Interview avec M.Boubacar Messaoud

M.Boubacar Messaoud : « … le Cheikh Mohamedou Ould Cheikh Hamahoullah  garde toujours les biens de la défunte et ignore les héritiers légitimes »

SOS Esclave est une association des droits humains luttant pour la libération des esclaves en Mauritanie. Elle est membre du Forum National des Droits de l’Homme (FONADH), de l’Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT) et observateur auprès de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP). Notre Journal Assiraje Hebdo a rencontré pour vous son président, M.Boubacar Messaoud, qui a voulu  aimablement répondre à un ensemble de questions qui préoccupent beaucoup de citoyens dont voici le contenu.

Assiraje Hebdo : Selon certaines sources vous avez été reçu par le président  de la République Mohamed Ould Abdel Aziz. Si oui quel a été le contenu de cet entretien ?

Boubacar Messaoud : J’ai effectivement été reçu par le président Mohamed Ould Abdel Aziz, sur ma demande. Notre entretien était relatif au problème de l’esclavage, à la non application de la loi incriminant sa pratique et à celle sur la traite des personnes, notamment en ce qui concerne la protection des enfants. A ce propos J’ai notamment soulevé les cas de Hanna Mint Maria et de Fatimetou, trouvées à Nouakchott en 2009 travaillant chacune comme servante domestique dans une famille, ne fréquentant aucune école pendant que les enfants des présumés maîtres allaient à l’école.  L’une et l’autre ont été présentées devant le procureur de la République sur notre dénonciation comme cas de pratique esclavagiste. A chaque fois celui-ci a classé l’affaire pour insuffisance de preuve.  Les deux fillettes  sont mineures. Ces cas ont fait l’objet de conférences de presse. Je vous propose de vous référer aux communiqués respectifs de SOS Esclaves. L’attitude de nos magistrats a été jusqu’ici tellement négative qu’en dépit de cas d’esclavage avérés il n’y a toujours pas de condamnation ni même de procès pour faire jurisprudence qui est seule susceptible de convaincre la population que les autorités du pays sont sincères dans ce combat déclaré contre l’esclavage et que les lois relatives à la traite des personnes et à l’esclavage  et qu’il ne s’agit pas d’un théâtre pour tromper l’opinion internationale. J’ai également soulevé le cas Zeïnebou Mint Brahim, qui n’ayant jusqu’à présent aucun épilogue judiciaire, présente les caractéristiques d’une dépossession d’héritage sur fond d’esclavage. Zeïnabou Mint Brahim décède en 2003 sans laisser d’enfants. Ses frères et sœurs héritent de plusieurs troupeaux de moutons de chèvres, de vaches et juments ainsi que quelques armes à feu. Mais au moment d’entrer en possession de leur héritage, ils se virent opposer un refus de non recevoir par le Cheikh Mohamedou Ould Cheikh Hamahoullah. Celui-ci leur fit savoir que Zeïnebou n’était pas leur sœur, étant une fille naturelle (née hors mariage) et qu’elle faisait partie de ses disciples. A ce titre, il était l’unique héritier. Malgré le jugement du tribunal de la Moughataa de Kobeni en 2005 établissant la filiation légitime de Zeïnebou déterminant ainsi ses héritiers où ne figure point le Cheikh Mohamedou Ould Cheikh Hamahoullah ce dernier garde toujours les biens de la défunte, ignore les héritiers légitimes.

 

Assiraje Hebdo : Le rapporteur spécial des Nations unies, a séjourné en Mauritanie afin d’enquêter sur l’existence de l’esclavage. Quelle appréciation faites-vous de cette visite et du rapport qu’il a présenté ?

Boubacar Messaoud : Cette visite s’est bien déroulée,  nous avons eu l’opportunité de nous entretenir avec cette importante personnalité, représentant le Haut Commissaire des Nations Unies pour les Droits de l’Homme, elle s’est entretenue avec plusieurs autres organisations des droits de l’homme. Elle a reçu et entendu le témoignage d’anciennes victimes d’esclavage à Atar, à Rosso et à Nouakchott, elle a enregistré le témoignage émouvant de personnes, essentiellement des femmes, qui se sont enfuies de chez leurs maîtres aux confins de la Mauritanie.

 

Celles-ci sont venues spécialement de Bassknou pour rencontrer la RS et lui demander d’intervenir et d’user de toute son influence pour que les autorités retrouvent les leurs encore en esclavage sous le joug de leurs maitres respectifs, des éleveurs se réfugiant de l’autre côté de la frontière avec le Mali, selon la gendarmerie. Le rapport de la rapporteuse spéciale n’est pas encore fini mais ces remarques et recommandations faites dans sa conférence de presse le 3 novembre dans les locaux du PNUD à Nouakchott, recoupent parfaitement les préoccupations de SOS-Esclaves et ses militants

 

Assiraje Hebdo : À l’heure actuelle, pouvez-vous nous parler de la situation de l’esclavage en Mauritanie?

Boubacar Messaoud : L’esclavage, sa pratique continue de plus belle. L’adoption de la loi 2007-048 constitue une preuve de la persistance de l’esclavage en Mauritanie. Et les différentes missions organisées par la Commission Nationale des Droits de l’Homme et les cas traités par SOS esclaves le confirment. Depuis l’adoption de la loi 2007-048 la commission Nationale pour Droits de l’Homme  a eu à recevoir les plaintes de plusieurs esclaves dans diverses localités de la Mauritanie que parmi elles nous pouvons citer l’affaire d’Esclavage à Loudey dans la Moughataa d’Aleg et Jekh dans la Moughataa de Monguel, Les missions de vérification conduites par M. Boubacar Messaoud et Alioun Ould Issa de la CNDH confirmeront la situation d’esclavage de Barakatou, de Marième mint Kowrya à Aïoun, de la famille Cheine  Dans cette affaire le président de la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) a été saisie d’une plainte adressée par Monsieur El Abde Cheine disant que ses trois sœurs  (Mebrouka mint Brahim, Ghadfa mint Brahim et Lehmeyra mint Brahim) et leurs enfants demeurent toujours en possession de leurs maîtres, qui nomadisent dans la zone de Loudey au Brakna et dans les environs de Monguel au Gorgol.

Cependant en dehors des cas d’esclavage avérés rencontrés par la CNDH, la situation des communautés ou famille d’esclaves émancipés demeure encore plus préoccupante. En effet beaucoup de cas introduits à la CNDH en 2008 constituent des cas d’expropriation de terre en faveur d’ancien maitres. Nous assistons à une privation  en règle du droit a la propriété du fait du statut d’esclavage ou du statut d’anciens esclaves. Cette pratique prend parfois des proportions inquiétantes et constitue une poudrière capable de mettre en péril la paix sociale et de compromettre la cohésion nationale tant vantée par les autorités gouvernementales qui appellent à une nouvelle citoyenneté basée sur la justice sociale et l’Etat de droit ;  d’autant que la jeunesse haratine prend de plus en plus conscience et est déterminée a reconquérir leur droit a l’égale citoyenneté et leur droit de propriété en particulier. D’autres cas concernent également des captages d’héritage de famille d’esclaves. Dans la plus part de ces cas nous assistons a une complicité ou a un refus des autorités locales censées incarner l’ordre d’appliquer le droit de dire le droit. En laissant les prétentions des prétendus maitres prévaloir, les autorités confirment l’existence de l’esclavage. Ils perpétuent ainsi la pratique esclavagiste en y donnant ainsi une forme perverse et multiforme :

 

–         Privation du libre accès aux tribunaux et à une justice équitable : Les victimes qui revendiquent leurs droits se basent sur des faits réels et attendent de la justice qu’elle tranche dans le respect du principe de l’accès égal à une justice équitable.

 

–         Discrimination du fait de la race ou/ou de l’origine sociale : dans les cas nous assistons à une discrimination flagrante du fait de leur appartenance au groupe social haratine et de leur origine esclavagiste.

 

De ce qui précède, il découle que beaucoup reste à faire pour que l’émancipation des esclaves soit une réalité.

Assiraje Hebdo : Pourquoi selon vous l’abolition de l’esclavage traîne toujours malgré la parution de trois lois (1981, 2003 et 2007) ? Y’a-t-il une complicité entre les autorités et les pratiquants de l’esclavage ?

Boubacar Messaoud : Oui ! Il y a tout à fait une réelle connivence entre les propriétaires d’esclaves et les autorités. Le système traditionnel esclavagiste est le véritable détenteur du pouvoir.

Assiraje Hebdo : sentez-vous une volonté chez le gouvernement Mohamed Ould Abdel Aziz pour résoudre cette question d’esclavage ?

Boubacar Messaoud : Non. Sincèrement, je ne sens pas cette volonté. On ne peut résoudre un problème que l’on ignore délibérément.

Assiraje Hebdo : Selon vous quelle est la position de l’islam par rapport au phénomène d’esclavage en Mauritanie ? Pensez vous que Les oulémas peuvent jouer un grand rôle pour éradiquer ce fléau ? Avez-vous collaboré une fois avec eux  pour cette question ?

Boubacar Messaoud : Les oulémas peuvent jouer un rôle déterminent dans la sensibilisation contre l’esclavage et la déconstruction de l’idéologie esclavagiste. Ils n’ont jamais voulu collaborer avec nous sur cette question. Parmi eux, on rencontre des hommes sincères. Mais en dépit du profond humanisme, ils ne se décident pas à s’engager dans la lutte pour l’éradication du phénomène. Certains qui sont les plus nombreux derrière un discours alambiqué légitiment la pratique et prétendent que ceux qui le combattent sont des hérétiques. Parmi les oulémas l’on trouve les grands propriétaires d’esclaves. La pratique de la cinquième épouse reste encore avérée. Sous prétexte de légalité islamique, beaucoup continuent à jouir sexuellement d’une servante considérée comme leur esclave. Et ce sans lien de mariage. Cet usage mystificateur de l’islam est si décevant que certaines personnalités religieuses me paraissent de mauvaise foi. Elles sont prêtes à faire des Fatwa sur n’importe quel sujet mais jamais sur celui-ci. Puisqu’en définitive il y va de leur intérêt que de maintenir les esclaves dans ce statut d’objet de jouissance en toute impunité.

 

Assiraje Hebdo : Pouvez-vous nous dire le nombre exact d’esclavages en Mauritanie ? Avez-vous des chiffres exacts.

Boubacar Messaoud : Non, je ne peux vous dire le nombre exact d’esclaves. Personne ne les a jamais recensés. Les pouvoirs publics les ignorent. Et les esclaves eux-mêmes se cachent. Ils sont rares, à se reconnaitre comme tels. Ils deviennent visibles seulement quand ils prennent conscience de l’injustice de leur situation, suite à des brimades, et qu’ils cherchent aide et assistance suite à un refus d’autorisation de mariage, l’enlèvement d’enfants pour servir de domestique, l’appropriation par les maitres de l’héritage d’un ascendant etc.

 

Assiraje Hebdo : quelle sont vos recommandations vis-à-vis des autorités, des populations et de ceux qui pratiquent l’esclavage ?

Boubacar Messaoud : Je crois que la pratique et ses séquelles persistent si fort dans le pays qu’il me semble pertinent d’organiser, chaque année pendant une décennie, sur l’ensemble du territoire, avec diffusion par les média publics, d’Etats Généraux de l’Emancipation. Il y sera discuté, sans tabous, de l’actualité du phénomène et de la meilleure manière d’y remédier. Je souhaite que les notables religieux, longtemps complices, apportent leur éclairage ; de même serait-il hautement édifiant d’organiser des confrontations entre auteurs et victimes, afin que la société, dans ses profondeurs et sa diversité s’éveille à l’acuité de cette injustice. En somme, je retiens le principe d’une thérapie collective par l’exposition de la vérité. 

Entretien réalisé par Moustapha Lô et Oumar Amadou  M’baye

Source :  http://www.essirage.net/ 

 

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