Mamadou Bocar BA, 2ème vice-président de l’AJD/MR

ba_mamadou_bocarLes propos du premier ministre sont inacceptables dans la mesure où ils nient le caractère multinational et multiculturel de notre pays, pourtant consacré par la Constitution. »

C’est suite à un désaccord sur la stratégie des FLAM que Mamadou Bocar Bâ est rentré au bercail où il fonde, avec un groupe d’amis, les Flam Rénovation qui se positionne sur l’échiquier politique national. La présidentielle de 2007  leur offre  leur baptême de feu ; FR soutien le candidat Ibrahima Moctar Sarr, alors président du Mouvement pour la Réconciliation nationale. Après un compagnonnage satisfaisant, MBB et ses amis intègrent l’AJD/MR où il devient 2ème  vice-président.
Pondéré et ouvert, ce natif de Sinthiane Padala (Gorgol) est, aujourd’hui, l’une des têtes pensantes de l’AJD/MR.

Le Calame : La police vient de réprimer, violemment, une manifestation d’étudiants négro-mauritaniens qui protestaient contre les propos du Premier ministre et du ministre de la Culture sur la nécessité ou l’urgence de généraliser l’arabisation dans l’administration mauritanienne. Que pensez-vous de ces propos? Ne risquent-ils pas de raviver ou d’exacerber les tensions entre les communautés nationales? Comprenez-vous le sentiment des étudiants?

Mamadou Bocar BA: Nous avons déjà exprimé, publiquement, notre position, par rapport aux propos du Premier ministre et de son ministre de la Culture, à travers une déclaration, signée de moi-même, en tant que 2ème vice-président du parti, le 6 mars courant, publiée sur CRIDEM et autres sites mauritaniens, et à travers l’intervention du président du parti, lors de l’ouverture de notre siège à Sebkha, le jeudi 25 mars 2010.
Nous avons dit que ces propos sont inacceptables dans la mesure où ils nient le caractère multinational et multiculturel de notre pays, pourtant consacré par la Constitution. Je pense que ces responsables ont, par leurs propos, franchi des lignes rouges. Ce genre de discours risque d’entraîner notre pays dans un chaos indescriptible dont nous n’avons, pas du tout, besoin. Aucune autorité, aucun responsable, quelque soit son rang, n’a le droit  de mettre notre  pays en péril. Ces propos ont, déjà, ravivé les tensions entre  les communautés nationales et je n’en veux pour preuve que la grève des étudiants négro-africains à l’université.
Je comprends parfaitement leur inquiétude légitime et je dis que ce problème n’est pas, seulement, le problème des étudiants négro-africains mais le problème de tous les Mauritaniens honnêtes, soucieux de construire un pays de justice et de paix. La recherche de solution interpelle tout le monde; nous devons, tous, exiger, comme nous l’avons toujours fait, que les Mauritaniens se mettent autour d’une table pour qu’ensemble, nous trouvions une solution, juste et définitive, à ce problème. 
 – Depuis la fin de l’élection présidentielle, vous semblez vous murer dans un silence quelque peu troublant. Est-ce le temps d’une méditation sur le score, pas fameux, que vous avez obtenu lors de l’élection? Comparé à celui de 2007, ce résultat doit vous avoir déçu. En avez-vous trouvé les raisons? Si oui, lesquelles?
Sur notre supposé silence, je ne suis pas d’accord avec vous car nous n’avons, jamais, cessé de parler. Notre président a accordé une vaste interview au site de l’AVOMM, dès après l’élection, faisant le tour de toutes les questions. Il a fait une déclaration à Africa n°1 et, le 26 janvier dernier, nous avons sorti un  diagnostic général de la situation. Quant à notre faible score il y a, à mon avis, beaucoup de choses à dire. En 2007, notre candidat avait obtenu, à la surprise générale, presque 8% des suffrages. Selon moi, pour comprendre notre baisse relative, il faut comparer les différents scores des candidats entre 2007 et 2009. Ahmed Ould Daddah est passé de plus de 20% à 13%, malgré les moyens, énormes, dont il a disposé, en 2009. Messaoud est passé de presque 10%, en 2007, à 16% en 2009, avec, lui aussi, des moyens énormes et la coalition de 11 partis dont celui de Mohamed Ould Maouloud qui avait fait, en 2007, près de 5%. Saleh Ould Hanea est passé de 7%  à presque 1%, avec beaucoup plus de moyens que nous. Ibrahima Sarr, lui, est passé de près de 8% à presque 5%.
Si l’on examine le cheminement de ces candidats, on verra qu’Ibrahima n’a pas démérité, quand on sait la campagne diffamatoire dont il a été victime et la fragilité de son électorat, très sensible à tout discours sur la probité et autre moralité. Le site Taqadoumy a lancé l’information, avec emplacement et schémas à l’appui, selon laquelle Ibrahima Sarr se serait présenté à l’élection parce qu’Ould Abdel Aziz lui aurait donné une maison à Tevragh Zeina et une voiture de type V8.
 Un de mes amis, résidant, actuellement, à Dakar, a reçu, pendant la campagne, de ses parents de Mauritanie qui lui ont affirmé avoir vu la maison et la voiture d’Ibrahima. Ce sont des personnes de ce genre qui amplifient une campagne de calomnies et Dieu sait qu’elles étaient nombreuses. Malheureusement, notre électorat  qui n’a  pas une grande formation politique, est très sensible à tout ce qui touche à l’honnêteté. En plus de cette campagne, nous avions, en face, des candidats dont les budgets de campagne se chiffraient en plusieurs centaines de millions d’ouguiyas, alors que le notre atteignait, péniblement, vingt millions.
Tout le monde sait la modicité des moyens de notre parti et nous les avons entièrement utilisés durant la première campagne, ce qui nous a handicapés, pour la seconde, et, au moment où les hommes de Messaoud et d’Ould Abdel Aziz principalement, disaient, sur le terrain, que nous les avions ralliés et que, donc, il n’était pas nécessaire de voter pour Ibrahima Sarr, nous n’étions pas là pour les démentir, bloqués que nous étions, à Nouakchott, faute de moyens.
Au moment où des hommes d’affaires donnaient des dizaines, voire des centaines de millions, à tel ou tel candidat, nous n’avons  reçu que 3.000.000 UM d’Ould Bouamatou et 1.500.000 UM d’Ould Tajidine. Pour montrer leur attachement au candidat Ould Abdel Aziz, quarante-et-un cadres négro-africains ont cru bon de tirer sur nous, présentant notre candidat comme  un candidat ethnique dont il fallait se démarquer et se sont investis dans la vallée, en amplifiant la campagne de dénigrement contre notre candidat.
Tout cela explique notre score et je pense que nous n’avons pas démérité car beaucoup de nos électeurs potentiels savent, aujourd’hui, qu’ils ont été trompés. Mais je retiens une chose, c’est que cette campagne de dénigrement et de diffamation n’a profité, en définitive, qu’au candidat Mohamed Ould Abdel  Aziz.
 – Depuis l’élection présidentielle, le pouvoir et l’opposition s’observent en chiens de faïence, se défient, même. Chaque camp s’est restructuré, a mis en place une coordination et affûte ses armes. Le dialogue promu par les accords de Dakar n’est toujours pas en vue. Duquel des  deux pôles vous sentez-vous le plus proche?  Que pensez-vous de ce  dialogue que chaque camp dit souhaiter, mais pour lequel personne ne fait le premier pas?
Nous n’avons pas de camp, comme nous l’avons toujours dit, notre camp est notre programme et nos préoccupations. Celui qui accepte de  voir, avec nous, quel est le meilleur moyen de prendre en charge ces préoccupations, nous l’avons dit, nous sommes ouverts et prêts à travailler avec  lui.
Par rapport au dialogue entre l’opposition «radicale» et le pouvoir, je suis sceptique car il y a un contentieux, entre eux, et, tant qu’il n’est pas vidé, je pense qu’il n’y a aucun dialogue possible, au grand dam de notre pays. 
– Voici bientôt 8 mois que Mohamed Ould Abdel Aziz est élu président de la République. Quel jugement portez-vous  sur  ce début de règne? Est-il sur la bonne voie?
– Dans notre déclaration du 26 janvier dernier, nous avons dit, clairement, qu’il avait bien des aspects positifs, dans l’action du pouvoir. Il faut  approfondir ces aspects, les enraciner et les généraliser. Je pense que l’amorce du règlement du passif humanitaire doit continuer et se généraliser, pour viser toutes les victimes; la reprise des fonctionnaires radiés et leur indemnisation doivent être générales; la lutte contre la gabegie doit se poursuivre. Le président peut être sur la bonne voie s’il accepte d’affronter les ennemis de la Mauritanie, souvent tapis dans l’ombre, qui ont aidé Ould Taya à faire tout le mal qu’il a fait.
 – La situation sociale est très difficile à cause de la montée, vertigineuse, des prix des denrées de première nécessité. Pensez-vous que le gouvernement est capable d’endiguer le phénomène?
– Notre économie était déjà fragile et la crise mondiale est venue aggraver la situation. Mais le président de la République et le gouvernement ont le devoir de veiller à ce que les prix soient maîtrisés. Si le gouvernement échoue, le président doit prendre ses responsabilités et rechercher une équipe à même de prendre en charge efficacement nos problèmes, sans démagogie, car notre marge de manœuvres est, quand même, très étroite.
– Un an après le discours de Kaédi, où le général-candidat reconnaissait le tort porté, aux Négro-mauritaniens, par le pouvoir d’Ould Taya, et s’engageait à régler le dossier du passif humanitaire, que pensez-vous de la démarche du président Ould Abdel Aziz et de ses partenaires?  Une prière aux morts, quelques réparations pour les ayant-droits, le retour des déportés suffisent-ils, à votre avis,  à régler le passif humanitaire? Y a-t-il eu, depuis,  des avancées significatives pour une véritable réconciliation nationale? Sinon, que doit faire le pouvoir?
– Le retour des déportés et les réparations sont nécessaires mais pas suffisants, pour régler, définitivement, le problème du passif humanitaire. Je pense que, pour régler, définitivement, le passif humanitaire et ouvrir la voie à une véritable réconciliation nationale, nous devons, en plus du devoir de réparation, tenir compte du devoir de vérité, de mémoire et de justice. Devoir de vérité veut dire qu’on sache ce qui s’est passé, qui a fait quoi et pourquoi, ceci pour éviter que des personnes compromises dans des actes graves continuent à être honorées par la République. Devoir de justice veut dire que toute personne se sentant lésée a le droit de demander justice et c’est le devoir de l’Etat de faire en sorte que la justice soit la même pour tous.
Le pardon appartenant seulement aux victimes, tous les hommes de bonne volonté pourront user de leur influence, une fois le devoir de vérité satisfait, pour que les victimes s’orientent alors, s’ils le veulent bien, vers  la voie du pardon.
– Le rapatriement des réfugiés, en provenance du Sénégal, a été parachevé, fin décembre, mais ceux du Mali attendent encore. Les conditions dans lesquelles vivent ces rapatriés vous satisfont-elles?
Les conditions de vie des réfugiés mauritaniens au Mali sont loin d’être satisfaisantes car, déjà au moment des déportations, le HCR, pour des raisons politiques liées à la nature des relations, à l’époque, entre le Mali et la Mauritanie, n’avait pas pu assister les réfugiés que le gouvernement du Mali assimilait à des transhumants. J’ai, en ces temps, visité plusieurs fois nos compatriotes qui vivaient, principalement, dans la région de Kayes, dans les sites de Haité, Nahal, Kalinior Nagara et autres. Je pense que l’Etat mauritanien doit tout faire pour aider au retour, rapide, de nos compatriotes réfugiés au Mali.
Nos compatriotes rentrés du Sénégal vivent, souvent, dans des conditions pénibles car n’ayant pas pu recouvrer tous leurs droits. L’Etat doit prendre toutes les mesures, urgentes, pour permettre à ces populations, si longtemps et injustement meurtries, de se sentir effectivement rentrées au bercail et enfin protégées par leur nationalité. 
– Nombre de rapatriés courent, encore, derrière leurs terres ou leur village. Que doit faire le pouvoir pour que ces Mauritaniens puissent rentrer en possession de leurs biens?
Ce problème est un problème récurrent, pour les déportés rentrés au bercail .Je pense que l’Etat doit prendre ses responsabilités, afin de permettre, à tous, d’être replacés dans l’intégralité de leurs droits, ce qui implique que chaque arpent de terre soit restitué à son propriétaire légitime, sinon, celui-ci correctement indemnisé.
– Le passif humanitaire pose le problème de la cohabitation qui vient, malheureusement encore, d’être remis sur le tapis, avec les propos du PM, de son ministre de la Culture, de quelques partis politiques et, même, de quelques intellectuels sur Al Jezeera. Pensez-vous que le président de la République peut résoudre, définitivement, cet épineux dossier linguistique et, partant, réconcilier les Mauritaniens?
Je l’espère, sincèrement, et je pense qu’il peut se donner les moyens de le faire mais, pour cela, il faut, nécessairement, affronter ceux qui pensent que notre pays n’a qu’une seule identité, arabe.
– Gardez-vous encore des contacts avec vos amis des FLAM qui viennent de célébrer leur anniversaire. Leur avez-vous envoyé un mot de félicitation?
– Je garde, naturellement, un contact  avec certains avec lesquels j’ai des liens multiples.
– Certains Mauritaniens ont, récemment, prêté allégeance à un chef d’Etat étranger. Que pensez-vous de cet acte inédit?
– C’est un acte grave que je condamne, avec la dernière énergie. Je ne connais pas leur motivation mais une telle attitude est dangereuse, pour notre pays, et doit être combattue, par tous les patriotes sincères.

Propos recueillis par Dalay Lam

 

Source  :  Le Calame  via  www.lecalame.mr le 31/03/2010

 

 

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