Les récentes déclaration du parti au pouvoir en Mauritanie déclarant qu’il allait travailler avec la France pour lutter contre al-Qaeda, et du Guide libyen Mouammar Kadhafi affirmant récemment que le réseau terroriste n’existe pas suscitent de nombreuses réactions de la part des militants des droits de l’Homme et des analystes au Maghreb.
La Mauritane est « prête à s’allier et à coopérer avec la France, l’Algérie, le Mali et le Niger… pour se venger d’al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) », a déclaré le secrétaire général du Parti pour l’union de la République (PUR), le parti au pouvoir dans le pays, Mohammed Mahmoud Ould Mohammed Lamin.
Cette déclaration a précédé la déclaration faite mardi 27 juillet par le Premier ministre français Francois Fillon affirmant que Paris est « en guerre » contre al-Qaida, et que la France travaillera avec les autorités régionales, « notamment le gouvernement mauritanien », pour trazduire les terroristes en justice.
Les déclarations de Fillon, diffusées par la station de radio Europe 1, sont intervenues après l’exécution du Français Michel Germaneau, un travailleur humanitaire de 78 ans et otage d’AQMI.
Plusieurs partis d’opposition ont rejoint le PUR dans la condamnation de l’assassinat de Germaneau. L’Alliance pour la justice et la démocratie/Mouvement pour la rénovation a qualifié l’opération mauritanienne contre le camp où était emprisonné Germaneau « d’acte d’auto-défense », et le Rassemblement nationale islamiste pour la réforme et le développement a apporté sou soutien à « l’action des forces armées contre les forces du terrorisme ».
La participation de la France à l’opération de sauvetage de Germaneau était inévitable, a expliqué Saleh Ould Henenna, ancien responsable militaire et actuel secrétaire général du Parti pour l’unité et le changement.
« Nous devons accepeter les raisons données par le ministre mauritanien de l’Intérieur affirmant… que cette opération était de nature préemptive, pour empêcher un attentat prévu », a déclaré Henenna.
La déclaration de guerre française contre AQMI intervient quelques jours seulement après que Kadhafi se fut attiré les feux de la critique pour avoir affirmé que « il n’existe aucune organisation telle qu’al-Qaida au Maghreb islamique ».
Le dirigeant libyen, qui s’exprimait sur France24 en direct de Tripoli avant le sommet de l’Union africaine du 19 juillet, a qualifié ce réseau terroriste de « rumeur et de simple propagande ».
« En réalité, il s’agit de petits groupes criminels, comme les Brigades rouges italiennes à l’époque », a-t-il déclaré.
Plusieurs militants et analystes du Maghreb ont expliqué à Magharebia que la conception de Kadhafi ne reposait sur aucune réalité.
« Comment peut-il nier l’existence de [AQMI] ? », s’est interrogé le militant mauritanien des droits de l’Homme Mohamed El Moktar Ould Hazma. « [Elle] inquiète de nombreux pays de la région du Sahel, en organisant régulièrement des opérations sanglantes et en publiant des enregistrements menaçant chaque pays de la région. »
« Comment et pourquoi Kadhafi pourrait-il jeter le doute sur l’existence d’AQMI ? », demande Ould Hamza, ajoutant : « Quel est le but de la tentative de Kadhafi de défendre Ossama ben Laden ? Je crois que Kadhafi croit en certaines formes de terrorisme et ne croit pas en d’autres. »
L’opinion de Kadhafi « n’est pas nouvelle », a déclaré le spécialiste tunisien des affaires islamiques Slaheddine Jourchi. « [D]e nombreuses personnes qui partagent cette opinion… affirment que [AQMI] n’est rien d’autre qu’une création de l’Occident pour atteindre certains objectifs stratégiques ».
« Toutefois, je ne partage pas cette opinion », a ajouté Jourchi. « [AQMI] existe bel et bien, sa direction est connue et elle dispose d’un certain nombre de partisans… Elle a également publié plusieurs déclarations et des documents sous son nom ».
« La vérité est que les Libyens réalisent qu’ils ont perdu le contrôle de la bande sahelienne, au profit des groupes terroristes », a expliqué à Magharebia un analyste qui a demandé à rester anonyme. « Ils ont tenté de manipuler ces groupes terroristes en les infiltrant, mais ils ont dû rapatrier leurs hommes, estimant que les risques étaient trop élevés. »
« Donc Kadhafi, pour tenter de s’assurer que le pouvoir sera bien transmis à son fils, s’est lancé dans des négociations avec les groupes terroristes pour la libération des otages, en retour du paiement de rançons », ajoute cet analyste. « Et cela à un moment où, à Alger, les responsables africains signaient une convention interdisant le versement de rançons aux groupes terroristes. Cela vous donne une idée du peu de respect que [Kadhafi] a pour ses pairs africains. En fait, il a toujours joué en solo. »
L’opinion de Kadhafi concernant al-Qaida relève de la sémantique, selon le politologue et spécialiste des affaires du Maghreb Nasreddine Benhadid.
« Plus importante que le nom est la chose désignée, l’acte présenté et l’image effective transmise », a expliqué Benhadid, un Tunisien. « Nous ne pouvons imaginer une opération terroriste dont personne n’a jamais entendu parler. »
Le militant tunisien des droits de l’Homme Adnan Hassnaoui se fait l’écho des propos de Benhadid.
« Je veux poser la question suivante au leader libyen : si al-Qaida n’existe pas, alors que se passe-t-il dans le sud de l’Algérie et en Somalie ? Et qui perpétue ces actes ? »
Alors que les analystes et les chefs de partis réagissent aux récents évènements antiterroristes, les Mauritaniens ordinaires ont fait part à Magharebia de leurs réactions à ce raid contre la base d’AQMI au ali et à l’exécution de Germaneau.
« Selon de nombreux articles nationaux et internationaux, cette attaque visait à libérer…Germaneau », a déclaré Mohamed Ould Beder Eddine. « Mais elle a eu l’ffet inverse, et la vie de cet otage aurait pu être sauvée si d’autres moyens avaient été mis en oeuvre. »
Les rapports initiaux affirment que Germaneau est mort dimanche, mais le Premier ministre Fillon a pour sa part indiqué que cet otage aurait pu avoir été tué dix jours plus tôt.
« J’ai été choqué d’apprendre l’exécution par al-Qaida… de Germaneau », a déclaré Sadik Ould Mohammed, un commerçant. « [C]et otage travaillait dans l’humanitaire et n’était pas un combattant. Il était par ailleurs très âgé, et son exécution de sang froid est un acte que rien ne saurait justifier dans la religion tolérante de l’Islam. Nos érudits ont publié une fatwa sur le sujet. »
« Par le biais de plusieurs de ses sites web, al-Qaida a récemment menacé la Mauritanie de représailles », explique Mariam Mint Salick. « J’espère donc que les forces de sécurité prendront ces menaces très au sérieux. »
La réponse espérée de Salick pourrait ne pas être longue à venir ; la Mauritanie a renforcé ses mesures antiterroristes ces dernières années.
« La Mauritanie attendait l’occasion de se venger de ces groupes terroristes et de venger la vie des soldats mauritaniens », a déclaré le secrétaire général du PUR Lamin.
Par Nazim Fethi à Alger, Jamel Arfaoui à Tunis et Mohamed Yahya à Nouakchott
Source : www.magharebia.com le 28/07/2010