Mauritanie-Mali: Comment Alger a évité le clash

«Les Mauritaniens n’y sont pas allés avec le dos de la cueillère dans une attaque en règle contre la délégation malienne», a confié une source sécuritaire ayant assisté à la dernière rencontre entre les chefs d’état-major des pays du Sahel, qui a eu lieu le 13 avril dernier à Alger.

 

 

 

 

«Pour Nouakchott, la question était entendue. Il fallait, selon les Mauritaniens, condamner le geste de Bamako et les tractations qui ont précédé la mise en liberté de l’otage français en mars dernier avant de signer quoi que ce soit», a ajouté la même source précisant que l’intransigeance des Mauritaniens n’a pas baissé d’un cran tout au long des travaux et elle a failli provoquer un incident diplomatique entre les deux pays, n’était l’intervention de la délégation algérienne. Cette dernière a réussi, in extremis, à tempérer les ardeurs des uns et des autres.

En coulisses, on n’a pas hésité à accuser Bamako de faire le jeu de la France pour des raisons purement électoralistes. «Pour les Mauritaniens, qui sont allés jusqu’à menacer de quitter la réunion, il était primordial de dénoncer le jeu malsain des Français en Afrique. Selon eux, c’est une question de principe», note encore notre source.

Cependant, pour l’ensemble des autres parties participantes, y compris l’Algérie, l’urgence était plutôt de réunifier les rangs et de rectifier le tir avant qu’il ne soit trop tard. «Connaissant parfaitement les rouages de la politique française en Afrique, au Sahara occidental, aux îles Comores, l’Algérie a opté pour l’apaisement afin d’éviter que le bloc sahélien ne se fissure».
En se pliant aux exigences des ravisseurs, les Maliens n’ont pas hésité à tourner le dos aux appels des Algériens et des Mauritaniens qui réclamaient les terroristes détenus à Bamako et dont Al Qaïda voulait la libération.

Pour Alger, il y a des lignes rouges qu’il ne faut en aucun cas dépasser lorsqu’il s’agit de traiter avec des terroristes. «Ces lignes rouges ont été tout simplement ignorées par les autorités maliennes dans le seul objectif de satisfaire les désirs d’une ex-puissance coloniale, même si cela doit se faire au détriment des principes et des impératifs sécuritaires», a regretté la même source selon laquelle l’élargissement par le pouvoir malien des terroristes réclamés par Alger et Nouakchott, a fait beaucoup de dégâts.

Cette décision irréfléchie a ouvert une énorme brèche dans le front sahélien de lutte contre le terrorisme et le grand banditisme.
C’est dire que l’Algérie a déployé d’énormes efforts diplomatiques pour recoller les morceaux d’une entité qui n’avait pas le droit de se fissurer, surtout en ces moments particuliers de la lutte contre Al Qaida et contre l’ingérence des forces étrangères qui convoitent de plus en plus la région. Dans ce contexte, le message que l’Algérie a envoyé à tout le monde se résume comme suit: «Il faut unir les rangs face à un ennemi mortel et très mobile sur une bande frontalière qui s’étale sur des milliers de kilomètres de désert.» A priori, et avec le retour au calme à la fin de la réunion, le message des Algériens a été entendu.

Même si sur un autre volet et toujours dans les coulisses, un pays comme le Burkina Faso est accusé aussi de faire de la sous-traitance au profit de la France, Algériens, Mauritaniens et Nigériens ont exprimé leur ferme décision de maintenir la cohésion au sein de l’ensemble en axant le travail principalement sur les points de convergence. Selon nos sources, «toutes les questions qui fâchent ont été différées et seront traitées ultérieurement, lorsque les conditions seront réunies». Pour le moment, la première urgence est de pouvoir sécuriser au maximum un territoire cinq fois plus grand que la France, remédier aux éventuelles failles et faire face aux tentatives d’infiltration sous toutes leurs formes.

En dépit de toutes ces divergences, la lutte antiterroriste au Sahel continue de susciter tout l’intérêt de l’Algérie, du Mali, de la Mauritanie et du Niger.
Mobilisés déjà sur le plan de la stratégie et de la collaboration en matière d’échange du renseignement depuis l’installation à Tamanrasset d’un quartier général, ces quatre pays comptent, sur une durée de deux ans, renforcer leurs effectifs en fonction de la situation qui prévaudra et du degré de la menace. Dans deux ans, l’effectif affecté à cette mission, comptera 75.000 soldats dont la composante sera évidemment mixte. C’est à titre préventif que cette démarche a été entreprise, notamment pour mieux contrôler le terrain très vaste mais aussi, ont indiqué des observateurs, pour préserver la souveraineté des pays du Sahel et faire reculer toute tentative d’intervention étrangère.

Des sources bien informées ont indiqué que pour l’Algérie, le choix des soldats qui seront affectés se fera selon certains critères exigeant l’expérience avant tout, des compétences, des soldats rodés et très bien entraînés. La démarche est lancée avec l’idée de ne jamais sous-estimer l’ennemi.
Cette stratégie de renforcer l’effectif intervient également dans le but de mettre fin aux kidnappings opérés presque régulièrement par les réseaux d’Al Qaîda.

Et il semble que la nébuleuse y ait pris goût, depuis l’affaire Pierre Camatte. La libération scabreuse de ce dernier otage d’origine française, enlevé le mois de novembre par Al Qaîda, continue de livrer ses secrets au fil des événements sécuritaires qui ont eu lieu au Sahel.

Après le Mali, accusé nommément par les Mauritaniens, c’est au tour du Burkina Faso de subir les critiques émanant de deux pays du Sahel. Le front sahélien de lutte contre le terrorisme, qui se constitue laborieusement, risque de se fissurer devant la multiplication d’accusations graves selon lesquelles tel ou tel pays ne fait qu’assurer le rôle de sous-traitant au profit de la France.
Malgré les efforts immenses consentis par l’Algérie, on ne peut pas encore dire que la confiance règne totalement entre des partenaires qui n’arrivent pas à accorder leurs «violons».

Quoi qu’il en soit, à Alger, Nouakchott ou à Bamako, il est cependant nécessaire d’unir les rangs afin d’éviter, comme souligné plus haut, une intervention étrangère. Et avec tout ce qui se passe au Sahel et la menace jugée importante par des stratèges bien avertis, l’Agence européenne de coordination du renseignement annonce dans un rapport que les actes terroristes ont décru de 187 à 110 entre 2008 et 2009 concernant les réseaux islamistes.

Mais cela ne représente en aucun cas la réalité sur le terrain, selon nos sources.

 

Source  :  www.lexpression.dz   (Algérie) le 03/05/2010

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