Ahmed Ould Hamza, président de la Communauté urbaine de Nouakchott

« Les pesanteurs et la faiblesse de culture démocratique chez certains de nos responsables administratifs constituent des entraves à la gestion de la ville ».

 

La dernière conférence du Président de la Communauté Urbaine de Nouakchott, Ahmed Ould Hamza a fait couler beaucoup d’encre. Et a provoqué une véritable polémique, notamment les aspects relatifs aux prérogatives de la communauté urbaine et aux blocages dont  elle fait l’objet de la part des pouvoirs publics. Dans cette interview exclusive, il revient sur tous ses points.

Le Calame : Lors de votre dernière conférence de presse, vous avez été très critique vis-à-vis des Pouvoirs Publics. Ceci exprimerait-il  un ras-le-bol de votre part ?

Ahmed Ould Hamza : Je crois que vous vous êtes habitués à mon franc-parler. Je dis haut ce que je pense et fais ce en quoi je crois. Je ne critique jamais pour le simple plaisir de le faire, mais pour que les choses s’améliorent dans le bon sens. Pour moi, toute critique objective ne peut qu’être salutaire pour tout changement constructif et dans l’intérêt général.

Certes, je suis très déçu de la conception erronée que se font de nombreux responsables administratifs au sujet de l’avènement dans le pays d’une vraie décentralisation et d’une Administration au service du développement et des citoyens. Cependant, mon objectif, lors de ma dernière conférence de presse, était de tirer l’alarme à l’attention des premiers responsables du pays pour pallier aux graves disfonctionnements qui continuent d’entraver ma mission de premier citoyen d’une ville aussi importante que la ville de Nouakchott.

Mais qui a intérêt à vouloir vous mettre des bâtons dans les roues ?

Je m’empresse de vous dire que, à ma connaissance, je n’ai pas d’ennemis personnels. Aussi, je gère la CUN non pas en fonction de mon appartenance politique (que je ne nie pas), mais en tant qu’administrateur de toutes les populations de Nouakchott, toutes tendances politiques confondues. Pour les entraves qui gênent ma gestion de cette ville, je pense qu’il s’agit seulement de pesanteurs et de faiblesse de culture démocratique chez certains de nos responsables administratifs. Lesquels n’ont pas, après plus de deux décennies de pluralismes politique et de démocratisation du pays, encore bien compris les exigences de la transparence de la gestion de la chose publique et de la complémentarité indispensable des rôles des différents acteurs du développement économico-social de notre Nation. Je profite de cette opportunité que vous m’offrez, à travers les colonnes de votre journal, pour dire que j’étais et demeure disponible, comme tout élu auxiliaire de l’Etat soucieux de réussir sa mission, pour contribuer efficacement à toute initiative qui serait de nature à améliorer les conditions de vie de mes administrés au niveau de la ville de Nouakchott, en particulier, et des Mauritaniens, de façon plus générale. Ce qui, toutefois, ne m’empêchera pas de reconnaître les réussites et de mettre en exergue les insuffisances.

Cette approche ne contredit-elle pas le ton jugé par certains assez radical de votre dernière conférence de presse et le discours actuel de votre parti ?

Soyons clairs. Je ne suis point un radical, mais quelqu’un qui pense librement et exprime ce qu’il pense. Moi,  je fais la part des choses entre mon appartenance politique (qui est une affaire personnelle) et mes responsabilités à la tête de la CUN. Une séparation que, je crois avoir, jusqu’ici, pleinement respectée. Je me suis toujours comporté comme président de la CUN avec toutes ses composantes politiques.
Force est de reconnaître, cependant, qu’étant, par nature pragmatique, poussé à la recherche de l’efficience et, fortement attaché à la légalité et au respect strict des formes et des normes, je réprouve avec force toute langue de bois, tout manque de franchise et de transparence.
J’apprécie, néanmoins, à leur juste valeur et sans compromission, les bonnes réalisations, surtout quand cela concerne ma ville, Nouakchott.
Et c’est le  lieu, ici, pour moi de saluer les importantes réalisations en matière de santé, d’énergie, de bâtiments publics, de voirie et d’infrastructures exécutées au cours des derniers mois ou encore en chantier, notamment, au niveau de la ville de Nouakchott et qui vont, certainement, changer positivement le visage de cette grande agglomération, après plusieurs décennies d’immobilisme et d’insouciance . Même si, quelques fois, ces réalisations n’ont pas toujours respecté les formes et procédures prévues.
Tout en reconnaissant la pertinence de ces réalisations exécutées par le Gouvernement, je tiens à rappeler que la CUN n’a pas été en reste en termes de projets de développement au niveau de la ville de Nouakchott.
C’est ainsi qu’une trentaine de kilomètres de voiries ont été réalisées à hauteur de 80% au cours des douze derniers mois sur financement en grande partie de l’AFD et le reste supporté par la Banque Mondiale.
Je profite de cette occasion pour remercier les partenaires au développement cités plus haut, sans oublier l’Union Européenne, la région Ile de France, l’AIMF et la ville de Lausanne qui eux, également, ont contribué pour un montant global de 2,5 millions d’euros environ pour l’approvisionnement en eau et en énergie solaire de certaines communes de Nouakchott.
Aussi, sur financement de l’AFD, la CUN, va-t-elle disponibiliser au profit des neuf communes de Nouakchott, une enveloppe de 800 millions d’ouguiya pour l’exécution de projets socio-économiques.
D’autres projets sont en cours de finalisation auprès de certains de nos partenaires au développement et dans le cadre de la coopération décentralisée.
La CUN a pu atteindre ces objectifs en dépit d’une situation très difficile à ma prise de service. Tous ses comptes étaient au rouge.
Une situation qui a été dépassée au prix de grands efforts et de saine gestion. Ce qui s’est traduit aujourd’hui par des comptes excédentaires (2 milliards d’UM environ dans ses comptes).  Cette sensible amélioration de la gestion de la CUN s’est effectuée en l’absence de toute subvention de l’Etat ou de quote-part du Fonds régional mais, seulement avec les maigres recettes de la Patente et de la contribution foncière. Deux taxes difficilement recouvrables.
Par rapport au discours de mon parti, je vous dirai que le parti a des chefs qui l’engagent et que Hamza a une logique et un état d’esprit.
Pour mener à bien votre mission d’élu et de président de l’Association des Maires de Mauritanie, qu’attendez-vous au juste des Pouvoirs Publics ?

C’est très simple. J’en attends tout d’abord une vraie décentralisation. Car, je persiste à le dire, il ne peut y avoir de développement viable qu’à travers une vraie décentralisation.
– Ensuite, que l’on cesse de me traiter uniquement en fonction de ma casquette politique,  oubliant que je suis avant tout premier responsable de la capitale politique du pays et Président de l’Association des deux cent seize Maires de Mauritanie ;
– Que chaque responsable administratif, à quelque niveau qu’il se trouve, œuvre efficacement à l’application de la politique de décentralisation voulue par les Pouvoirs publics et dont l’utilité pour le développement du pays n’est plus à démontrer.
– La disponibilisation par l’Etat des moyens (surtout financiers) nécessaires à la mise en application de cette politique de décentralisation ;
– Le strict respect, dans la pratique et non pas seulement en théorie, des prérogatives dévolues aux responsables municipaux ;
Que l’on comprenne et  accepte une fois pour toute que l’élu municipal fait partie intégrante de l’appareil de l’Etat avec sa spécificité de représentant des citoyens. Aussi, l’élu joue-t-il un rôle déterminant dans la vie politique nationale par le parrainage  des candidatures à la Présidence de la République et l’élection des Sénateurs. A ce titre, et en tant que représentant des citoyens, il a droit à la considération de la part des Pouvoirs publics et non pas au mépris, comme c’est, malheureusement, le cas sous nos cieux. Car mépriser cet élu, c’est également mépriser les citoyens qui l’ont choisi.
– L’instauration d’un véritable partenariat entre l’Etat, les communes et tous les autres acteurs nationaux du développement dans l’intérêt bien compris des populations.

En un mot, que chacun fasse au mieux son travail et laisse les autres en faire de même. En ce qui me concerne, je suis, d’ores et déjà, disponible pour un tel partenariat et pour contribuer de façon constructive à la réalisation de ces objectifs.

Deux grands thèmes sont actuellement au centre des débats : le blocage politique et la question linguistique en Mauritanie. Qu’avez-vous à dire à ce sujet ?

Je commencerai par le débat sur les langues, pour dire, d’emblée, qu’il s’agit d’un faux débat.
En effet, et comme stipulé dans notre Constitution, l’Arabe est à la fois langue nationale et langue officielle du pays.
Tandis que le Pulaar, le Soninké et le Wolof sont les autres langues nationales.
Ces dernières, dans un souci de cohésion nationale, ont besoin d’être développées et enseignées. Ceci est une réalité que personne ne pourrait remettre en cause. Cependant, la mondialisation à laquelle aucun pays ne peut plus échapper exige l’ouverture vers les autres pays à travers la maitrise de plusieurs langues universelles.
En ce qui nous concerne, le Français fut et demeure encore notre principale langue d’ouverture sur l’extérieur. Il doit en conséquence être maintenu et renforcé par l’apprentissage d’autres langues universelles, notamment, l’Anglais et l’Espagnol.
Aussi et sur un autre plan, nous devons être fiers de notre diversité culturelle et linguistique. Laquelle diversité constitue un riche capital que nous devons préserver à tout prix, en mettant l’accent sur ce qui nous unit et en évitant ce qui peut nous diviser.
Dans ce cadre, je citerai deux exemples : d’abord le mien. Je suis un arabe de souche (même si pour des raisons indépendantes de ma volonté, je ne maitrise pas bien la langue arabe), qui a vécu dans un autre environnement où l’on utilise, essentiellement, le Wolof et le Français.
L’autre exemple concerne les nombreux Pulaars, Soninkés et Wolofs qui maitrisent la langue arabe mieux que ceux dont c’est la langue maternelle.
Il faut dépassionner cette question et permettre à chacun de s’épanouir librement selon ses besoins et de ses possibilités.
Par rapport au blocage politique, nous sommes lassés de la politique politicienne qui n’a rien apporté, jusqu’ici, en termes de développement.
Cette politique, qui est suivie depuis plus de deux décennies, n’a servi qu’à appauvrir les gens par les sommes colossales qu’ils investissent dans ce « sport favori » de notre élite politique.
Il est donc grand temps de mettre un terme à tout cela pour qu’ensemble (Pouvoir et Opposition), nous construisons notre pays.
C’est de cela que notre pays, très en retard en termes de développement par rapport aux autres pays de la sous région, a, aujourd’hui plus que jamais, besoin.
Nous devons être jaloux de ces pays qui se construisent, au moment où nous, nous perdons beaucoup de temps dans des querelles stériles.
Dans ce cadre, je souhaite l’instauration d’un dialogue franc et sincère entre la Majorité et l’Opposition ; un dialogue qu’il revient à la Majorité qui gère le pays d’initier. Il revient également à cette majorité et en guise de signe de bonne volonté de coopter, dès maintenant, des cadres valables issus des rangs de l’Opposition.
De son coté, l’Opposition doit dépasser l’actuel blocage et s’ouvrir à ce dialogue, car le pays à besoins de toutes ses énergies et potentialités pour décoller. L’intérêt du pays doit primer sur toute autre considération.
Pour me résumer, il est temps de tourner la page du passé en mettant fin aux règlements de comptes soient-ils justifiés ou non et aller vers l’édification d’une Mauritanie apaisée, prospère aux frontières sécurisées et où il fait bon de vivre.
Une Mauritanie garante du bien-être de ses citoyens et leur assurant justice et démocratie.
Permettez-moi ici, d’ouvrir une petite parenthèse à l’endroit de notre jeunesse qui étouffe, pour dire que celle-ci aspire à l’instar des jeunesses des autres pays à un meilleur cadre d’émancipation culturelle et sportive. Elle a besoins que tout son temps soit bien rempli.

A vous entendre ou vous croirait déjà en campagne électorale. Est-ce à dire que vous allez rempiler  pour un autre mandat ?

 Vu la situation difficile que j’ai vécu et continue de vivre à la CUN, je tiens à vous confirmer que je n’ai aucunement l’intention de rempiler pour un nouveau mandat municipal. Je vous ferai ici une petite confidence en vous disant que, jusqu’ici, deux facteurs m’ont dissuadé de rendre mon tablier.
Il s’agit, d’abord, de mon statut d’élu d’un parti auquel par souci moral, je ne voudrai pas faire perdre une charge élective qu’il a  déjà remportée.
L’autre facteur concerne l’engagement solennel que j’ai pris avec le Bureau Exécutif des Maires francophones pour organiser leur prochaine réunion en mars 2011 à Nouakchott.
Un Grand honneur pour une petite ville comme Nouakchott de recevoir les maires des grandes capitales francophones que sont Paris, Genève, Montréal, et j’en passe.
Un honneur dont je ne voudrais pas priver ma ville qui m’a choisi pour la diriger.

 

Source  :  www.lecalame.mr  le 27/05/2010

 

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