De nos jours, savoir communiquer est indispensable. Ne pas en tenir compte brouille le message qu’on veut délivrer et peut constituer une source d’incompréhension, de suspicion et de tension comme c’est le cas du recensement en cours en Mauritanie.
Cette opération, vu son importance et sa sensibilité, aurait dû être précédée et accompagnée par une intense campagne de communication. Inutile de solliciter l’expertise dans ce domaine des « mercenaires » occidentaux dont les méthodes controversées ont été mises à nu dans « Les sorciers blancs », le livre de Vincent Hugeux, journaliste du magazine français L’Express. Les compétences locales, si elles existent, peuvent bien faire l’affaire pour peu qu’on leur fasse confiance et qu’on les rémunère en conséquence. L’avantage est qu’elles sont moins coûteuses et qu’elles connaissent mieux la culture et la situation du pays, des éléments déterminants qui permettent d’éviter certains obstacles.
Pour bien communiquer, c’est-à-dire pour que le message atteigne sa cible, en l’occurrence le public, le choix du support et du langage, pour ne citer que ces deux aspects, est primordial. Pour le premier, les autorités mauritaniennes auraient pu, entre autres, mettre en place une campagne d’affichage en plus d’une caravane d’information qui sillonne de long en large le territoire et toucher des localités reculées et parfois difficiles d’accès. Faire de la publicité dans les journaux papiers et électroniques aurait également été bénéfique. En plus, une telle démarche aurait permis en même temps d’aider, en particulier, la presse écrite confrontée à d’énormes problèmes financiers. Par ailleurs des émissions dans les médias publics et dans les langues nationales sont incontournables. Mais il aurait été plus judicieux et symbolique d’attendre la création des radios et télévisions privées pour communiquer autour de cette opération.
Rafistolage communicationnel
Actuellement on essaie de rectifier le tir, hélas il y a eu déjà de gros dégâts à cause de l’amateurisme de l’Etat en matière de communication. On le voit clairement à travers les termes inadéquats utilisés lors de cette opération le discours des autorités face aux manifestations.
Déjà le mot « enrôlement » n’est pas le plus convenable car si on consulte le dictionnaire il signifie «conscription », « embrigadement », « engagement », etc. Pourquoi ne pas avoir choisi « recensement » qui, lui, veut dire « compte », « dénombrement », « évaluation », « inventaire »…? Il est plus approprié, plus compréhensible et plus familier du public.
Quant à l’appellation même de l’organisme chargée de la mise œuvre de l’opération, elle en rebute plus d’un. Inspirez profondément car vous aurez besoin de souffle pour le prononcer : l’Agence Nationale du Registre des Populations et des Titres Sécurisés. Ouf ! Trop long et complexe ! « Agence nationale de recensement (ou de l’état-civil)» aurait été plus facile à retenir. Pourquoi vouloir compliquer les choses alors qu’il y a plus simple ?
Lorsque les jeunes du mouvement Touche pas à ma nationalité ont organisé des marches pour protester contre le recensement, la réponse de l’Etat a été de les réprimer, un verbe qu’il maîtrise à merveille et qu’il a conjugué à tous les temps. En plus il a rapidement activé la machine judiciaire et mis l’accent sur des étrangers qui auraient pris part aux manifestations et qu’il utilise pour décrédibiliser et déstabiliser les contestataires. Bilan de toutes ces actions : un mort, des blessés et des arrestations. Des faits qui intéressent beaucoup plus les médias qui se bousculent pour interviewer la famille de la victime et les manifestants. Ces derniers en profitent pour dire à l’opinion nationale et internationale « voilà ce qui se passe en Mauritanie, si tu fais valoir tes droits on peut te rouer de coups, t’arrêter, te traiter d’étranger ou même te tuer ». Et lorsqu’ ils ont sollicité les forces de l’ordre pour leur manifestation à Nouakchott, ils voulaient montrer qu’ils étaient capables d’organiser une marche pacifique. Du coup les forces de sécurité ont dû s’ennuyer ce jour-là, elles qui sont habituées aux courses-poursuites et au tabassage.
Les manifestants, conscients de l’importance des nouvelles technologies et du poids de la communication à travers l’internet, s’empressent de poster vidéos et photos chocs sur les réseaux sociaux qui instantanément relaient l’information à une audience de plus en plus large. Et du coup leurs voix couvrent celles des autorités et relèguent ainsi au second plan le recensement lui-même.
Discours anachronique
Quant au pouvoir, n’a pas cherché à jouer la carte de l’apaisement et du dialogue face à la polémique et à la crise qu’a suscité le recensement. Pour preuve, suite à la mort du jeune Lamine Mangane, le ministre de l’intérieur, Ould Boilil, répond aux manifestants par un discours va-t-en-guerre. Une sortie anachronique alors qu’une personne est décédée, sa famille est en deuil, etc.
La communication n’est décidément pas son fort. Récemment il disait qu’il avait au début refusé de soutenir Aziz parce qu’il était putschiste avant de le rejoindre lorsque celui-ci a été adoubé par les urnes. Et ces derniers jours il affirmait qu’il n’y avait pas de réfugiés mauritaniens au Mali, un mensonge qui malheureusement en rappelle un autre. En effet lors des sanglants évènements de 1989, Ould Taya avait dit en public qu’il n’y avait aucun réfugié au Sénégal. Le ridicule ne tue pas dans ce pays, sinon ce serait une hécatombe de victimes.
Autre incohérence de l’Etat, l’annonce d’un recensement général de la population et de l’habitat l’année prochaine alors que l’opération actuelle est décriée. Certains diront que ce projet est différent puisqu’il n’a pas vocation d’état-civil mais il a tout de même été rendu public à un moment où la situation ne s’y prête guère. C’est une lamentable erreur de timing, un aspect important en matière de communication.
Pourtant, beaucoup de personnes dans le cercle du pouvoir, à commencer par le président Aziz qui a fait état de « peut-être quelques erreurs de communication », reconnaissent des manquements au niveau de la communication. Mais ils le font du bout des lèvres car pour les autorités mauritaniennes, et ça ne date pas d’aujourd’hui, reconnaître ses erreurs constitue une faiblesse. Alors que les minimiser et les ignorer ne fait que les amplifier avec des conséquences dramatiques que nul ne peut prévoir.
Absence de clarté, de simplicité, de timing ou encore d’anticipation, les carences de l’Etat en matière de communication sont nombreuses. Et tout porte à croire que ces lacunes sont dues tout simplement à un manque de compétences.
Ibrahima Athie
Journaliste, France
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