« Ce pays avait aussi produit de grands chefs d’Etat et de grands chefs de diplomatie qui étaient assez respectés dans le monde maintenant, j’ai bien peur que l’on entre dans des clans, des groupes, ce qui n’est pas la position naturelle du pays. »
GPS: M. le Député, vous êtes le Président du groupe parlementaire du Parti Adil, qui avait été crée pour soutenir l’action du Président renversé et qui traverserait en ce moment certaines difficultés. Quel bilan tirez-vous de l’actuel gouvernement huit mois après sa prise de fonction?
Bâ Aliou Ibra : Je crois que le bilan que l’on peut tirer n’est pas positif. Nous avons un gouvernement issu des élections du 18 juillet qui ont fait l’objet d’un accord pour lequel l’ensemble des partis y compris le camp gouvernemental, chacun a fait des concessions pour aboutir à cet accord. Mais dans celui-ci, il n’y avait pas que les élections du 18 juillet.
Il y avait en effet, une autre partie qui disait que quelque soit l’issue toutes les parties signataires de l’accord devaient continuer à dialoguer de façon inclusive sur un certain nombre de problèmes qui concerne la stabilité du pays. De ce point de vue, comme vous pouvez le remarquer c’est un blocage complet. En ce qui concerne, les conditions de vie des populations, je crois que je n’ai même pas besoin de revenir sur cela. De toute façon, je crois qu’aujourd’hui la crise économique, sociale, politique continue et la façon dont le gouvernement aborde ces questions n’est pas la bonne, à notre avis. Pour parler de certains cas précis, on vient de connaître une grève générale de la fonction publique, qui de l’avis de tout le monde a été bien suivie. On a également d’autres menaces de grève qui se profilent comme les médecins spécialistes qui vont certainement entamer leur mouvement. Les populations les plus pauvres, sont les plus touchées par ces problèmes. On a le manque d’eau et les prix des denrées de premières nécessités qui ne cessent de connaître des flambées spectaculaires ce qui bien évidement ne fait qu’affaiblir leur pouvoir d’achat. Ajouté à cela, la menace du terrorisme, qui est persistante. Le programme du président même s’il est appliqué, ce qu’on constate c’est que les difficultés n’ont pas pour autant diminué. Si le gouvernement continue toujours sur cette lancée en faisant la sourde oreille et ne pas voir la situation d’une manière claire, nous, notre devoir c’est d’attirer son attention et celle des populations sur le fait que les problèmes continuent.
GPS: Votre parti connaîtrait quelques difficultés depuis un certain temps notamment avec le renversement de l’ancien président. Que pouvez-vous nous dire sur ce sujet?
Bâ Aliou Ibra : A ma connaissance, il n’y a pas de grandes difficultés dans le parti qui ne fait qu’appliquer la démocratie en son sein en discutant de toutes les questions d’une manière collégiale. On arrive toujours à régler les problèmes qui peuvent éventuellement surgir. Le fait qu’au cours d’une discussion qu’il y ait des points de vue divergents c’est tout à fait normal et c’est un signe de bonne santé pour le parti. Je ne vois donc pas ces difficultés, je crois que c’est une vue de l’esprit qui ne reflète pas la réalité. Je suis très confiant dans l’avenir de mon parti car je sais qu’il commence à avoir un patrimoine. Un parti qui existe donc depuis plus de 1 an et demi, qui a mené des luttes importantes et en a obtenu des résultats très satisfaisants. Le parti a également connu quelques échecs comme le départ de certains mais c’est la vie dans un parti démocratique qui est comme cela. Je crois qu’il n’y a pas de quoi être pessimiste pour son avenir.
GPS: La scène politique nationale est en effervescence. Le fossé entre la majorité et l’opposition ne cesse de s’élargir donnant même parfois lieu à des accusations personnelles çà et là. N’est-ce pas une contradiction avec l’esprit des accords de Dakar ou ces accords sont-ils pour autant enterrés avec le scrutin du 18 juillet?
Bâ Aliou Ibra : Nous pensons que les accords de Dakar, ont été un pas important; cela nous a permis d’aller aux élections. Mais, il n’y a pas que ces élections, on s’était mis d’accord à Dakar, toute la scène politique mauritanienne pour dire qu’il y a des problèmes qui se posent au pays qui doivent être traités. Et quelque soit l’issue des élections que nous devrions continuer à discuter de ces problèmes. Nous, nous restons toujours sur cette position. Ces problèmes dont le pays fait face actuellement sont importants: il y a la menace terroriste, un code électoral consensuel pour faire des élections transparentes sans violence. Tout ceci va dans le sens de l’enracinement de la démocratie dans le pays. Il y a aussi d’autres questions comme le rôle de l’armée dans un pays démocratique. Pour donc trouver une solution à ces questions, comme nous avons convenu à Dakar, c’est que tous ensemble, nous puissions arriver à un accord consensuel sur l’ensemble de ces questions pour que le climat politique dans le pays soit apaisé et que tous, nous nous mettions à l’essentiel c’est-à-dire le progrès de notre pays, l’enracinement de la démocratie. Mais de toute évidence, il y a un blocage sur cet aspect, je crois qu’il faut être franc et le reconnaître. A mon avis le blocage n’est pas du côté de l’opposition mais du côté de la majorité. Est ce seulement lié à des maladresses ou c’est une volonté délibérée? Je ne suis pas en mesure de répondre à ces questions, mais ce que je constate c’est que le débat est bloqué. D’habitude pour ouvrir un débat, c’est ceux qui ont le pouvoir qui doivent faire les premier pas. Ce qui n’est pas le cas ici.
GPS: Dans ce cas ne faudrait-il pas un autre cadre de dialogue qui ne soit pas les accords de Dakar?
Bâ Aliou Ibra : Le fait qu’on dise les accords de Dakar, il y a une frilosité inexplicable sur ces accords. Ces derniers n’ont fait qu’un listing sur un certain nombre de problème pour lesquelles le dialogue inclusif doit continuer. On peut les voir sous n’importe quel angle mais l’essentiel c’est de discuter sur ces questions et d’arriver à un compromis comme on l’a fait pour le scrutin du 18juillet. Il faut continuer à souhaiter que les prochaines discussions politiques sur ces questions se passent à Nouakchott et pas en dehors du territoire national. C’est en tout cas ce qu’on souhaite. Mais il faut les commencer en trouvant les formes, les moments… pour en discuter. J’ai le sentiment qu’on confond un dialogue politique et un débat d’idées c’est loin d’être la même chose. Un débat d’idées peut se passer dans les médias; dans les conférences etc. alors que pour le dialogue politique c’est des partenaires qui se mettent d’accord sur le format comment ils vont les discuter, les questions et les lieux de discussions; qui va les représenter. C’est cela le dialogue politique .On ne peut pas considérer que l’interview que je vous accorde aujourd’hui et que demain un membre du gouvernement va vous accorder est un dialogue politique. C’est certes un débat mais pas un dialogue politique. Cette différence, il est nécessaire de la préciser.
GPS: Que pensez-vous de l’intervention d’un facilitateur pour renouer le dialogue entre la classe politique du pays?
Bâ Aliou Ibra : Moi, je ne suis pas très fier qu’on n’ait pas pu se parler sans facilitateur. Je ne souhaite pas que cela soit une pratique que nous perpétuons. Je suis partisan de se parler directement, d’avoir le courage de prendre des initiatives qu’il faut sans intermédiaires. On est suffisamment responsable pour pouvoir le faire. De façon générale, je ne suis pas pour que quelqu’un d’autre s’immisce dans nos problèmes mais je ne suis pas très fier également qu’on n’arrive pas à se parler sans intermédiaire.
GPS: Est-ce que le peuple mauritanien, peut espérer une décrispation rapide de cette situation qui s’apparente aujourd’hui à un début de crise dont l’issue serait incertaine pour tous?
Bâ Aliou Ibra : Je crois que du point de vue démocratique et de la vie démocratique, une situation bloquée n’est pas une bonne chose et que le sens de responsabilités des acteurs politiques c’est de ne pas arriver à une situation crispée parce que ce n’est pas une bonne chose et on ne peut jamais être sûr de son issue. Je pense que les uns et les autres doivent mener ce débat politique et éventuellement ce dialogue politique en ayant le sens de responsabilité pour dépasser cette situation. Je dois avouer que depuis quelques temps les propos sont vifs et ne sont pas de nature à apaiser l’atmosphère. Un dialogue doit avoir un contexte et une atmosphère sereins pour l’entamer. Sur ce point, je crois que tout le monde doit faire des efforts et malheureusement ce n’est pas encore le cas.
GPS: Etes-vous satisfait de la diplomatie que mène actuellement le gouvernement depuis sa prise de fonction?
Bâ Aliou Ibra : Moi, je pense que la diplomatie relève de ceux qui ont le pouvoir et croient aux intérêts qui doivent nous guider. C’est faire en sorte que les intérêts supérieurs du pays soient préservés et qu’on ne nous entraine pas dans des débats et querelles qui ne nous concernent pas. Je crois que ça doit être ces principes qui guident notre diplomatie. Ce que j’ai à dire de notre diplomatie je l’ai dit lors du passage du Premier Ministre à l’Assemblée pour sa déclaration de politique générale et je reste sur les mêmes points de vue. C’est à peu près cela, c’est l’intérêt supérieur du pays qui doit avoir le dessus. On doit être un pays épris de paix particulièrement avec tous nos voisins. Il faut rappeler que le pays avait une stature au niveau international, continental et régional. Ce pays avait aussi produit de grands chefs d’Etat et de grands chefs de diplomatie qui étaient assez respectés dans le monde maintenant, j’ai bien peur que l’on entre dans des clans, des groupes ce qui n’est pas la position naturelle du pays.
GPS: Que pensez-vous des agitations survenues récemment au niveau de l’université?
Bâ Aliou Ibra : Sans vouloir trop appesantir sur le sujet parce que je n’ai pas tous les éléments, ce que je constate tout simplement c’est qu’on observe une régression dans ce pays. J’avais l’impression qu’on avait un peu dépassé un certain nombre de questions et de comportements. Est-ce que c’est la conséquence de la crise générale que traverse le pays ou c’est la maladresse d’un certain nombre de personnes?
Je souhaite que la démocratie progresse dans ce pays et qu’on puisse faire des avancées aussi bien sur le domaine économique, sociale, politique… C’est une ambition que nous avons pour ce pays et que tout le monde puisse avoir le sens de la responsabilité qu’il faut pour les réaliser.
Au niveau de l’opposition, on continuera à jouer notre rôle; à se battre pour que la démocratie s’enracine d’avantage et qu’elle s’approfondisse, que la justice sociale soit de rigueur et que les conditions de vie des populations s’améliorent.
Propos recueillis par Modou Diop
Source : GPS via www.gps.mr le 03/04/2010