Depuis quelques temps, les Soninkés résidant en milieu urbain dépensent de plus en plus gros dans leurs fêtes de mariages, au point de susciter des inquiétudes. Quelles sont les raisons qui sont à l’origine de cette dérive? Eléments de réponses.
Comme toute personne née et grandie à Nouakchott, Bonco (appelons-là ainsi) connait du monde. Ainsi elle est souvent conviée à assister aux mariages, baptêmes… Quand on lui demande de citer une fête de mariage en milieu soninké qui l’aurait impressionnée, elle parle d’une cérémonie à laquelle elle a assisté au niveau du département d’El Mina, il y a quelques temps de cela. «A l’intérieur et devant la maison, il y avait foule. Mais malgré cela, il y a eu à manger et à boire pour tous», dit-elle. « Le lendemain, c’était au tour de la famille de l’époux d’organiser une grande fête dans le domicile familial. Par la suite deux fêtes ont été organisées à Mauricom, La Case», se remémore Bonco, enthousiaste. Cas isolé ? Loin s’en faut.
Dans le temps, pour célébrer une union chez les soninkés, en milieu urbain, il suffit d’une fête chez la mariée, une autre chez l’époux. Aujourd’hui l’idéal est d’organiser une fête chez la mariée, une autre chez l’époux, une invitation à Mauricom, une cérémonie grandiose à La Case, de faire appel à un chanteur ou des chanteurs pour animer les différentes fêtes, de louer un appartement pour la nuit des noces. Et surtout de distribuer de l’argent à tire-larigot. Et enfin de louer les services d’un cameraman pour immortaliser tout ça. Parce que la cérémonie doit-être mémorable, marquer les esprits, comme une page d’une histoire. Résultat, même les classes moyennes soninkés, en arrivent aujourd’hui à casquer des millions pour célébrer un mariage. Pourquoi tant de dépenses ?
Les raisons de la dérive
«Le non-respect des ordres locaux établis (O.L.E) dans la communauté soninké y est pour quelque chose», avance le sociologue Koréra Makha : «Dans les temps pour solliciter la main d’une fille, on s’adressait à ses parents, pour qui l’honorabilité, la respectabilité, pudeur, le courage, la responsabilité, l’honnêteté, entre autres qualités, passent avant pouvoir, fortune ou célébrité du prétendant. Alors que de nos jours les deux intéressés se mettent d’accord avant de consulter les parents». Résultat : les prétendants sont obligés de casser leur tirelire pour fêter leur mariage. Puisque «la majorité des femmes épousent des comportements dispendieux pour se marier. Ces femmes se retrouvent souvent dans les mêmes tontines, associations féminines, coopératives… d’où les femmes se calquent entre elles. La deuxième raison est liée au fait que les parents ont tendance à démissionner de leur rôle à savoir éduquer, dissuader et personnifier. Enfin l’orgueil chez les Soninkés y est pour quelque chose». Le fait de vouloir montrer qu’on a des moyens et surtout le fait de ne pas accepter qu’on n’en a pas donne lieu à de véritables dépenses faramineuses pour célébrer une union.
Les inquiétudes
Le fait de dépenser sans compter suscite des inquiétudes chez certains. Primo : il ne garantit pas la pérennité du couple, le mari arrive tout essoufflé au bout du compte si bien qu’il aura du mal à subvenir aux besoins de son couple, il aura tout dépensé pendant le mariage et se serait même endetté. Secondo : il constitue un écueil pour ceux qui n’ont que des moyens limités «car tout le monde n’a pas de sous à claquer dans un mariage. A la longue les pauvres ne pourront même plus se marier», affirme Mamadou, jeune homme qui a dépassé la vingtaine. «Engloutir de grosses sommes dans une cérémonie de mariage est un énorme gâchis. Il faut se ressaisir», déclare pour sa part Fatma, dame d’une soixantaine d’années. «Fêter un mariage chez la mariée, le marié, puis à Mauricom et La Case, ne vaut pas le coup. Car le plus important n’est pas la fête mais le mariage lui-même, c’est-à-dire la vie en couple. On peut la préserver sans débourser des sommes mirobolantes», renchérit Bambi, jeune femme d’une trentaine d’années.
Mais ce qui inquiète certains, c’est surtout le fait que leur communauté ne soit pas consciente du danger que pourrait entrainer le nouveau mode de mariage qu’elle est en train d’adopter. A l’intérieur du pays, les membres de la communauté font du mieux qu’ils peuvent pour limiter les dépenses dans les fêtes de mariage. A Kaëdi par exemple, c’est un quota qui a été instauré, les dépenses ne doivent pas dépasser un certain plafond. Dans certains villages du Guidimakha, le nombre des jours pour fêter une union a été fortement revu à la baisse. Quiconque ne respecte pas ces règles est indexé et soumis à une amende. A Nouakchott, le laisser-faire est total. «C’était une belle fête», c’est la phrase que répètent souvent ceux qui reviennent d’un mariage. Peu leur importe le fait que les mariés aient cassé leur tirelire au point de ne pouvoir faire face à leurs besoins vitaux, peu leur importe que le marié se soit endetté jusqu’au coup pour organiser une grande fête.
Il est grand temps que la communauté se réveille car, comme le soutient le sociologue Koréra Makha : «au lieu de dépenser des millions en amont du mariage, il serait plus opportun d’économiser cette fortune pour la popote quotidienne, notamment l’éducation au nom de la survie du couple».
Samba Camara
Source : www.rmibiladi.com le 13/07/2010