Transport : Trois pas en arrière

Le 6 mai dernier, la délégation européenne de Nouakchott écrivait au ministre des affaires économiques et du développement. L’objet de la correspondance, largement reprise par la presse nationale, était la «réforme du secteur des transports terrestres»

Dans cette lettre, le représentant de l’Union Européenne à Nouakchott rappelait au ministre certains engagements pris par la Mauritanie dans le cadre de la politique de libéralisation du secteur des transports, décidée depuis quelques années déjà. Mais dont les applications étaient rendues difficiles par divers blocages. Notamment en ce qui concerne la mise en place effective de la commission de suivi décidée d’un commun accord et devant comprendre les opérateurs du secteur et les deux bailleurs principaux – UE et Banque Mondiale – comme observateurs.

«La convention de financement qui nous lie avait établi que la Commission réaliserait le suivi de l’exécution du projet d’appui à la Réforme». Ce qui n’a pas été fait, parce que le ministre a invoqué des contraintes empêchant la mise en place effective de cette commission. Le délégué européen lui, indique qu’«il faudrait envisager un cadre analogue à la commission pour que la convention soit toujours respectée ; c’est-à-dire un cadre qui assure le suivi de la réforme dans lequel les bailleurs de fonds déjà représentés dans la Commission puissent maintenir leur place en tant qu’observateurs». C’était le 6 mai 2010.

En fin de semaine dernière, le ministère de l’équipement et des transports a rendu public un Arrêté créant une autorité de régulation du transport routier. Mercredi dernier, Cheikh Sid’Ahmed Ould Baba, colonel à la retraite, ancien président de l’Assemblée nationale sous Ould Taya dont il a été directeur de campagne en 2003, est désigné pour diriger cette autorité. Le même jour, et avant même qu’il ne prenne service, Taqi Ould Dhmine est nommé Gestionnaire national de l’autorité. On semble vouloir aller vite. Comme si…

L’arrêté 710 est daté du 29 mars 2010. Il a donc été occulté jusqu’à sa publication le 12 mai. Il est une reprise approximative – totale dans l’esprit – de l’article 757 (18 octobre 1998) créant le Bureau national des transports (BNT) qui avait permis au puissant président de la FNT de l’époque de contourner la réforme des transports et de continuer à engranger taxes et tributs sur le secteur.

Les professionnels du secteur ont juste le temps de constater les dégâts. Juste le temps de faire part de quelques-unes de leurs appréhensions, liées surtout au viol de certaines dispositions des lois et règlements en vigueur.

C’est donc par Arrêté que la nouvelle Autorité est créée et non par loi. Ce qui diminue sa force par rapport à des textes antérieurs et qui restent en vigueur. Par exemple, l’Autorité est chargée, entre autres, «d’organiser, de promouvoir et de développer les transports routiers interurbains ; (…) de gérer et exploiter les gares routières interurbaines ; d’élaborer un règlement intérieur des gares routières interurbaines, fixer les modalités de gestion de ces gares routières, définir les moyens humains et matériels et déterminer les avantages accordés au président et au gestionnaire national».

N’est-ce pas violer les dispositions de la loi attribuant aux communes l’entière responsabilité de la gestion des gares routières ? N’est-ce pas opérer un retour en arrière en restaurant un «règlement intérieur des gares» qui ne peut vouloir dire que le retour à la règle du rang dont la dénonciation a été l’objet d’une âpre lutte dans les années 90 et 2000 ? N’est-ce pas contraire à l’esprit et à la lettre de la «loi d’orientation portant libéralisation du secteur» qui fait office de fondement de la Réforme ? Faudra-t-il retirer l’Arrêté ou réviser les lois en vigueur ?

Si l’on choisit de réviser les lois pour les conformer aux nouvelles dispositions de l’article, il faudra ne pas se limiter aux seuls textes l’organisant. Le code de la route devrait être revisité, selon les professionnels du secteur, pour l’adapter aux réalités mauritaniennes. Le réalisme devrait dicter aux autorités de limiter les exigences en prenant en compte la vétusté du parc, l’éducation des professionnels, l’état des infrastructures, le niveau des intervenants…

«Les ressources de l’autorité de régulation du transport routier sont constituées des redevances payées par les transporteurs à un taux variable selon les catégories de véhicules et fixé par l’assemblée de l’autorité» (article 11 de l’arrêté). Ces recettes sont affectées pour 40% au fonctionnement de l’autorité et 60% à «l’équipement, aménagement et infrastructures et à tout autre investissement destiné à la modernisation de la gestion et de l’exploitation des gares routières». Exactement comme du temps de la puissance Fédération nationale des transports (FNT).

Le problème «légal» ici se pose. Dans ses attendus, l’arrêté fait référence à deux arrêtés antérieurs : le N°1073/MET et le N°1074/MET du 21/11/2005 tous deux. Le premier porte sur le modèle de la lettre de voiture, le second sur celui du manifeste des voyageurs. Le premier a pour objet de définir quantité et nature des marchandises transportées. Le second permet de chiffrer le nombre de voyageurs et leurs destinations. Dans l’esprit de la loi de Réforme, il s’agissait d’introduire des règles pouvant permettre d’avoir des statistiques sur le mouvement des biens et des hommes en Mauritanie. Mais les deux documents permettaient surtout de financer les fédérations parce qu’elles sont les seules habilitées à les délivrer en contrepartie du versement d’un montant donné. Les deux arrêtés étant toujours en vigueur et le présent arrêté y faisant référence, comment faire pour que les taxes perçues soient la source de financement de l’autorité ? Les fédérations se laisseront-elles faire ?

Le présent arrêté pourrait être qualifié d’une innovation de plus dans le cycle, fastidieux en matière de mal gouvernance, du ministère des transports. Peut-on accepter qu’avec un budget dépassant les 20 milliards d’ouguiyas, le ministère de l’équipement et des transports n’ait aucune gare sous son contrôle ? Savez-vous qu’il n’y a pas de gare routière à Nouakchott par exemple ?

La vieille gare de Rosso, celle de 1961, a été «délogée», et le terrain où elle était a été attribué. Il est aujourd’hui objet d’un titre foncier attribué à un particulier. La gare de la FNT, celle de Dar Naim, s’est vu devenir l’extension des lotissements de Hay Saken. Le terrain de celle de Ryad appartient aussi à un particulier…

Le 2 mai dernier, le ministre de l’équipement et du transport écrivait au président de la communauté urbaine pour l’entretenir de l’organisation des gares routières (lettre N°00238/MET du 2 mai 2010). Il lui disait sa préoccupation «par la situation anarchique des gares routières ainsi que de l’atmosphère qui règne entre les différents groupes de fédérations». Comme si n’était le ministère et les fonctionnaires du ministère qui entretenaient une atmosphère délétère dans le milieu.

«C’est dans ce cadre que mon département compte mettre sur pied une autorité de régulation du transport routier regroupant l’ensemble des intervenants». Il écrivait ces lignes le 2 mai alors que l’arrêté portant création de l’autorité est daté du 29 mars. Mauvaise foi ?!?

En attendant, le ministre annonce dans sa lettre «la mise en place chargée de l’organisation des gares routières». Ses missions sont définies comme suit : fonctionnement des gares, «opérabilité du transport à partir des gares reconnues à cet effet», recherche de terrains pour les besoins de gares routières, interdiction du transport clandestin (?), assurance de la sécurité au niveau des gares routières.

Le président de la CUN, Ahmed Ould Hamza, adepte du franc-parler, n’a pas tardé à répondre. En disant en substance au ministre qu’il ne pouvait répondre à une doléance d’une administration non concernée par la gestion des gares. Si le ministère a préféré exclure les collectivités locales auxquelles la loi confère la gestion des gares, c’est qu’il doit aller jusqu’au bout.

 

MFO

La Tribune N°501 du 17 mai 2010

 

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