Espace saharo-sahélien: Petites querelles et bruits de bottes

Plusieurs Etats de la sous-région tentent de trouver une stratégie commune de lutte contre le terrorisme.

 Mais les petites bisbilles  et même quelques bruits de bottes, à la frontière, du fait d’un différend entre Nouakchott et Bamako, en cours depuis quelques mois, viennent freiner l’élan commun.
Cela fait quelques années que les pays de l’espace saharo-sahélien sont confrontés au phénomène du terrorisme islamiste et des trafics en tous genres. Des réalités géopolitiques d’ordre mondial sont venues se greffer au vieux fond que représente les conflits pluridécennaux des rébellions touarègues, au Mali et au Niger, du Sahara occidental, électrisés, depuis une vingtaine d’années, par la violente contestation islamiste en Algérie (génératrice des groupuscules actuels). Devant cette combinaison, sept Etats concernés par cet espace de tous les crimes, du plus banal à l’infraction transfrontalière, avec toutes les ramifications et connections modernes, tentent de s’organiser, en unissant leurs efforts pour faire face à la nouvelle donne sécuritaire. Il s’agit, par ordre alphabétique, de l’Algérie, du Burkina Faso, de la Libye, du Mali, de la Mauritanie, du Niger et du Tchad.

Les hauts responsables des services de sécurité et de renseignements de ces Etats ont tenu une réunion, la semaine dernière, en Algérie. Objectif affiché: «coordonner les actions dans le domaine de la lutte contre le terrorisme islamiste et le crime transfrontalier organisé». Cependant, sous cette volonté commune affichée, trois pays semblent avoir à gérer un différent diplomatique spécifique, marqué par le rappel, pour consultations, des ambassadeurs mauritanien et algérien à Bamako, il y a un peu moins de deux mois. Un froid à mettre au compte des dégâts collatéraux du forcing de la France qui aboutit à la libération de l’ingénieur Pierre Camatte, ex-otage, au Nord Mali, de la nébuleuse terroriste Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI).Une «clémence» du groupuscule terroriste expliquée par la décision de la justice malienne de condamner a minima, avant de le libérer, un présumé terroriste mauritanien, Ould Navaa, dont l’extradition était, pourtant, fortement réclamée par Nouakchott.
Pire: on entend même quelques bruits de bottes à la frontière mauritano-malienne, dans la zone de Bassiknou, selon la presse de Bamako qui cite des sources sécuritaires nationales, non encore démenties. Une éventualité dont la confirmation réveillerait les très mauvais souvenirs des années 1990, marquées par la rébellion touarègue et les sanglantes représailles. Faire baisser la tension, entre Bamako, d’un côté, Nouakchott et Alger, de l’autre. Un objectif incontournable, dans la stratégie actuelle visant à ramener la sécurité dans la sous-région. Et qui explique  clairement  la démarche  des participants au dernier conclave d’Alger. Les responsables de la sécurité mauritanienne y ont donné les raisons de leur colère contre le Mali, accusé de mollesse dans le combat contre les terroristes et les trafiquants. Illustration avec l’alerte immédiate transmise à Bamako, dès le constat du rapt des trois humanitaires espagnols, dont on imaginait que les auteurs se dirigeaient, forcément, vers l’Est et, donc, la frontière malienne. Un signal face auquel Bamako est resté de marbre, selon la thèse mauritanienne développée lors de la dernière réunion sécuritaire.
La rencontre d’Alger est intervenue après une rencontre entre les présidents MOAA et ATT, en marge du dernier sommet du CILSS, tenue fin mars, à N’Djamena. Une entrevue à l’issue de laquelle on pensait que tous les problèmes avaient été débattus et aplanis. Erreur?

Bataillon déployé à l’Est, selon la presse malienne.
Les bruits de bottes à la frontière Est, évoqués par la presse privée malienne au cours des derniers jours, remettraient en cause, s’ils se confirmaient, la thèse de la décrispation entre Nouakchott et Bamako. Le journal malien «L’Aurore», repris par le site «Maliweb», affirme «qu’un bataillon militaire mauritanien est déployé sur l’axe Bamako-Nouakchott». Il donne même des précisions sur le dispositif: «des centaines d’éléments, équipés d’armes lourdes, à bord de véhicules de combat, [qui] ont pris position à la frontière, depuis l’incident consécutif à la libération de l’otage Pierre Camatte». Un déploiement militaire dans le cadre du combat contre le terrorisme et le crime transfrontalier? Le journal malien rejette une telle hypothèse, entendue comme un vulgaire «alibi». Il développe l’idée d’une volonté des autorités mauritaniennes de souffler, à nouveau, sur les braises de la rébellion au Nord. «Des mouvements de troupes qui rappellent, en tout état de cause, l’insurrection des années 90, à partir de cette même frontalière de Bassiknou, ayant, jadis, servi de base arrière aux assaillants, avec la bénédiction du même personnage atypique des années indiquées: le général Mohamed El Hadi.»
Dans un style net et précis, le journal malien accuse le Directeur Général de la Sûreté Nationale (DGSN) de nourrir  la tension actuelle entre le Mali et la Mauritanie,  dénonçant ses vieux «liens» avec la rébellion, au Nord Mali, et «le rôle joué» dans la répression contre la communauté négro-africaine, au cours des années 1990. Après la publication de l’article, aucune réaction, ni officielle ni officieuse, n’a encore été notée du côté de Nouakchott. Cependant, quelque soit le passé  du DGSN, une question, fondamentale, liée aux règles de fonctionnement de la chaîne de commandement militaire, doit être posée, dans le cas d’espèce: comment le DGSN peut-il être, directement,  à l’origine de déploiement ou de levée de troupes dont il n’a, théoriquement pas, le commandement?
De fait, la Mauritanie, tout comme le Mali, ne dispose point de la capacité de contrôler l’immense étendue de ses frontières poreuses. Nouakchott accepte l’aide d’un puissant allié, «capable» de remplir la tâche, grâce à d’importants moyens militaires et électroniques. Bamako refuse, quant à elle, cette perspective qui lui permettrait, pourtant, d’avoir un regard plus  pointu sur une zone Nord qui lui échappe presque totalement, devenant, du coup, une espèce de ventre mou du pays.
Mais, au delà de cette réalité, pourquoi le Mali et la Mauritanie, deux pays frappés par la malédiction du sous-développement et de la pauvreté, devraient-ils y ajouter de petites querelles, alors qu’ils sont, si évidemment, appelés à vivre ensemble et à concevoir, ensemble, le développement durable de la zone?   

Amadou Seck

 

Source  :  Le Calame via www.lecalame.mr  le 13/04/2010

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