GRINCEMENTS DE DENTS ENTRE PARIS ET DAKAR : KARIM, LE NOEUD DU PROBLEME

Comme dans l’affaire de Millicom, après la publication de l’article de Laurence Delevigne sur le site d’informations Businessinder.com, les dernières révélations du journal «Le Républicain Lorrain» sont la face visible de fortes manœuvres à l’Elysée.

 

 

 

Qui visent, en réalité, l’affaiblissement de certains réseaux proches de Sarkozy et animés par le Secrétaire général de l’Elysée Claude Guéant. Cela dénote aussi d’une rupture dans la politique menée jusque-là par la France, avec tapis rouge pour des hommes comme Karim Wade. L’auteur d’une série d’articles sur le Sénégal, Philippe Waucampt, avec qui nous sommes entrés en contact, hier, évoque dans ses papiers les menaces liées à la succession qui se prépare au Sénégal. En persistant et signant que c’est André Parant, le «Monsieur Afrique» de l’Elysée, qui a réellement tenu les propos prêtés au conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy.  

«Après consultation avec l’intéressé, l’Ambassade de France au Sénégal dément que M. André Parant, conseiller diplomatique adjoint à la Présidence de la République, ait tenu les propos rapportés dernièrement dans divers organes de presse sénégalais, citant «Le Républicain Lorrain». M. Parant n’a pas accordé d’interview à ce journal». C’est le communiqué, lapidaire, rendu public hier par le Service de presse de l’Ambassade de France. Un communiqué qui veut bien noyer dans le tout diplomatique, des propos lourds de sens, réellement prononcés par le «Monsieur Afrique» de l’Elysée, André Parant. Mais André Parant a-t-il réellement tenu les propos que lui attribue le journal français «Le Républicain Lorrain» dans une brève publiée le 18 avril dernier et mise en ligne dans le site Internet du même journal, dans la rubrique «Les Indiscrets» ? On notera, en passant, que si l’Ambassade de France au Sénégal dément les médias sénégalais qui n’ont repris l’information, elle n’a pas pris le soin de faire publier le démenti dans les colonnes du même journal. En tout cas, le journaliste qui a rédigé l’article et qui pilote l’agence parisienne du «Républicain Lorrain» ne met rien au conditionnel. Joint au téléphone hier, il est catégorique.

Philippe Waucampt : «Je maintiens tout ce que j’ai écrit»
«Je maintiens tout ce que j’ai écrit. Je confirme que ces propos ont été réellement tenus par André Parant et ce ne sont pas des choses qu’on m’a racontées», indique le journaliste. Où et quand ces propos démentis par l’ambassade de France au Sénégal ont-ils été tenus par le Monsieur Afrique de l’Elysée ? Philippe Waucampt qui gère l’agence parisienne du Républicain Lorrain, s’est-il invité à une rencontre où il n’était pas convié ? Le journaliste se refuse à donner plus de détails. «Je ne peux pas vous en dire plus. Je saurais m’étendre sur le lieu et la date. Tout ce que je peux vous dire, c’est que ces propos ont été tenus à Paris», précise-t-il. Philippe Waucampt ne s’émeut, par ailleurs, pas du démenti de l’Ambassade de France. En bon vétéran de la presse, l’éditorialiste déclare que «c’est là un jeu classique. On distille, puis on dément. Mais cela ne m’étonne pas que l’information soit démentie».

Les dessous de l’affaire
En vérité, tout ce méli-mélo, n’est que la face visible de la crise qui secoue, depuis quelques mois, la destination Dakar-Paris. Les plus curieux remarqueront, d’ailleurs, que cette nouvelle tournure des évènements fait suite à la défaite de l’Union pour la majorité aux dernières élections régionales en France. Le parti de Sarkozy affaibli après la publication des résultats qui ont confirmé les tendances exprimées dans les sondages, l’on a vite fait de chercher «la racine du mal», selon une source bien au fait des relations franco-sénégalaise. Et le secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant, est vite apparu comme le «parfait coupable». Suffisant pour qu’on lui règle ses comptes en dénichant ses «points faibles». Et parmi ces faiblesses, la politique africaine de l’Elysée est sans doute «le filon le plus prometteur». Derrière beaucoup d’infléchissements de l’Elysée, surtout par rapport à la politique africaine de Nicolas Sarkozy, la main de Guéant est présente. Or, depuis quelques semaines, une fronde s’est déclarée à l’Elysée contre Guéant, dont le bureau est à deux pas de Nicolas Sarkozy. Ce qui fait, d’ailleurs, que ses visiteurs, dont Karim Wade, ont eu le privilège de rencontrer le chef de l’Etat français à l’Elysée alors qu’aucune audience n’était programmée. Et de prendre des photos qui ont fait le tour de la presse écrite sénégalaise. Ces relations entre Sarkozy et Karim s’en iront se consolider avec le temps, on ne sait d’ailleurs par quelle «magie africaine». Même si le président français ne porte pas trop dans son cœur Wade-fils. Si donc André Parant, qui est le numéro 2 de la cellule diplomatique de l’Elysée, a pu s’attaquer à la politique de Me Abdoulaye Wade, en confiant selon ses propres termes qu’il «a pour projet de favoriser l’accession de son fils à sa succession», c’est que quelque part, «il y a une caution de l’Elysée derrière», indique une source parisienne. Qui ajoute qu’il s’agit là d’«anticiper sur le plan de Me Abdoulaye Wade de céder le pouvoir à son fils». L’angle de l’âge – sujet sensible au Sénégal – est délibérément choisi «pour secouer le Palais». La France qui tient à la stabilité du Sénégal, comme à la Prunelle de ses intérêts, sait, comme Parant l’a bien dit : «La lutte pour la succession va être extrêmement vive et susciter des tensions. (…) Il y a un risque d’explosion sociale et donc politique, extrêmement élevé. Les deux années à venir vont être cruciales pour le Sénégal.» Venant d’un diplomate chevronné comme Parant, que l’Elysée est parti dénicher au Liban où Chirac l’avait casé avant de quitter le pouvoir, cette prophétie vaut bien son pesant d’or. C’est que Parant connaît bien le Sénégal pour y avoir servi comme ambassadeur, après le très critiqué Didier Roisin et avant Rufin avec qui il entretient de bonnes relations. Et sans doute, le spécialiste des questions américaines, Jean David Levitt, qui est le conseiller diplomatique N°1 de Nicolas Sarkozy, est en phase avec son adjoint Parant, avec qui il s’entend également à merveille. Les deux conseillers diplomatiques, aguerris par les nombreuses missions qu’ils ont eu à mener au nom de la France à travers le monde, émettent sur la même longueur d’onde que le Quai d’Orsay.

La revanche du Quai d’Orsay
Kouchner a toujours vu d’un très mauvais œil «l’activisme excessif» de Guéant et de son ami Bourgi qui ont activement travaillé pour admettre Karim Wade à l’Elysée. En usant de tous les subterfuges possibles. «C’est incontestablement cette politique qui va changer», indique une source à Paris très au fait des questions diplomatiques. Car «l’Elysée ne peut pas se permettre de jouer avec le feu. Il s’agira de redonner au Quai d’Orsay toutes ses prérogatives». C’est d’ailleurs ce qui fait dire à André Parent, toujours cité par Philippe Waucampt, dans les colonnes du «Républicain Lorrain», celles-ci non visitées par la presse sénégalaise, qu’«il y a un certain nombre de ressortissants français qui circulent et qui grenouillent» en disant se prévaloir de l’Élysée. Mais le pire service qu’on puisse rendre à un candidat à une présidentielle en Afrique, c’est de dire qu’il a le soutien de la France». D’où ce commentaire de Waucampt : «André Parant exécute froidement l’avocat Robert Bourgi que l’on présente comme l’un des émissaires du chef de l’Etat sur le continent noir.» Tous ces signes ne trompent pas. C’est dire que les jours des hommes de réseaux de Guéant comme Bourgi sont comptés. Bien affaiblis déjà, ils ont bien d’autres chats à fouetter que d’essayer de faire avaler l’Elysée, la pilule d’une dévolution monarchique du pouvoir, démocratiquement maquillée.

 

Mamoudou Wane

 

source  :  www.lobservateur.sn   le 29/04/20101

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