tâche. Que conclure de tout cela, assène, enfin, la défense, sinon l’évidence d’un acharnement partisan, infondé, tant en sa forme qu’en son fond, et d’autant plus douteux, en son esprit, que plane l’ombre de l’arbitraire, instrumentalisant une IGE au garde-à-vous, à l’image de son premier responsable, Thiam Diombar, membre du directoire du parti au pouvoir, l’UPR? La question est posée. Dans un système réellement démocratique, l’indépendance de la justice suffirait à y porter une réponse convaincante. Est-ce le cas, en Mauritanie? On attend encore, hélas, la réponse…
(1) Programme Lehdade (programme des zones frontalières), Programme d’Eradication des Séquelles de l’Esclavage dit PESE, Programme de lutte contre la mendicité, Programme Actions Génératrices de Revenus dit AGR, Programme chargé des relations avec la société civile.
Source : Le Calame le 03/11/2010