Terrorisme : Les procès se suivent et se banalisent

Ils étaient 12 accusés dans le cadre du procès de la cellule terroriste qui a pris le nom de «Ansar Allah al Mourabitoune» et qui sont plus connus sous l’appellation du «groupe Khadim Ould Semane».

Ils sont tous accusés d’avoir pris part, directement ou indirectement, aux fusillades qui ont lieu en avril 2008 à Nouakchott, dans le quartier chic de Tevraq Zeina.

Il y avait là, en plus de Khadim Ould Semane considéré comme l’émir du groupe, de Sidi Ould Sidina et Maarouf Ould Haiba, tous deux condamnés à la peine capitale pour le meurtre des français à Aleg, il y avait : Amar Ould Med Salah dit El Bettar qui compte parmi les plus radicaux des prisonniers salafistes jihadistes, Taqi Ould Youssouf qui avait fui à l’époque et qui fut arrêté l’année passée au Niger, Salem Ould Hommod chez lequel le groupe avait trouvé refuge dans sa cavale, Ahmed Ould Chighali, Malik Ould Abdel Vettah, Abdel Kerim Faraj (tunisien de nationalité), Mohamed el Mokhtar Ould Semane (frère de l’émir du groupe), Mohamd el Bechir Sall, Sidi Ould Mamoury. Deux autres accusés étaient jugés par contumace…

Le procès a duré trois jours. Il a fini par la condamnation à la peine capitale de Khadim Ould Semane, Maarouf Ould Haiba, Sidi Ould Sidina et Taki Ould Youssouf. Salem Ould Hommod et Ould Med Salah dit El Bettar ont été condamnés à 10 ans de prison avec travaux forcés. Mohamd el Bechir Sall, Sidi Ould Mamoury et un troisième ont écopé de cinq ans avec travaux forcés. Un seul, le tunisien, a été acquitté.

Le procès a ressemblé à tous ceux qui l’ont précédé, dans ce qu’il y a de plus singulier. Des supposés «terroristes», présentés en principe comme l’ennemi public, et qui réussissent à renverser la tendance en imposant leur tempo. Ce sont eux qui parlent quand ils veulent, comme ils veulent. L’image retenue du tribunal est celle où juges, assesseurs, parquet, policiers chargés de sécuriser le lieu, avocats, public… écoutent religieusement les sermons de Ould Semane et de Ould Haiba pour ne pas dire que le tribunal s’écrasait devant «l’aura» de ceux qui devaient être présentés comme des déviants. Laissant libre cours à la propagande dangereuse des jihadistes. Encore une fois, le procès a échoué à être le procès d’une idéologie qui prône le chao en devenant une mise en valeur de ses dévots.

Seuls Ould Semane et Ould Sidina, déjà condamné à mort pour le meurtre des français à Aleg, ont reconnu avoir participé à la fusillade de Tevraq Zeina en avril 2008, fusillade qui a coûté la vie à un officier de la police nationale. Les autres se sont contentés de nier prétextant «les révélations arrachées sous la torture». Le Parquet a été incapable de faire la démonstration contraire. D’ailleurs le tout nouveau Procureur semblait un peu perdu dans le dossier qu’il découvrait apparemment en même temps que se déroulait le procès. Mais que diable s’est-il passé en avril 2008 à Nouakchott ?

Mercredi 2 avril, Sidi Ould Sidina réussit à s’évader du Palais de justice où il était venu déposer devant un juge d’instruction. Complicités avérés de policiers (parents). Le 3 avril, un premier accrochage dans les rues du Ksar. On sait désormais que Ould Sidina a rejoint Khadim Ould Semane activement recherché depuis la fusillade qui a visé l’Ambassade d’Israël et la boîte VIP, le 1er février précédent. Le 7 avril, un nouvel accrochage dans les rues de Tevraq Zeina. Le 8 avril, la police localise les fugitifs dans les environs du centre émetteur. Elle envahit les lieux en attendant de savoir où se cachent exactement les éléments du groupe. Le Destin a voulu que les premières voitures de la police s’arrêtent juste devant la villa occupée par le groupe des Ansar Allah al Mourabitoune. Un tir nourri accueille les premiers éléments de la police qui descendent. L’officier Mohamed Salem Ould Ghallah – qui s’en souvient ? – est mort sur le coup et il y a eu des blessés. Côté terroristes, deux morts : Moussa Ould Ndoye, un jeune inconnu des services de police à l’époque, et Ahmed Ould Radhi, artificier recherché du groupe. Personne n’est arrêté sur le coup.

En fait, 7 personnes se trouvaient ce jour-là dans cette maison : Khadim Ould Semane, Maarouf Ould Haiba, Salem Ould Hommod, Sidi Ould Sidina, Yacoubi Ould Louly, Ahmed Ould Radhy et Mohamed Ould Moussa Ould Ndoye.

L’enquête est dirigée en haut-lieu pour éviter toute fuite. Trois hommes la mènent : le Général Mohamed Ould Ghazwani, directeur de la police, Mohamed Abdallahi Ould Taleb Abeidi, à l’époque directeur de la police judiciaire et Mohamed Lemine Ould Ahme directeur de la sûreté d’Etat. L’enquête avance. Le 10 avril, Maarouf Ould Haiba est arrêté. Il se déplaçait habillé d’un niqab dans les rues de Nouakchott quand il fut démasqué par des passants.

Le 29 avril, Ould Sidina est arrêté dans le Ksar nord. Un cousin de Ould Semane l’avait emmené là, les yeux bandés. Ils ne sont que deux à habiter dans la maison. Ce soir-là, l’hôte était parti ramener le dîner. Mais contrairement à son habitude, il n’avait pas fermé la porte à son retour. Il est entré dans la chambre le plus normalement possible et avait demandé à Ould Sidina d’aller au lavabo pour se laver les mains. La salle de bain est située dans la véranda. Le jeune Ould Sidina, en cavale depuis 27 jours, n’a pas le temps de comprendre. Des éléments de la police le maîtrisent rapidement. Juste le temps pour lui de voir que son hôte restait indifférent à ce qui se passait. Pourtant Ould Sidina était toujours armé. Chaque fois que la porte principale s’ouvrait, il prenait la précaution de préparer son arme et ses quatre chargeurs garnis. Il ne voulait pas être pris comme un vulgaire bandit, sans opposer de résistance. Ce sera fait…

Bon perdant, Ould Sidina parle et donne des indications. Ses amis sont chez Salem Ould Hommod, résidant dans le quartier de Arafat. Il y a là au moins Khadim Ould Semane, l’Emir du groupe, Yacoubi Ould Louly et Ould Hommod lui-même. Trois des sept personnes qui avaient opposé une féroce résistance à la police dans une maison de Tevraq Zeina, le 7 avril dernier. Le 30 avril Khadim Ould Semane est arrêté avec tout le reste du groupe… Le film des événements est déroulé sans problème…

Quand les éléments de la compagnie d’intervention arrivent devant la maison pour encercler le quartier et le fouiller maison par maison, le groupe était prêt à riposter et à forcer le passage. C’est au moment de prendre position que les policiers essuient un tir nourri et subissent les premières pertes. Côté terroristes, Ould Ndeye, âgé d’à peine 22 ans meurt en couvrant ses amis qui foncent à bord d’une voiture volée quelques semaines plutôt à l’ancien ambassadeur de Mauritanie à Washington, Ba Ibrahima. Ils sortent en tirant de toutes les portières. Ils ne sont pas indemnes. Pneus crevés, ils sont obligés d’abandonner la voiture moins de deux kilomètres plus loin. Ils ne sont pas suivis. Ils braquent un passant et lui prennent sa voiture. Ils abandonnent l’un des leurs blessé. Il s’agit de Ahmed Ould Radhy, l’artificier du groupe, mais aussi le ‘transporteur’. C’est lui qui meurt quelques jours plus tard à l’hôpital militaire sans avoir repris connaissance.

Bénéficiant immédiatement de complicités, les cinq autres hommes n’ont aucun mal à gagner la zone du Ksar Nord. Ould Semane a déjà essayé de faire appel à un cousin qui aurait décliné. Un deuxième appel est plus fructueux. Ils sont pris en charge par un «ami», puis dispatchés sur différents quartiers.

Ould Semane et Ould Louly vont avec Salem Ould Hommodt, un fervent prédicateur, arrêté en 2005 pour un prêche violent après la répression des milieux islamistes. Ould Haiba et Ould Sidina vont chez un chef de cellule appelé Boybe Ould Navé, le même qui sera remis à AQMI par les Maliens à la suite du deal concernant l’otage français Pierre Camatte. Ils ne peuvent rester chez lui à cause d’une présence féminine massive. Il faut trouver une solution. Ould Haiba enfile une ‘abaya’ et s’en va chercher une maison à louer. Il est arrêté dans la rue.

Sidi Ould Sidina reçoit l’ordre d’aller chez Cheikh Ba, un autre chef de cellule. Il y reste deux jours avant de recevoir l’ordre d’aller vers une autre maison : quelqu’un viendra le prendre et lui bandera les yeux. C’est là que les policiers viendront l’arrêter le 29 avril 2008.

Quand le lieu des fugitifs est défini, le travail de terrain peut commencer. Seul le groupement d’intervention de la Gendarmerie Nationale (GIGN) possède les moyens de faire l’assaut. Il n’y a aussi que la Gendarmerie pour assurer la meilleure garde et le meilleur couvert pour l’enquête.

Les éléments du GIGN investissent le toit de la maison. Et attendent. Vers 4 heures, Ould Semane qui monte la garde va prendre une douche, pour rester probablement éveillé. La douche est à l’autre extrémité de la cour. Dehors, les gendarmes s’activent à enlever la porte. Un travail de professionnel qui produit quand même du bruit. Alerté, Ould Semane sort précipitamment pour gagner la véranda où il avait disposé armes et munitions. Il est vite cueilli par les gendarmes ayant pris position sur le toit. Dans la maison, on retrouvera des armes individuelles, une mitrailleuse et des explosifs (TNT). Les sept personnes se trouvant là (et dont au moins une femme) étaient visiblement prêtes à résister.

Comme Ould Sidina, Ould Semane, les autres parlent et disent tout ce qu’ils savent. Une vingtaine de personnes sont arrêtées. Elles appartiendraient toutes à des cellules terroristes dont les différents éléments ont déjà fait allégeance à l’Emir du groupe.

Khadim Ould Semane prétend être l’envoyé du nommé Khaled alias Belawar, un dirigeant du GSPC, devenu Al Qaeda pour un Maghreb Islamique (AQMI). Il est l’Emir des jihadistes mauritaniens, le groupe «Ansar Allah Al Mourabitoune». Il a affaire d’abord aux chefs de cellules en qui il a toute confiance. Ils sont recrutés parmi les jeunes ayant fréquenté – souvent sommairement – les mahadras où le Wahabisme a fait foi ces dernières décennies. Chaque chef de cellule recrute trois à huit personnes. Après une formation idéologique et un endoctrinement intense sur le Jihad, les recrues sont envoyées dans les camps d’entraînement du GSPC (AQMI) sous la houlette de Ould Radhy. Ils vont dans le nord du Mali. D’abord dans un camp appelé Khalil où ils changent de noms et où ils commencent véritablement une nouvelle vie. Ils vont ensuite sur le terrain des entraînements et apprennent à manier explosifs et armes automatiques. De retour des camps et donc prêts à passer à l’action, ils sont présentés à l’Emir à qui ils prêtent allégeance. On estimait en 2008, à une cinquantaine le nombre des combattants ayant fait allégeance à cet émir. Ils auraient été répartis entre 7 cellules de trois à huit éléments chacune : cellule de Teyeb Ould Mohamd el Mokhtar – gracié récemment -, celle de Sidi Ould Sidina, de Ould Hommod, de Cheikh Ba, un ancien gendarme, de Yacoubi Ould Louly libéré avant le déferrement de tout le groupe.

Six des éléments de ces cellules réussissent à fuir : Teyeb Ould Sidi Aly, Boybe Ould Navé, Taki Ould Youssouf, Abderrahmane Ould Youssouf, un nommé Dahoud et un certain ‘Brahim’. Il s’agissait, pour les deux derniers de noms de combat.

Les grandes questions de l’opération est la suivante : comment ce groupe a-t-il pu avoir un arsenal, une logistique lui permettant de plonger Nouakchott dans le chao, alors que le 24 décembre précédent (2007), ils avaient acheté une kalachnikov pour l’opération d’Aleg ? Qui leur a fourni les moyens financiers de louer toutes les villas qu’ils avaient payées à l’avance et pour plusieurs mensualités ? Pouvait-on penser à de fortes complicités dans les milieux aisés ? Pouvait-on imaginer une main ‘occulte’, un service de renseignement étranger par exemple ? Pouvait-on croire à des complicités y compris au sein de l’Armée et de la Police ?

Les questions datent d’avril 2008. Elles n’ont toujours pas de réponses. Nous savons depuis deux décennies, que les instructions et les procès ne cherchent jamais à éclaircir les faits. Mais plutôt à les compliquer et à les faire oublier. Ce qui donne cette situation où le crime le plus abject devient «un détail», où son auteur peut prétendre à une légitimité de son action, où la souffrance des victimes n’a pas le droit de s’exprimer.

 

MFO

Source: La tribune

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