Mohamed Ould Maouloud, Président de l’UFP, à l’occasion du 1er anniversaire de l’Accord de Dakar

’’On est légitimement en droit de se demander si, à la tête du pays, il y a un gouvernement ou une entreprise de communication’’

Le Calame : Réunis, à Bruxelles, sous l’égide de l’Union Européenne, les bailleurs de fonds viennent de dépasser les montants de leurs engagements parisiens de 2007, en accordant près de trois milliards de dollars à la Mauritanie. Cela signifie-t-il que l’UE, qui avait joué un rôle important dans le retour à l’ordre constitutionnel, a enterré les Accords de Dakar ?

Mohamed Ould Maouloud : Je ne crois pas et ce qui vient de se passer, à Bruxelles, tend, même, à prouver le contraire. Puisque la question de l’évaluation de la gouvernance politique du régime mauritanien était inscrite en bonne place à l’ordre du jour. De quoi s’agit-il ? Comme vous le savez, l’UE a été le dernier partenaire à normaliser ses relations avec notre pays, suite à l’Accord de Dakar ; et, précaution sans doute utile, sur la base d’une lettre d’engagements de bonne gouvernance, adressée par le Premier ministre, le 31 mars dernier, où il souscrit à la mise en œuvre du dialogue inclusif prévu par ledit accord.

A Bruxelles, la délégation gouvernementale a bien été interpellée sur la question. Même si bon nombre de bailleurs de fonds n’en ont cure Et elle s’est lamentablement confondue en fausses allégations et lieux communs, pour se tirer d’embarras. Ce qui n’est pas crédible. D’autant plus que, pour le moment, les bailleurs de fonds n’ont fait que des déclarations d’intention. Pour les voir traduites dans les faits, il faudra bien gagner leur confiance. C’est dire combien le pouvoir actuel fait preuve de courte vue, en donnant une impression de mauvaise foi, dans la mise en œuvre de ses engagements. Pour ne pas compromettre les nouvelles opportunités, il va falloir se rendre compte que le plus difficile n’est pas de mobiliser les intentions, c’est de mobiliser les fonds qui est ardu. Cela réclame un pays stable et un gouvernement crédible.

Au regard de tout le remue-ménage, autour la table ronde, et de l’incurie dans la gestion des affaires publiques, on est légitimement en droit de se demander si, à la tête du pays, il y a non pas un gouvernement mais, seulement, une entreprise de communication. Faisons le constat : la délégation gouvernementale est partie, à Bruxelles, dans l’impréparation la plus totale, avec des dossiers mal ficelés, de simples plagiats, à peine remaniés, des requêtes du gouvernement de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, sans avoir avancé dans la mise en œuvre des engagements de gouvernance et passant outre les réticences de l’UE, sur l’opportunité de la table ronde elle-même. Visiblement, l’objectif n’était pas économique mais, surtout, médiatique. C’est pourquoi ses résultats sont présentés comme une victoire contre l’opposition et non pas contre la crise multiforme qui accable nos populations. C’est aussi pourquoi la question de la stabilité et du dialogue politique et sociale intéresse si peu nos gouvernants.

– Dans quelques jours, nous fêterons le premier anniversaire de l’Accord de Dakar. Occasion pour en parler de nouveau. Comporte-t-il des clauses non écrites ? Si oui, lesquelles ?

Il y en avait deux : la libération du Premier ministre renversé et de ses compagnons, d’une part, et, d’autre part, la dissolution du Haut Conseil d’Etat. Le premier point formait, avec l’annulation de l’agenda électoral unilatéral du 6 juin, les deux préalables posés par la coalition FNDD-RFD, pour seulement discuter d’un accord. L’annulation de l’agenda ayant été obtenue, la libération des détenus a été rapidement prise en charge, par les médiateurs, comme condition préalable, non écrite pour, prétendument, ménager la Justice mauritanienne. Lorsqu’on eut presque tout arrêté, la question de la dissolution du HCE a surgi comme source de blocage. Le général ne voulait rien entendre sur le sujet. La France aussi, dont le représentant, l’ambassadeur en poste à Dakar, prétendait que le maintien de cette institution était une exigence de la sécurité du pays et de la lutte contre le terrorisme. Parlant au nom du pôle du Président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi et fort de la solidarité des négociateurs du RFD, sous la direction, ferme et habile, de Mohamed Abderrahmane Ould Moïne, je me suis élevé contre l’attitude de la Communauté internationale qui exerçait toutes sortes de pression pour obtenir la démission volontaire d’un président élu démocratiquement et tentait de légitimer la junte qui avait renversé celui-ci. Et, pour ne laisser place à aucune équivoque, j’ai déclaré, solennellement, que, sans la dissolution préalable du HCE, il n’y aura pas de démission du Président. Finalement, le groupe de contact recula et décida d’adopter notre position, tout en demandant de ne pas l’inscrire explicitement, pour lui faciliter la tâche de persuasion du général. Le texte de l’accord comporte, cependant, une allusion qui implique la disparition de toutes les structures militaires non conformes à la Constitution. Au cours de la séance solennelle de paraphe du texte, à l’hôtel Méridien de Dakar, les discours du Président Wade et du Président du Groupe de Contact International, Ramdane Lamamra, ont réaffirmé, clairement, l’engagement de la Communauté internationale sur ces deux points.

– Rétrospectivement, l’opposition a-t-elle eu raison de signer cet Accord ?

Quels choix avions-nous, au moment des négociations de Dakar ? Dans des moments pareils, il est impératif d’être lucide et d’apprécier, correctement, le rapport de forces pour ne pas commettre d’erreur fatale. La coalition FNDD-RFD, dans l’épreuve de force qui l’opposait à la junte, comptait, principalement, sur deux atouts : l’occupation de la rue, c’est-à-dire le soutien populaire, et le soutien de la Communauté internationale. A notre départ pour Dakar, nous savions que les forces anti-putsch, engagées, depuis plus de dix mois, dans une épreuve de force éprouvante, commençaient à manquer, sérieusement, de souffle. Elles n’étaient plus en mesure de mettre en échec, par l’occupation de la rue, l’agenda électoral du 6 juin, objectif principal de la Coalition. D’un autre côté, à l’ouverture des négociations, nous découvrîmes combien la position du Groupe de Contact International avait totalement changé, en pratique : il ne s’agissait plus de faire pression sur la junte mais, plutôt, de se débarrasser de la crise mauritanienne, en imposant, à la Coalition, une reformulation de l’agenda du 6 juin qui sauve, juste, les apparences. On réclamait au Président Sidi de démissionner mais pas à la junte de s’auto-dissoudre ! Une fois, lors des négociations de Dakar II, j’interpellais, en aparté, les médiateurs, sur l’explication de ce retournement. L’un d’eux me répondit crûment : « où est la Communauté internationale ? Son bateau a pris l’eau de partout ! » Il aurait pu ajouter : sous la conduite de l’Union Africaine dont le Président, le Guide libyen, avait, ouvertement, pris fait et cause pour le général et son agenda électoral unilatéral. Des pays auparavant hostiles au putsch faisaient, désormais, profil bas. Par contre, ceux qui étaient favorables à la junte menaient, publiquement, la partie. Autre difficulté, cette fois interne : le FNDD et le RFD n’avaient pu, avant Dakar, se mettre d’accord sur une proposition de sortie de crise. Ce qui rendra vaine toute tentative de faire aboutir deux exigences, pourtant fondamentales : la conduite de la transition par le Président Sidi, réclamée par le FNDD, et l’interdiction de candidature au général, réclamée par le RFD. Les deux délégations durent contourner ces divergences absurdes et se coordonner, admirablement par ailleurs, durant tout le processus de négociations, afin de faire aboutir leur plate-forme commune : mettre en échec le scrutin du 6 juin, obtenir la libération de nos détenus et donner, à notre camp, un second souffle, devenu vital, pour espérer reprendre l’initiative, sans renoncer aux principes essentiels de notre cause.

Malgré un rapport de forces défavorable, les résultats de l’Accord de Dakar étaient tangibles, dès après sa signature, le 4 juin à Nouakchott. D’abord, l’avènement d’une nouvelle atmosphère politique, d’une sorte de sentiment de délivrance exceptionnel, avec l’échec du 6/6, la libération des détenus, la mise en échec du putsch, par le rétablissement prévu du Président Sidi dans ses fonctions, autant d’éléments qui provoquèrent la déstabilisation politique du camp putschiste. Ce changement remarquable de direction du vent illustrait, mieux que tout autre indice, la portée véritablement salutaire de l’accord. Le deuxième axe consacrait l’ouverture d’une transition électorale courte – du 6 juin au 18 juillet, soit 43 jours – mais libre, avec des garanties substantielles, pour le camp anti-putsch : la moitié du gouvernement de transition, dont les ministères en charge du processus électoral (Intérieur, Finances, Information), la majorité de la Commission Electorale Nationale Indépendante [CENI] – de fait, la Coalition FNDD-RFD en désignera les deux tiers – une révision exceptionnelle de la liste électorale, pour au moins trois semaines, la neutralité de l’institution militaire, etc. Enfin, l’étape postélectorale qui prévoyait la poursuite du dialogue sur des questions de fond : réorganisation des institutions de défense et de sécurité, mécanismes de préventions des changements anticonstitutionnels, réformes institutionnelles, stratégie de lutte contre la corruption, etc.

Bien sûr, d’autres points étaient à l’avantage du camp du général : transition très courte, s’achevant le 18 juillet, choix du Premier ministre et droit d’éligibilité d’un officier putschiste.

Mais, en comparaison de crises similaires, à Madagascar ou au Honduras, par exemple, nous nous en sommes bien tirés, au total. Dans le premier cas et malgré le soutien des pays voisins de la SADEC, l’accord de Maputo n’a pas prévu le rétablissement du président déchu, pourtant démocratiquement élu. Au Honduras, la formule de l’Accord de Dakar a été adoptée. Pourtant, malgré le soutien des Etats latino-américains, le président renversé n’a jamais été rétabli au pouvoir, même symboliquement.

Certains, après coup, regrettent la conclusion d’un accord de sortie de crise. Pour eux, il eût mieux valu laisser le général faire son 6/6, rester illégitime et isolé de la communauté internationale. Bien sûr, une telle vision est simpliste, parce qu’elle associe l’accord et le résultat du scrutin du 18 juillet. Par essence, ce type de compromis ouvre la possibilité de victoire, pour toutes les parties, mais ne la garantit, pour aucune. Il fixe un champ et des règles du jeu. C’est la compétition et les manœuvres, dans la mise en œuvre qui modifient le rapport de forces, en faveur de l’une ou de l’autre des parties. Par exemple : le général a manœuvré, pour réduire la période de transition, repoussant son point de départ au 27 juin. Pourtant, elle devait commencer « au plus tard », le 6 juin, comme le prévoyait l’accord. Les candidats de l’opposition ont accepté le fait accompli. A partir de là, la violation de l’accord deviendra systématique et le résultat, inévitable. En somme, lorsqu’il y a faux jeu, il faut s’en prendre au tricheur et non aux règles du jeu. Dans tous les cas, il est toujours fatal de le laisser faire. Voyez comment les choses se passent, pour la Côte d’Ivoire, et vous comprendrez que l’application des compromis est un champ plus difficile que la lutte politique ouverte.

Laisser passer le 6/6 aurait été prendre le risque de se retrouver devant un général, certes mal élu, mais qui ne pourrait plus être déboulonné que par la violence, mère de tous les dangers et excès, pour le pays. Soit, me diriez-vous, mais il serait resté isolé, au plan international. Avec la lassitude générale, face à la crise mauritanienne, et l’hostilité de la plupart des régimes arabes à l’expérience démocratique, il n’y avait, vraiment pas, de quoi inquiéter notre putschiste. Au pire, la poursuite de l’isolement total restait de nature à provoquer l’effondrement du pays et le chaos, bien avant que le dictateur en place ne lâche prise. Les exemples en ce sens sont légion.

Qu’est-ce qui s’est passé, en coulisses ? Avez-vous subi des pressions, pour signer ou pour faire des concessions ?

Une grande partie des tractations se déroulait, effectivement, dans les coulisses. Je dois avouer mon admiration pour l’habileté diplomatique et, également, l’endurance des deux meneurs du jeu, le ministre d’Etat sénégalais, Cheikh Tijane Gadio, et le Président du Groupe de Contact International, Ramdane Lamamra, le plus souvent assistés par le Représentant du Secrétaire général de l’ONU, Saïd Djinnit. Après une longue journée et une longue nuit de discussions sans fin, ils trouvaient, quand même, le temps de faire le point entre eux, avant de vous rappeler, à 3 ou 4 heures du matin, sans doute pour vous « avoir » à l’usure mais, aussi, pour débloquer la situation, en tentant une nouvelle approche. Pour le moment, je n’en dirai pas plus. En ce qui concerne les pressions, les délégations de la Coalition FNDD-RFD en subissaient de très fortes, de la part de l’opinion publique, en faveur de la conclusion d’un accord. Nous n’étions pas les seuls à passer des nuits blanches à l’hôtel Méridien. Il y avait, non loin de nous, de nombreux représentants de la communauté mauritanienne (journalistes, étudiants, commerçants etc.).

Quel fut le processus d’élaboration du document final ? Certains pensent que les pôles mauritaniens n’ont pas participé à sa conception. Qu’en est-il ?

La question de la formule de sortie de crise a commencé à préoccuper tous les esprits, dès le lendemain du putsch. Il y eut l’approche du Conseil de Paix et de Sécurité [CPS] de l’Union Africaine, très proche de celle du FNDD, qui préconisait le rétablissement, pur et simple, du Président Sidi, tel que formulé dans la décision du 23 septembre 2008, portant ultimatum et adressé à la junte le 6 octobre. La seconde approche, préconisée par la France, en prit le contre-pied et se manifesta, formellement, dans la déclaration de l’Union Européenne, à l’issue des consultations de Paris du 20 octobre : n’était désormais exigé que « la libération du président Sidi et sa contribution à la recherche d’une solution ». Formule refilée au Groupe de Contact International sur la Mauritanie, qui définit, dans ses réunions du 10 et 21 novembre, le cadre de toute solution : la libération du Président Sidi, sa contribution, de par son statut, à la recherche d’une solution consensuelle, conforme à la Constitution, l’implication de toutes les parties et, élément nouveau, l’idée d’organiser une élection présidentielle. Le CPS profita de l’échec des discussions avec la junte, durant le mois de décembre, pour relancer son ultimatum, le 23 de ce mois, encore réitéré le 6 février 2009. A nouveau, le GCI se réunit, cette fois à Paris, le 20 février, et remit sur la table son approche qui appelait à un dialogue inclusif, sous la supervision du Guide libyen, président en exercice de l’UA. On connaît la suite. Le premier document pour une solution de sortie de crise fut préparé avec Madani, à Nouakchott, mais aussitôt remis en cause, par la décision de Khaddafi de soutenir le général Ould Abdel Aziz et son agenda unilatéral. A partir de ce moment, l’UA sera pratiquement hors jeu. De même que le GCI qu’elle dirigeait.

Pourtant, les acteurs nationaux avaient, eux aussi, leurs propositions de sortie de crise. En septembre 2008, le Président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boukheir, avançait une initiative qui préconisait le rétablissement du Président Sidi, avec l’organisation d’élections présidentielle et législatives anticipées. Formule reprise, d’une certaine façon, en janvier 2009, dans l’initiative lancée par le Président Sidi lui-même. Toutes les missions internationales étaient l’occasion de débattre des différentes approches. Le FNDD avait, en particulier, mis sur pied une commission diplomatique très dynamique qui déploya, avec des moyens dérisoires, une impressionnante activité, en direction de nombreux pays d’Afrique, d’Europe, d’Amérique du Nord et du monde arabe. Comment penser, dans un tel contexte, qu’un plan de sortie de crise pouvait se passer de notre participation ?

En ce qui concerne l’accord de Dakar, tout a commencé par une proposition en cinq points, soumise par le médiateur sénégalais, monsieur Gadio, au milieu du mois d’avril. C’est ce texte qui évoluera, petit à petit et avec notre pleine participation, jusqu’au draft final de l’Accord, signé le 2 juin.

Vous parlez, souvent, de coup d’Etat contre les accords de Dakar. Qu’entendez-vous par là ?

Par deux fois, le camp du général décide de convoquer, unilatéralement, le corps électoral, en violation flagrante de la lettre et de l’esprit de l’Accord de Dakar, qui avait consacré la gestion consensuelle entre les trois pôles, comme principe cardinal de sa mise en œuvre. La première tentative se produisit le 23 juin. Auparavant, dix jours après la signature de l’accord, les médiateurs n’arrivaient pas à faire accepter, au général Mohamed Ould Abdel Aziz, le principe de la dissolution du Haut Conseil d’Etat. Ils incriminaient, d’ailleurs, l’attitude de certains pays européens, plus intransigeants, selon eux, sur la question que le Général lui-même ! Puis, soudain, à partir du dimanche 14, le Président Wade semble avoir réussi à débloquer la situation : la question n’est plus qu’un problème de formulation, pour ménager la susceptibilité des militaires, et d’agencement, entre l’autodissolution du HCE et la démission du Président Sidi. En contact téléphonique avec le Président Sidi et le général, le Président Wade passe d’une formulation à une autre, pour obtenir un consensus. Finalement, les négociateurs des trois pôles essaient, à leur tour, de trouver la formulation-miracle du texte d’autodissolution du HCE. Le mercredi 16 juin, Gadio, le ministre sénégalais, est aux anges, il pense pouvoir organiser, dès le lendemain, la cérémonie de mise en œuvre de l’Accord de Dakar. Puis, à 22 heures, tout s’écroule : le général change, à l’improviste, de négociateur. Sid’Ahmed Ould Raïs, qui a négocié l’Accord, est remplacé par Mohamed Yahya Ould Horma. Ce dernier arrive et, au cours d’une brève réunion à l’hôtel Tfeila, transmet à Gadio, en notre présence, le rejet, non pas seulement, de la dernière proposition de Wade mais, aussi, du principe même de l’autodissolution du HCE. La colère du médiateur sénégalais explose : il sait que ce niet jette le bébé avec l’eau du bain et que cela annonce un changement radical de cap du général. Le lendemain, lors de la réunion, à huis clos, des ambassadeurs du GCI, on cherche à sauver l’accord et une proposition est adoptée : organiser une négociation de la dernière chance, à Dakar, dès le surlendemain samedi. C’est alors, selon une source digne de foi, que le représentant d’un pays européen prévient, officiellement, l’assistance que son gouvernement accordait 48 heures, aux discussions de Dakar 2, pour aboutir. Faute de quoi, il soutiendrait tout processus électoral qu’engageraient, unilatéralement, les autorités en place ! Le lendemain vendredi, le directeur de campagne du général organise, à son tour, une conférence de presse et lance un ultimatum similaire, avec, pour échéance, le lundi 22 juin, soit dans 48 heures ! La coordination entre les deux semble donc parfaite. Il était clair que l’intransigeance du général était encouragée de l’extérieur et que Dakar 2 visait à seulement trouver le bon prétexte pour imputer la responsabilité de l’échec au Président Sidi.

Au terme de longues tractations, les négociateurs du FNDD et du RFD réussirent à déjouer la manœuvre : le Groupe de Contact désigna le général comme seul responsable du blocage. Visiblement, ce dernier ne se rendit pas compte de la portée de ce retournement de situation, puisqu’il passa à l’étape suivante de son plan. Dans la soirée du 23 juin, le président par intérim de la junte, Bâ Mbaré, signe, à la surprise générale, un décret convoquant le corps électoral pour le 18 juillet, « conformément à l’Accord de Dakar », ajoute le texte ! Mais le pays européen sur lequel le général comptait ne pouvait plus le suivre dans l’aventure et défier, ainsi, le reste de la communauté internationale. Le mercredi 17 juin, le Conseil Constitutionnel rejette le décret Bâ Mbaré et le coup de force avorte. A ce moment précis et au terme du long processus de négociations, la coalition FNDD-RFD se retrouvait dans une situation idéale : le 6/6 avait échoué, les détenus étaient libérés, la conjoncture politique, transformée favorablement, et neutralisées, de surcroît, les velléités de solutions unilatérales putschistes. Pourtant, elle n’avait, encore, pratiquement rien cédé. L’initiative était, désormais, entre ses mains. Mais, de façon inexplicable, elle ne put, hélas, s’en servir, ce qu’elle paya chèrement, par la suite.

Toujours est-il que le général se résigne à accepter la proposition du GCI qu’il avait rejetée à Dakar 2. Le 27 après 0 heure, le président Sidi est rétabli dans ses fonctions. Il nomme le Gouvernement de transition, la mise en œuvre de l’Accord de Dakar commence, enfin, mais avec un retard de 21 jours, sur le calendrier convenu. Dans sa réunion de prise de contact, le Premier ministre, Moulaye Ould Mohamed Laghdaf, met sur la table un projet de décret, convoquant le corps électoral pour le 18 juillet, identique, en tous points, au précédent. Les ministres de la coalition s’y opposent, puisqu’il réduit la transition, des 43 jours prévus à seulement 21 jours, insuffisants pour mener à bien les préparatifs nécessaires. Il n’est, d’ailleurs pas, acceptable de ne pas respecter la date de départ et d’exiger le respect de la date d’arrivée. Réuni pour une prise de contact, le 27 juin à 19 h, le Conseil des ministres se disperse à 4 du matin, le lendemain, sans prendre de décision. Et pourtant, vers 10 heures du matin, l’agence officielle d’informations publie ledit décret, signé par le Premier ministre et le secrétaire général du Gouvernement. Pourtant, le Premier ministre était tenu, sur l’honneur et par un engagement écrit, d’observer une stricte neutralité entre les pôles. Il s’agissait, donc, d’un coup d’Etat, évident, contre l’accord de Dakar et, notamment, le principe de la gestion consensuelle du processus électoral.

Le Comité de suivi du GCI ne tint aucun compte de nos protestations et son président s’en fut engager le Conseil constitutionnel à laisser faire. La coalition FNDD-RFD tenta de réagir puis commit l’erreur, fatale, d’accepter le fait accompli, sous-estimant les combines de l’adversaire et surestimant ses capacités de les neutraliser. A partir de ce moment, la coalition perdit définitivement l’initiative et le contrôle des événements. Toutes les garanties inscrites dans l’accord (CENI, fiabilité du fichier électoral, neutralité de l’armée, etc.) furent vidées de tout contenu. Dans ces conditions, le résultat du 18 juillet devenait imparable.

– Comment expliquez-vous le rejet, par la majorité et notamment le président Ould Abdel Aziz, de l’Accord qu’ils ont, pourtant, signé devant témoins ?

Je ne me l’explique pas vraiment. Peut-être qu’ils n’ont pas l’habitude de cogérer ou de se mouvoir dans une entreprise qui échappe à leur contrôle. C’est un fait que le camp putschiste n’a jamais accepté, de bonne grâce, ni la conclusion de l’accord, ni la mise œuvre d’une quelconque de ses dispositions. Rappelez-vous du blocage de la libération du Premier ministre et de ses compagnons ou de la dissolution du HCE. Le blocage, également, de la nomination des démembrements de la CENI, etc. Son rejet actuel des clauses relatives à la poursuite du dialogue s’inscrit, me semble-t-il, dans le même état d’esprit d’hostilité à l’accord.

– Quel rôle a effectivement joué le Comité de Suivi ? Etait-il réellement neutre, au moment des négociations ?

Le Comité de suivi était une structure locale, mise en place par le GCI, et se composait des ambassadeurs accrédités à Nouakchott, sous la présidence du Tchadien Nadif, représentant l’Union Africaine. Tout ce que je peux dire, c’est qu’il a été d’une inefficacité surprenante, chaque fois que nous l’avons saisi d’une violation nette de l’accord. Il n’a même pas pu obtenir la mise en place d’une commission interministérielle chargée de contrôler l’action des commissariats aux droits de l’Homme et à la sécurité alimentaire, comme convenu entre toutes les parties.

Comment expliquez-vous l’échec de l’opposition, après la mise en œuvre de l’Accord et, notamment, à la présidentielle ? Ould Abdel Aziz vous a-t-il pris vos électeurs, comme ont tendance à le dire certains analystes, en s’appropriant les thèmes sur lesquels vous avez toujours mené campagne ?

L’opposition a, sans doute, sous-estimé la portée, significative mais pas déterminante, au sein des masses déshéritées, du discours du général sur la pauvreté, la gabegie, etc. Je crois que les vraies raisons de notre échec électoral résident dans les combines de l’adversaire, dénoncées dans les recours de nos candidats, en particulier les manipulations du fichier électoral et le système de corruption systématique, appuyée par une utilisation de faux bulletins et de fausses cartes d’identité. Nous avons commis plusieurs erreurs mais deux ont été fatales. D’abord, d’avoir laissé passer l’occasion de renégocier le calendrier électoral et de récuser les deux auteurs du premiers décret-putsch du 23 juin, au lendemain de celui-ci. La seconde, beaucoup plus grave de conséquences, d’avoir accepté le coup de force du 28 juin. Mais nous n’avons pas perdu la possibilité de remonter la pente parce que la Mauritanie, Dieu merci, est toujours là, en paix et les forces de changement plus unies qu’avant.

Après sa réussite à Bruxelles, le pouvoir risque de ne plus faire grand cas du dialogue avec l’opposition. Au vu des rapports de forces et du soutien des bailleurs de fonds, comment pensez-vous lui faire entendre raison ? Ce n’est pas facile, mais s’il est raisonnable, nous y arriverons.

Propos recueillis par Ahmed Ould Cheikh

 

Source: Le Calame Via Marega Baba

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