Remaniement : Ce qui n’a pas été dit

Tout finalement n’a pas été dit concernant le dernier remaniement du gouvernement. Un remaniement partiel alors que l’opinion attendait un profond réaménagement dans le dispositif du Président Ould Abdel Aziz.

 

 

Retour sur «un mouvement de ministres» encore illisible… 

 

On raconte – comme dans les légendes – que le directeur de TVM était en pleine séance de rasage chez un coiffeur de la place, quand son téléphone sonna. A l’autre bout, c’était Melaïnine Ould Tommy, chargé de mission auprès du Président de la République. Celui-là même qui avait été longtemps l’ombre de l’ancien Président Ould Taya devenant tour à tour son directeur du protocole et son directeur de cabinet. Il est aujourd’hui l’homme fort du palais brun. Confident du Président, il est aussi son conseiller le plus écouté, le mentor de ses collaborateurs, l’intermédiaire le plus indiqué de ses soutiens. Pour cela, il est la personne la plus redoutée du pouvoir actuel. 

Ould Tommy est déjà à TVM et veut voir le directeur «de toute urgence». C’est sur place qu’il lui présente le brouillon du décret nommant les nouveaux ministres «sur proposition du Premier ministre». C’est sur place que la mouture finale du communiqué est élaborée. 

On raconte parmi les choses qu’on raconte, que le directeur se hasarda à demander : «que devient le Maghreb arabe ?» Ne sachant quoi répondre, Ould Tommy s’isola et téléphona. «Le département n’existe plus». 

On raconte que le ministre des finances, Kane Ousmane, l’une des rares compétences du gouvernement, a appris la nouvelle de son limogeage alors qu’il dînait tranquillement avec une mission de la Banque Mondiale, et par la voie d’un privé qui l’a appelé de Dakar. Il dut interrompre sa soirée en annonçant : «je ne suis plus ministre». On parla d’abord d’une affaire d’ancien ministre qui percevait encore ses émoluments. Faux. On parla ensuite d’un conflit ouvert avec le Premier ministre à la suite de quelques tentatives de ce dernier de passer outre la réglementation. Ce qui expliquerait le départ simultané du ministre et de son directeur du budget reconnu pour sa probité. Pas assez suffisant cependant pour démettre ce cadre de grande valeur. La raison est à trouver ailleurs. Même si le conflit ouvert entre le ministre des finances et son Premier ministre était arrivé à l’insupportable. 

Gouverneur du FMI depuis le dernier accord, Kane Ousmane qui a été aussi président du Caucus des gouverneurs africains de banques centrales, s’est vite imposé comme le premier interlocuteur des partenaires. 

On raconte que dans le cercle restreint des bailleurs financiers, on murmure la nécessité d’une dévaluation de notre monnaie nationale. Eventualité refusée par le Président de la République pour tous les troubles et dysfonctionnements qu’elle peut entraîner. Mais le poids de la gestion, celui des crises mondiale et intérieure, ont affaibli l’économie nationale. Le raisonnement du FMI serait imparable à cet effet. Malaise des autorités qui auraient donc choisi de sacrifier Kane Ousmane déjà fragilisé par toutes les guerres qui lui sont menées par le Premier ministre et par le cabinet du Président de la République. Le cabinet qui serait aussi à la source du départ de Messaouda Mint Baham qui voit tout simplement son ministère brusquement «dissout». 

On raconte que le franc-parler et l’engagement de Mint Baham pour le Président Ould Abdel Aziz auront eu raison d’elle. Elle n’aurait jamais hésité à prendre à partie ses collègues pour dire ce qu’elle pensait de leurs communications. 

On raconte qu’elle opposa au ministre de la santé, Cheikh Ould Horma, un cinglant démenti quand il a présenté l’affaire qui l’opposait aux spécialistes à sa manière. Elle aurait dit en plein conseil qu’il s’agit bien d’une retraitée de la fonction publique marocaine qui n’a pas plus de compétences que les mauritaniens et que rien ne pouvait justifier son recrutement et le traitement qui lui était réservé. 

On raconte aussi qu’en Türkiye et en Iran, des altercations l’auraient opposé à Cheyakh Ould Eli, inamovible directeur de cabinet depuis Sidi Ould Cheikh Abdallahi et Melaïnine Ould Tommy, le chargé de mission. Elle aurait rappelé à plusieurs reprises le rang qui est le sien dans l’ordre protocolaire. Une manière de se faire respecter dans un milieu rétrograde et misogyne. Croyant à la volonté de changement du Président Ould Abdel Aziz et jouant à fond sa carte, elle aurait pris beaucoup de liberté dans l’expression de son indépendance d’esprit, une seconde nature chez elle. Elle s’est du coup aliéné l’opinion dominante dans l’entourage du Président. Surtout ceux qui sont formés à l’école du «manges et tais-toi». 

D’un point de vue «opérationnel», on raconte que Coumba Ba, nouvellement promue ministre chargée des affaires africaines, est venue occuper les bureaux du secrétariat aux technologies nouvelles rattaché désormais à l’emploi. Le Bureau Organisation et Méthode (BOM) a mis du temps à comprendre pour «séparer» les biens des uns et des autres. Confusions. 

La surprise produite a été la même que celle qu’a occasionné le fameux décret démettant les cinq chefs des forces armées et de sécurité (dans la nuit du 5 au 6 août 2008). La même précipitation, la même confusion. Heureusement qu’il n’y a pas eu les mêmes effets. 

C’est certainement cette improvisation qui accentue l’illisibilité du «mouvement des ministres» (mieux vaut parler de «mouvement» plutôt que de «remaniement»). On y ajoute volontiers le traitement de certains problèmes comme celui de la santé. 

Après avoir démis deux médecins spécialistes de leurs fonctions pour ce qu’il juge comme insubordinations, le ministre de la santé s’est trouvé dans l’obligation de revenir sur sa décision après intervention du chef de l’Etat. Prenant fait et cause pour le ministre, le Président a d’abord accusé les médecins de vouloir privatiser les moyens publics, avant d’accepter de recevoir le directeur de l’hôpital qui refusait d’exécuter une décision du ministre. Suite à quoi, la décision du ministre a été annulée et le problème résolu. Est-ce à dire que tous les problèmes syndicaux seront désormais solutionnés uniquement au niveau de la présidence ? que les décisions des ministres peuvent être récusées si une crise est ouverte et si l’autre patrie arrive au niveau du Président ? est-ce à dire que les ministres ne sont pas comptables de la gestion de leurs départements ? si ce n’est pas le cas pourquoi ne pas reconnaitre les manquements du ministre et le faire payer pour cela ? pourquoi le ministre ne tire pas lui-même les conclusions pour démissionner ? 

Les confusions ainsi occasionnées vont avoir des conséquences énormes sur le proche avenir. Sur le plan diplomatique par exemple, il y a des questions qui se posent. Si notre chère Coumba Ba qui a lamentablement échoué à la fonction publique, s’occupe désormais de l’Afrique et de nos relations continentales, que fera Naha Mint Mouknass, la ministre des affaires étrangères ? Qui représentera la Mauritanie dans les réunions africaines, maghrébines, afro-maghrébines, afro-européennes, afro-caribéennes, afro-arabes… ? De qui dépendront nos ambassades en Afrique ? Et la question la plus essentielle : pourquoi la diplomatie qui est un domaine réservée du Président de la République dépend-elle du Premier ministre qui a d’autres chats à fouetter ? 

C’est trop demander au Docteur Moulaye Ould Mohamed Laghdaf qui n’a pas encore redressé l’action de son gouvernement après neuf mois d’exercice «normal» de son poste de chef de gouvernement. 

Mardi dernier, le Premier ministre devait diriger un séminaire gouvernemental sur l’aménagement du territoire. Il s’agit d’une première qui devait rassembler 18 membres du gouvernement en plus de quelques hauts responsables. Plusieurs fois reportée, la réunion n’a finalement pas eu lieu parce que le Premier ministre Docteur Moulaye Ould Mohamed Laghdaf n’est pas venu. Après des heures d’attente, les ministres ont dû quitter le Palais des Congrès sans savoir pourquoi le premier d’entre eux n’était pas venu. Ils ont, au moins, déjeuné avant de partir. Facture salée. Pour rien. 

Nous sommes déjà fin avril, la table-ronde de Bruxelles dont on parlait tant pour le mois de mai, s’éloigne de pus en plus. D’ailleurs on ne sait plus à quoi elle servira. La campagne agricole est loin d’être lancée pour assurer une saison 2010/2011 plus fructueuse. Les états généraux de l’éducation sont loin d’être lancés pour assurer une rentrée scolaire 2010/2011 plus prometteuse. L’économie est loin d’être relancée et on parle pour la première fois depuis longtemps de l’éventualité d’une dévaluation de la monnaie nationale, dévaluation qui aura des effets néfastes. La relance promise n’arrive pas pour une raison simple : le budget 2010 n’a pas été encore été opérationnel. Malgré l’annonce faite par le ministère des finances le 1er mars dernier, le système Rachad n’a pas encore fonctionné convenablement. Ce qui empêche les administrations de fonctionner normalement. Comme toute l’économie vit de l’Etat, l’activité est sérieusement ralentie. Reste à savoir pourquoi ce blocage : est-ce à cause du manque des ressources ? Difficile à croire. 

La menace terroriste est encore plus pesante après la tentative de rapt d’étrangers en plein cœur de la ville et à quelques mètres d’un poste de police, et, plus grave, la fuite de ses auteurs. La scène politique mauritanienne est de plus en plus radicalisée par des discours sectaires, parfois racistes et haineux. 

Qui est responsable de tout cela ? Personne apparemment. 

 

 

Ould Oumeir

 

Source : La Tribune n°497  via  http://barrada.unblog.fr/  le 12/04/2010 

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