…au pied du mur. Violation cynique des droits de l’homme, des procédures pénales existantes, du chapitre VII de l’accord de Dakar conditionnant la reprise des aides européennes et de la déclaration d’intentions signée le 20 Décembre 2009.
Ce texte dispose en tête des engagements pris par le gouvernement mauritanien actuel, ceux concernant les « droits de l’homme – libertés et droits fondamentaux. Lutte contre les violences à l’égard de la femme, lutte contre les séquelles de l’esclavage, poursuite du retour et dédommagement et réintégration des réfugiés, et ce conformément à l’accord tripartite entre la République Islamique de Mauritanie, le Sénégal et le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, poursuite de l’ouverture des médias et amélioration du cadre légal assurant une plus grande liberté d’association et la dépénalisation des délits de presse ». Il y a lieu de noter que l’ensemble de ces politiques a été initié par le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, tandis que le dernier point relatif à la liberté d’association et à la dépénalisation des délits de presse, n’avait évidemment pas lieu d’être, le régime étant transparent et le chef de l’Etat particulièrement vigilant et intègre. Il a d’ailleurs prouvé depuis son renversement sa grande valeur morale.
J’avais reçu quant à moi, le 22 Juillet 2009, de la part du Commissaire chargé du Développement et de l’Action humanitaire, l’assurance écrite que « la Commission, au-delà même de l’élection résidentielle du 18 juillet, reste très attachée au plein rétablissement de l’ordre constitutionnel et de l’Etat de droit, conformément notamment à la décision du Conseil de l’Union européenne du 6 avril dernier relative à la clôture des consultations au titre de l’article 96 de l’Accord de Cotonou. Elle continuera donc de suivre avec vigilance l’évolution de la situation en Mauritanie et notamment le respect des engagements pris par les parties à l’Accord de Dakar, dont le point VII précise que sa mise en œuvre devra se poursuivre au-delà de l’élection présidentielle » (D2*4(2009) D/4860 – signée de F. Ceriani Sebregondi, Chef d’Unité).
Le sort fait à Hanevy Ould Dehah est donc la pierre de touche.
Pourtant, dans la semaine de la déclaration d’intentions euro-mauritanienne, pénalisation des délits de presse et détention arbitraire ont été manifestes.
En effet, le 24 Décembre 2009, le directeur d’un site électronique d’opposition, Hanevy Ould Dehah qui devait être libéré parce qu’il avait purgé la peine de six mois de prison à laquelle il avait été condamné le 19 Août précédent – n’a pas été libéré.
A cette heure, il est maintenu en détention sans aucune base légale, puisqu’il n’existe plus de mandat de dépôt le concernant. Qui plus est, sa condamnation était contestable en droit puisqu’il n’existe pas à l’heure actuelle en droit mauritanien de qualification du délit de presse électronique dont le directeur du site Taqadoumy a été jugé coupable. Celui-ci a entrepris le 27 Décembre, une grève de la faim, qu’il n’a cessée que le 11 Janvier – à la demande instante de sa famille. Depuis, un consensus national s’est formé en Mauritanie qui rassemble opposants et thuriféraires. Le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, l’opposant historique Ahmed Ould Daddah, les candidats à l’élection présidentielle sont tous dans ce consensus et le 20 Janvier, avant-hier, les partis de la majorité présentielle les ont rejoints.
La communauté internationale qui après ses condamnations du putsch du 6 Août 2008 a accepté la légitimation du fait accompli, au motif de l’élection présidentielle de son principal auteur, est ainsi mise en demeure ou de tirer toutes conséquences du déni de droit et de l’irrespect des engagements pris par le pouvoir en place, ou de tout accepter de celui-ci selon les mêmes motifs qui ont poussé à la tolérance depuis un an et demi. Selon les Mauritaniens eux-mêmes, il n’y a pas de politique plus efficace pour la sécurité dans la région et contre le terrorisme qu’une pratique démocratique et une gouvernance économique et sociale sincère, non démagogique et scrupuleuse.
Permettez-moi de l’exposer en détail – selon ce que m’expose son principal avocat défenseur, M° Brahim Ould Ebety. Celui-ci est un apôtre des libertés publiques depuis qu’il a prêté serment en 1981. En France, il s’appellerait Maurice Garçon, Jacques Isorni, Moro-Giafferi ou aujourd’hui Robert Badinter, Georges Kiejman. Intégrité, compétence, passion, il est unanimement respecté en Mauritanie par tous les politiques. Il a été à la tête de ceux qui dénonçaient les manipulations et tentatives d’intimidation du barreau de Nouakchott, pendant la dictature du colonel Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya. Le président-fondateur Moktar Ould Daddah (décédé 15 Octobre 2003) l’avait en particulière estime.
1- L’identité d’une victime exemplaire.
Qui est Hanevy Ould Dehah ? C’est un jeune journaliste (né en 1977) de talent professionnel et littéraire (reconnu internationalement en arabe). Le site qu’il dirige : Taqadoumy, est le site le plus visité en Afrique de l’Ouest. Censeur intelligent, informé et sans complaisance, il avait relevé les lacunes du gouvernement démocratique de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, dans la version originelle du site, uniquement en arabe. La version française est apparue trois semaines avant le putsch du général Mohamed Ould Abdel Aziz, elle a aussitôt élevé la critique la plus vive et la plus argumentée contre le coup. Le site a dès lors constitué une base de données et un forum exceptionnels autant pour les citoyens mauritaniens que pour les observateurs grâce à l’efficacité et à la documentation de ses réseaux éparpillés dans tout le pays et à l’étranger. On peut le comparer au Canard enchaîné, en France. Les détournements de deniers publics, la corruption, l’interventionnisme, les délits d’initiés et toutes les formes de la délinquance économique en font la chronique, mais aussi les connivences entre le principal putschiste et quelques gens d’affaires et hommes politiques, éradiquant de fait tous les éléments qui commençaient d’instaurer la démocratie et l’Etat de droit en Mauritanie.
2- Le montage politique.
La cible ainsi désignée a été atteinte par un coup monté. Un des candidats à l’élection présidentielle anticipée – d’abord en forme de plébiscite qui devait avoir lieu le 6 Juin 2009, puis à celle du 18 Juillet – Ibrahima Sarr a été utilisé pour déposer une plainte visant une des dépêches de Taqadoumy, le concernant. Cette plainte a d’ailleurs été abandonnée par cette personnalité qui a finalement refusé de se présenter au tribunal ayant compris la manipulation du parquet, mais ce dernier a persévéré. Hanevy Ould Dehah, la semaine même de la mise en œuvre des accords de Dakar et de l’ultime acte d’abnégation du président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, sans laquelle aucun processus régulier n’aurait pu avoir lieu, a donc été arrêté. Cinq inculpations lui ont été signifiées en raison de sa publication sur le site électronique. Il a été relaxé du chef de quatre de ces inculpations faute que figure le délit de presse électronique en droit mauritanien, et a été – d’une manière étonnante – écroué au seul motif de sa prétendue atteinte aux ‘’bonnes mœurs’’.
3 – La procédure acquise et en cours
Hanevy Ould Dehah a alors été placé sous mandat de dépôt par le procureur le 24 Juin 2009. Il a été condamné à six mois de prison ferme par le tribunal correctionnel de Nouakchott le 19 Août 2009. Cette peine a été confirmée par la Cour d’appel le 23 Novembre 2009. Elle est donc devenue définitive, même s’il y a pourvoi en cassation devant la Cour suprême, puisque – comme en droit français – cette haute juridiction ne statue qu’en droit et ne prononce pas de condamnation. La libération au terme de six mois était donc évidente juridiquement. Elle était attendue politiquement, et beaucoup avait même cru à une remise de peine à la fin du Ramadan, comme il est fréquent en Mauritanie.
La saisine de la Cour suprême a résulté des pourvois en cassation formés par les parties : le procureur général et la défense. Comme dans tous pays de droit, le dossier ne peut être en état et donc transmissible à la Cour suprême pour en connaître qu’après la remise par le greffe de la Cour d’appel d’une copie de l’arrêt, remise qui fait courir le délai d’un mois pour le dépôt du mémoire en cassation. Obligation aussi de communication à chaque partie du mémoire de l’autre pour en répondre dans un délai d’un mois à compter de cette remise.
Après la manipulation politique, après l’abus de chef d’accusation, a commencé la manipulation de procédure qui me paraît de la meilleure facture totalitaire. La défense n’a reçu copie de l’arrêt de Cour d’appel que le 24 Décembre 2009, jour où Hanevy Ould Dehah devait être libéré. Prétexte tout trouvé pour le maintien en détention, d’autant que le mémoire en cassation du procureur général n’a toujours pas été remis à la défense ! Le détail des irrégularités établit que la saisine de la Cour suprême et par conséquent toute délibération ou décision de sa part n’étaient pas légales. A la surprise de tous les praticiens du droit et avec des incidents de séance ubuesques puisqu’elle n’était pas à l’ouverture de la séance régulièrement constituée, qu’il a fallu rameuter un juge… la Cour a cependant – le 14 Janvier – cassé l’arrêt de la Cour d’appel et renvoyé le dossier et les parties devant une autre cour d’appel pour être rejugés. Cet arrêt de renvoi de la Cour suprême n’a qu’un objectif : tenter de couvrir une détention arbitraire et évidemment obtenir une peine plus longue – probablement cinq ans. Mais cette décision ne comporte pas de mandat de dépôt et ne permet pas d’en obtenir un mandat de dépôt. Il n’y a donc plus aucune base légale à une détention qui aurait dû cesser depuis le 24 Décembre dernier.
La défense compte objecter devant la cour d’appel, juridiction de renvoi, la notification préalable de la Cour suprême. Cette notification fait ouvrir la voie de l’opposition contre l’arrêt et devant la Cour suprême. L’affaire serait donc à nouveau examinée par la Cour suprême, mais cette fois en toute régularité, ultime chance du pouvoir en place de sauver la face – mais dans quels délais ? Car au-delà du sort fait à ce journaliste devenu emblématique, l’abus dont il est victime doit servir, pour ce pouvoir, d’intimidation à toute opposition médiatique.
* * *
Il coule donc de source que le gouvernement mauritanien et son premier responsable, le général Mohamed Ould Abdel Aziz doivent – rien que pour leur image – être mis en demeure de libérer Hanevy Ould Dehah.
Il est aussi certain que ne pas exercer toutes pressions reviendrait de notre part à accepter le contraire de nos convictions, valeurs et pratiques.
22 Janvier 2010
P.S. Cette note a été adressée au conseiller Afrique de l’Elysée, André Parant – au directeur du cabinet du président de la République française, le préfet Christian Frémont, au chef du cabinet du Premier ministre, le préfet Franck Robine, au directeur du cabinet du ministre des Affaires Etrangères Philippe Errera ainsi qu’au directeur général Développement et Action humanitaire – à la Commission européenne de Bruxelles, signataire personnellement de la déclaration d’intentions euro-mauritanienne avec Moulaye Ould Mohamed Laghdaf.
Bertrand Fessard de Foucault
Source : Le Calame via http://www.taqadoumy-fr.com