Le wali de Nouakchott limogé: Une terre sans pitié

Limogé brutalement, lors de la dernière session du conseil des ministres, l’ancien gouverneur de Nouakchott, Ahmedou Ould Abdallah, a été emporté par le «déguerpissement», au parfum de scandale, des habitants de Leghreiga Kebba Marbatt.

Des personnes qui n’avaient pas vécu les années de souffrance et de misère, dans les taudis du sixième arrondissement, s’étaient vues offrir, généreusement ou moyennant de grosses coupures, des parcelles, tandis que les véritables ayant-droits, après une trentaine d’années dans ces favelas, étaient «zappées» par de véreux agents recenseurs.  Ce n’est guère une première à Nouakchott et dans le reste de la République. Ahmedou s’en va dans les mêmes conditions que son prédécesseur, Maouloud Sidi Brahim, emporté, lui aussi, par des attributions douteuses et les lotissements d’Arafat et de Riyad. La terre est sans pitié, pour les gouverneurs sans scrupules avec la terre. Chaque distribution de parcelles constitue une aubaine, pour nos gouverneurs et préfets, qui se partagent de nombreuses parcelles, en vendent à tire-larigot,  avant d’en offrir à leurs proches. Du coup, la nomination de Fall N’Guisaly, longtemps directeur du Plan, au poste de gouverneur de Nouakchott, apparaît comme un cadeau empoisonné, pour un cadre si ambitieux. L’inamovible directeur de l’AMEXTIPE risque de s’engluer dans la gestion du délicat problème foncier nouakchottois. Une responsabilité qui a brisé bien des carrières, certains l’ont appris à leurs dépens. Et Nouakchott détient un record national, en la matière: trois gouverneurs en l’espace d’une année! La gestion «terre à terre» de la terre constitue depuis des décennies, le sport favori de nos gouverneurs et préfets. La tentation et les «coutumes» sont fortes. Le double voire le triple emploi d’un même lot, doubles attributions, doubles plans; plus grave, leur intégration dans le plan directeur de Nouakchott; le lotissement et l’attribution, à des privés, d’espaces réservés au domaine public, par des autorités incompétentes en la matière qui se substituent à l’Etat, tout cela pèse, quotidiennement, sur la crédibilité de l’administration et la quiétude des populations.Chaque jour, par la négligence de nos administrateurs ou de manière délibérée, des propriétés individuelles légalement acquises sont remises en cause, doublement attribuées à de nouveaux propriétaires, sans aucun dédommagement pour les premiers. Aucune procédure légale, ni annulation officielle, seulement le diktat de préfets ou gouverneurs, plus souvent corrompus que zélés, et toujours, évidemment, à l’insu du premier propriétaire. L’appropriation, par expropriation arbitraire et massive, est devenue l’apanage de nos administrateurs. Incroyable mais vrai. Où a-t-on vu des autorités administratives ou départementales revenir, après bien des années, sur des attributions et offrir les mêmes lots à des gens plus proches d’eux ou plus fortunés que les précédents attributaires? Sur quels critères octroyer une parcelle, devant revenir ou appartenant à tel citoyen, à tel autre citoyen, le premier pourtant nanti des mêmes droits constitutionnellement garantis que le second? De jour en jour, l’espace public, par la faute de gouverneurs et préfets indignes ou incompétents, se rétrécit dangereusement et à vue d’œil. Nouakchott étouffe, en l’absence de parcs, d’aires de jeu, d’opportunités de gestion ordonnée du Domaine. Tout est vendu. Les populations se retrouvent, de plus en plus et partout, coincées de toutes parts, entre des axes routiers à peines praticables et des milliers de villas, magasins, boutiques et échoppes qui poussent, dans le plus complet désordre, à un nombre et à une vitesse incroyables, dans les espaces réputés publics. Nul ne veut admettre une limite, entre le bien privé et le bien public, et nos responsables sont les premiers à s’y refuser. D’où l’usage fréquent, devenu tout à fait «normal», de la chose publique, à des fins très privées, par nos administrateurs qui ont, semblent-ils, horreur des espaces vides.
La totalité ou presque des places publiques ont disparu de Nouakchott. Intégrées, loties, numérotées et «offertes» à des individus, toujours riches et puissants, par une «heureuse» coïncidence. S’agissant des écoles, mosquées, mahadras, dispensaires, aires de décompression ou issues de secours – notamment pour les ambulances ou les pompiers – des zones dites «évolutives» – en gros, la périphérie et les gazras, que personne ne réclame, contrairement aux domaines privés – la facilité des opérations d’attribution n’a d’égale que l’assurance de l’impunité, pour leurs auteurs. On se souvient qu’en 1994, le gouverneur de Nouakchott et un commissaire de police s’étaient copieusement insultés, au téléphone, lors du partage du butin, après la vente d’un espace public au cinquième arrondissement. Seize ans plus tard, une telle anecdote peut-elle encore se reproduire? De toute évidence, personne ne semble convaincu de son impossibilité…

THIAM MAMADOU 

Source: Le Calame

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