Mme Nane Mint Cheikhna, députée du RFD

 » Je crois que des nationaux mauritaniens et des partis politiques mauritaniens ne doivent jamais prêter allégeance à un pays étranger quelle que soit la situation et quelle que soit leur proximité idéologique avec ce pays. »

 

 

 

GPS : Madame la députée, vous êtes une figure emblématique de l’un des principaux partis de l’opposition mauritanienne, le RFD. Quelle est l’évaluation que vous faites de la situation du pays, huit mois après l’élection de Mohamed Ould Abdel Aziz ?

 
Mme Nane Mint Cheikhna: La situation du pays est à mon avis inquiétante à cause d’une crise multiforme qui semble s’installer durablement.Nous observons tous les jours un ralentissement de l’activité économique accompagné d’une inflation galopante au moment où paradoxalement le chômage bat son plein. Au niveau social les grèves se multiplient dans les domaines les plus sensibles de la fonction publique tels que l’enseignement et la santé. L’improvisation semble être l’apanage de ce dirigeant autoritaire et qui navigue à vue.
La principale réalisation dont on se targue maintenant est la construction de routes bitumées à l’intérieur de la ville de Nouakchott. Il convient ici de rappeler que la quasi totalité de ces routes était prévue et financée par la banque mondiale à travers l’agence de développement urbain ADU et l’AFD sur la base de convention avec la communauté urbaine et ce bien longtemps avant le coup d’état de Abdel Aziz. En tout état de cause, il me semble que l’urgence ne se situe pas à ce niveau et que le pays a besoin d’élaborer un diagnostic et une vision globale et concertée pour adopter et mettre en œuvre une option optimale et un programme de développement adapté.
Quant à la question sécuritaire, nous constatons régulièrement que des actes à main armée sont commis en plein centre ville y compris ces derniers jours.Au plan politique, la division est consommée et le blocage politique est entier malgré les appels de l’opposition au dialogue ; et comme tout ceci n’était pas suffisant le gouvernement adopte des attitudes et un ton provocateurs poussant à l’exclusion et au repli identitaire.

GPS: Votre parti a soutenu au cours des deux dernières années des positions aux antipodes, l’une de l’autre. D’un soutien manifeste au coup d’Etat du 06 août 2008, qui s’assimilait, selon l’appréciation d’Ahmed Ould Daddah, à l’époque, à une rectification, à une position qui flirtait avec celle du Front National pour la Défense de la Démocratique, (FNDD ); structure née au lendemain du coup d’Etat. Comment, après recul, vous jugez, aujourd’hui cette propension à soutenir une idée et son contraire ?

 
Mme Nane Mint Cheikhna: Il est bien facile de tirer des conclusions et de décréter une contradiction dans une position.
Bien des gens continuent de le faire à propos de ces évènements, mais je souhaiterais qu’en y revenant nous puissions aller jusqu’au bout du raisonnement pour exprimer un jugement. Pour cela nous devons cerner de manière objective le contexte dans lequel le RFD a parlé de rectification et notamment en se posant un certain nombre de questions :
1/ Au lendemain du coup d’état de 2005 est-ce que les militaires ont tenu leur engagement à la neutralité complète au niveau des élections ?
2/ N’ont-ils pas manipulé la scène politique en visant la destruction des partis politiques et la création d’un troisième pan débauché justement des partis politiques qui leur est affilié et se prétendant indépendant ?
3/ N’ont-ils pas utilisé les moyens matériels et moraux de l’état pour faire pression sur les électeurs et battu de manière ostensible campagne à travers Abdel Aziz qui convoquait à tour de bras l’ensemble de grands électeurs ?
C’est là de notre point de vue où se situe le péché originel qui a empêché l’expérience de 2005 d’apporter la stabilité requise dans notre pays et de le soutirer à une main mise militaire qui empêche le pays d’accéder au niveau auquel il devrait aspirer.
C’est dans ce contexte que le RFD a parlé de rectification et voulu soutenir un mouvement de rectification qui inaugurerait le désengagement de l’armée de la politique. En effet, nous pensons que la noble et lourde mission de défense nationale qui pèse sur nos forces armées ne peut s’accommoder d’une implication dans les clivages politiques qui sont naturellement du ressort des partis.
A l’époque nous avons immédiatement explicité notre vision de la rectification en exigeant dans notre proposition de sortie de crise qu’aucun militaire ne se présente aux élections (nous étions les seuls à l’exiger) et que la neutralité de l’Etat soit réellement garantie.
Au RFD nous sommes convaincus que l’institution militaire a une mission qui se situe au-delà des clivages politiques et qu’une démocratie apaisée et effective ne peut se réaliser que dans un espace libéré de toute forme de vassalisation par le pouvoir et à l’intérieur duquel sont assurés le respect de la liberté, de l’autonomie et de la responsabilité des individus.
La création de cet espace relève de la responsabilité historique de l’élite militaire et politique pour permettre à l’ensemble des énergies de se libérer et contribuer au développement d’un pays qui détient tous les atouts pour émerger dans la sous région.
Quant au flirt dont vous parlez avec le FNDD, il s’agit de beaucoup plus que cela, il s’agit d’une coalition pour défendre la liberté et la démocratie. Nous avons dirigé avec le FNDD une lutte qui demeurera dans les annales de l’histoire. Cette lutte doit aujourd’hui continuer pour éviter à notre pays les aléas d’une aventure dont l’issue inquiète tous ceux qui prennent à cœur l’avenir de la Mauritanie.

GPS: Ne vous, estimez-vous, pas, au sein de votre formation, quelque part, ne serait-ce qu’en partie, quand on convoque la caution précieuse que vous aviez accordée au coup de force du 06 août 2008, responsable d’une situation que vous ne manquez pourtant de critiquer avec tant de véhémence aujourd’hui ?

Mme Nane Mint Cheikhna: Je vous renvoie à ce qui précède la question étant pratiquement identique à la précédente.

.
GPS: Certains observateurs pensent que Mohamed Ould Abdel Aziz vous a exproprié le cheval de bataille qui a été naguère le vôtre, à savoir, la lutte contre la gabegie. D’autres analystes seraient même tentés de dire que vous avez abandonné ce thème, et que vous vous êtes rangés aujourd’hui auprès de ceux-là mêmes que vous aviez vilipendés quelques années durant. Que pensez-vous de cette lecture ?

Mme Nane Mint Cheikhna: Si notre discours est emprunté par d’autres cela signifie au moins qu’il mérite d’être imité. Mais l’essentiel n’est pas dans le discours car s’il s’agit simplement de paroles destinées à mystifier provenant d’un dirigeant velléitaire, cela revient à la démagogie et au populisme. Le RFD n’est pas aux affaires et pour cette raison aucun préjugé ne doit être formulé à son égard. Il prend évidemment toujours position en faveur de tous ceux qui font l’objet de poursuites non-conformes à la loi et contre la politique de deux poids et deux mesures qui peut être assimilée à un règlement de compte.

GPS: Le RFD est-il prêt aujourd’hui à faire une autocritique ?

Mme Nane Mint Cheikhna: Aucun parti politique ne peut avancer sans autocritique. Nous faisons la nôtre au sein de nos structures. Evidemment tous ceux qui ont intérêt à le faire ou qui se rapprochent pour une raison ou une autre du groupe au pouvoir nous dénient cette pratique et se livrent à la diffamation, mais le RFD est une structure connue pour ses principes et continuera son parcours dans la lutte pour l’avènement d’une démocratie véritable.

GPS: On sent, sur la scène publique, une certaine fébrilité conséquente, dit-on, à la récente déclaration du PM par rapport à l’arabisation de l’administration. Certains milieux estudiantins ont d’ores et déjà exprimé leur mécontentement. Les opinions divergent sur cette question. Quelle est votre position sur cette question ?

Mme Nane Mint Cheikhna: La Mauritanie est un pays musulman, arabe et africain. Sa richesse réside dans cette diversité et si on essaie de l’amputer de l’une de ces dimensions on s’installe dans le mensonge. L’arabe est la langue officielle mais cela doit être accompagné d’un effort particulier pour développer nos langues nationales. Le français est la langue d’ouverture et de communication. Elle est la langue de formation de toute une génération qu’il n’est pas question d’exclure. Nous devons nous efforcer de discuter ces questions dans un esprit de concorde et de recherche de consensus. Il est ridicule et dangereux d’essayer de gouverner en divisant les composantes d’une même nation. Depuis bien longtemps cet adage « Diviser pour régner » est devenu obsolète et dangereux.

GPS: Récemment des leaders politiques nationaux ont fait une déclaration à Syrte (Libye) pour manifester leur allégeance au Guide de la jamahiriya, Mouammar Kadhafi. Comment vous appréciez l’acte ?

Mme Nane Mint Cheikhna: Je n’ai pas eu accès à la déclaration de syrte elle-même, j’ai lu quelques comptes-rendus de cette réunion sur internet. Je crois que des nationaux mauritaniens et des partis politiques mauritaniens ne doivent jamais prêter allégeance à un pays étranger quelle que soit la situation et quelle que soit leur proximité idéologique avec ce pays.

GPS: C’est consommé, la rupture de nos relations diplomatique avec Israël. N’est ce pas là un point marqué par Mohamed Ould Abdel Aziz ?

Mme Nane Mint Cheikhna: Nous n’avons jamais compris à l’époque l’établissement de relations avec ce pays, d’autant qu’il continue de saboter. D’ailleurs l’UFD avait été dissout à l’époque à cause de sa réaction par rapport à l’établissement de ces relations. Nous n’avons aucune attitude antisémite mais nous ne pouvons comprendre qu’il soit établi des relations avec un pays qui procède à une violence inouïe contre les enfants, les femmes et tout le peuple palestinien, qui refuse d’accepter les résolutions des nations unies et sabote régulièrement les efforts consentis pour la paix.

GPS: La diplomatie Mauritanienne est dirigée aujourd’hui par une femme. Comment évalue la femme que vous êtes l’action diplomatique de Naha Mint Mouknass ?

Mme Nane Mint Cheikhna: Je suis toujours très fière lorsqu’une femme accède à une responsabilité importante. J’ai beaucoup de respect pour Mme NAHA MINT MOUKNASS (que je ne connais pas beaucoup) ainsi que pour son père qui fut un grand diplomate et qui a servi longtemps le pays.
Je crois néanmoins que dans un régime autoritaire comme celui-ci la marge de manœuvre des ministres est nécessairement étroite.

Propos recueillis par Oumrana Mint Ahmed Bezeid

source  :   www.gps.mr  le 13/04/2010

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page