Face au terrorisme, le consensus recherché

C’est dans un Palais des Congrès particulièrement sécurisé que les travaux du premier débat national autour de l’extrémisme et du terrorisme a été ouvert dimanche sous la présidence effective de Mohamed Ould Abdel Aziz, Président de la République. Sont invités à ces débats qui dureront cinq jours, des Erudits, des chefs de partis, des intellectuels indépendants, des universitaires, des journalistes… La manifestation est organisée par le ministère de la défense, celui de la communication et celui des affaires islamiques. Elle se déroulera suivant les axes suivants : Axe religieux et spirituel qui permettra aux Exégètes de la religion de faire les relectures nécessaires à la délégitimation de l’action violente au nom de l’Islam ; Axe judiciaire et sécuritaire qui donnera l’occasion aux autorités de présenter les aspects criminels du combat des activistes terroristes ; Axe culturel et intellectuel qui sera l’occasion de présenter la jonction entre le crime organisé et le phénomène de l’extrémisme religieux qui finit par en être une facette ; Axe médiatique qui permettra de rappeler les règles déontologiques et éthiques qui doivent régir l’information dans des situations de conflit ouvert par les terroristes ; enfin l’Axe politique qui sera l’occasion de dialoguer autour du phénomène pour prendre une position commune et consensuelle vis-à-vis des menaces qu’il fait peser sur la sécurité des citoyens.

En ouvrant les travaux de cette manifestation le Président de la République Mohamed Ould Abdel Aziz a défini l’objectif principal : jeter la lumière sur la nature des attaques terroristes répétées contre notre pays depuis cinq ans pour que notre société musulmane soucieuse de sa liberté et de sa dignité, soit mieux informée sur les vraies dimensions de ces attaques et les intensions dangereuses de leurs instigateurs. La Mauritanie, a-t-il poursuivi, est restée jusqu’à une date très récente un des pays les plus sûrs et stables, et où le citoyen et le visiteur résidaient et se déplaçaient en toute quiétude et sécurité. Elle ne s’attendait pas à une telle confrontation ouverte avec des groupes armés venant de l’extérieur. C’est pourquoi elle était peu préparée.
C’est, pour lui, une situation injustifiée. La Mauritanie n’a occupé le territoire de quiconque. Elle n’a exercé aucune forme d’injustice ou de persécution contre personne. Par contre, elle a toujours défendu toutes les causes justes arabes, africaines et internationales. 
Le Président de la République a réaffirmé la détermination de la Mauritanie, à défendre, plus que jamais et à tout prix, son intégrité territoriale et sa stabilité, relevant le transfert du cercle des combats aux fiefs des assaillants, hors de nos frontières, pour, d’une part, les empêcher de mener leurs opérations coûteuses pour nous dans nos zones peuplées, et, d’autre part, dans le but de poursuivre nos programmes de développement global, dans un climat de sécurité et de quiétude.
«Il est surprenant que ces groupes trouvent des oreilles attentives auprès de quelques-uns des activistes politiques de chez nous. Activistes qui supposent qu’un tel comportement est de nature à élever leur chance d’arriver au pouvoir». Le Président Ould Abdel Aziz fait ici allusion aux positions de la Coordination de l’Opposition démocratique (COD) qui a déclaré que son régime menait «une guerre par procuration». Exactement les mêmes termes contenus dans les communiqués de AQMI.

«De même, nous avons constaté, malheureusement, que quelques milieux de la presse locale, poussés et soutenus par ces mêmes activistes politiques, ont propagé des intoxications apocryphes, prétendant que nous menons une guerre par procuration, et que notre armée ait subi un échec écrasant au cours des dernières opérations, au nord de la République sœur du Mali. Intoxication relayée par des chaînes étrangères qui l’ont présentée comme étant une vérité irréfutable». Ici aussi, la presse support d’informations «hostiles» est dans la ligne de mire.

Aux jeunes mauritaniens, le Président rappellera que les «bandes terroristes armées ont pu apprivoiser quelques-uns de nos jeunes, mais la plupart de ceux-là ont découvert les vraies intentions criminelles de ces bandes qui avaient pris l’habitude de les charger d’exécuter des opérations kamikazes en Mauritanie et dans d’autres pays».

Avant le Président, c’est le vénérable Cheikh Abdullah Ould Boye qui a pris la parole au nom des Erudits pour stigmatiser l’option violente des jihadistes. Jamais discours religieux n’a été aussi clair et aussi engagé dans la délégitimation du fondement idéologique des jeunes «égarés». 

Les travaux de la première journée du forum se sont poursuivis avec la présentation de deux conférences données par l’érudit Mohamed El Moctar Ould M’Balla, conseiller à la présidence de la République et l’érudit Hamden Ould Tah, secrétaire général de l’Association des oulémas mauritaniens sous les thèmes respectifs de « le rôle des oulémas mauritaniens dans la diffusion de l’Islam » et « comment éradiquer les phénomènes de l’extrémise ».
L’érudit Mohamed El Mokhtar Ould M’Balla, a indiqué au cours de la première conférence « qu’en leur qualité de protecteurs de la religion et gardiens de la Charia, il est aujourd’hui du devoir des oulémas mauritaniens, de rééditer l’exploit de leurs ancêtres, pour protéger leur pays de l’idéologie de l’excès et de l’extrémisme ». Il a précisé également qu’ils sont appelés « à réaliser une renaissance scientifique, une nouvelle forme de prêche sur les enseignements de la religion, à combler le vide, à couper la voie devant l’idéologie extrémiste, en disant la vérité, en évitant les préjugés, en éduquant et en guidant les jeunes ». 
Ould M’Balla a poursuivi en disant « que pour immuniser notre société et nos jeunes contre la dérive des courants extrémistes, nous devons prôner le bien et appeler à l’abandon du mal », œuvrer pour assainir la société, préserver la religion, la charia, et notre rôle civilisateur, que personne ne doit abandonner » a-t-il ajouté. Le conférencier a souligné également « qu’avec ses dirigeants et ses érudits, la Mauritanie doit se souvenir du rôle qu’elle a joué dans le passé en Afrique et s’apprêter à renouer avec ce rôle », précisant que la région en a toujours besoin, que le pays est encore capable d’agir de la sorte, car disposant aujourd’hui de moyens qu’il n’avait pas auparavant.
La seconde conférence intitulée « comment éradiquer le phénomène de l’extrémisme a été animée par le fakih et Cheikh Hamden Ould Tah, qui a défini l’extrémisme religieux comme étant « le passage du cercle de la modération à ses extrémités par voie illégale, ce qui conduit à l’excès et aux préjugés, et à la désobéissance « .
Il a indiqué également que le remède des phénomènes de l’excès et du terrorisme, supposent un ensemble de mesures nécessaires. Enumérant les plus importantes d’entre elles, il a cité « l’identification de ces maux, de leurs formes d’apparence et de leurs causes, par des experts spécialisés dans le domaine, bien édifiés sur l’histoire de la Ouma islamique et, sur ses courants sunnites, ainsi que sur les complots perpétrés par les ennemis de l’Islam tels que le sionisme et les autres doctrines destructrices ». 
Evoquant ces doctrines ennemies de l’Islam, il a souligné « qu’elles s’exhibent en porteurs de bien à la nation islamique, dans le but de lui injecter les idées dangereuses et fausses, à travers un ensemble de moyens d’autres procédés qui ne peuvent être compris que par les experts en charia islamique » a-t-il conclu.

Sur tout un autre plan, la question de l’avenir de la COD est sérieusement posée après cette manifestation. En effet, la COD a été incapable d’avoir une position commune. C’est ainsi que Adil a envoyé son président Yahya Ould Ahmed Waghf qui présidera d’ailleurs une journée du débat ; El Wiam a été représenté aussi par la personne de son président Boydiel Ould Hoummoid. Mais le clou de la présence est la présence de Ahmed Ould Daddah chef de file de l’opposition démocratique et président du RFD.

Dimanche soir sur Al Jazeera, Mohamed Ould Maouloud, le président de l’UFP et qui a la présidence tournante de la COD, a expliqué que la présence de ses «amis» au débat ne signifiait pas une différence dans les points de vue. En réalité la COD vit actuellement de profondes divergences dans les approches.

Au niveau de Adil par exemple, les choses ont sérieusement avancé avec l’ouverture d’un dialogue politique avec le parti au pouvoir, l’UPR. Chacun des deux partis a désigné une commission de trois personnes : pour Adil, Yahya Ould Sid’el Moustaph (ancien ministre de la justice de Sidioca), Alia Mint Menkouss (ancienne directrice adjointe du cabinet de Ould Taya) et Mohamed Ould Biha (ancien cadre du CSA, maire actuel de Tijikja) ; pour l’UPR Mohamed Yahya Ould Horma (vice-président du parti), Mokhtar Ould Dahi (secrétaire exécutif) et Diabira. Le dialogue est ouvert autour d’une plate-forme qui reste secrète. Mais on comprend des déclarations de Ould Horma que la préoccupation première est la participation au gouvernement. Dans une interview accordée à notre confrère Nouakchott-Info, le deuxième responsable de l’UPR a demandé à l’opposition de s’intéresser à autre chose qu’à la participation au gouvernement à moins d’un an des élections, ce qui pourrait leur porter préjudice.

Le RFD a pour sa part, et depuis longtemps, affirmé ses nuances par rapport aux positions de la COD. Reste El Wiam dont le président Boydiel Ould Hoummoid est plutôt porté sur un dialogue constructif et non sur une continuelle confrontation stérile.

L’APP connait quelques convulsions internes qui risquent de consommer les énergies du parti à la veille des élections futures. L’UFP qui dirige présentement la COD risque de voir le regroupement s’effriter rapidement. Le président de l’APP, Président de l’Assemblée nationale, prédisait récemment la fin imminente de la COD.

La guerre contre le terrorisme a eu des effets «dommages collatéraux» dont le moindre est l’accélération du renouvellement du paysage politique. En attendant le consensus…

 

Ould Oumeïr



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