France – Pourquoi Serge Klarsfeld, figure de l’antinazisme, se dit prêt à voter RN

L’ancien chasseur de criminels nazis, au rôle considérable dans l’édification de la mémoire de la Shoah en France et la condamnation des hommes de Pétain, a rencontré Marine Le Pen en février. Il affirme qu’en cas de duel avec la gauche aux élections législatives anticipées, il voterait pour le RN.

Paris, 19 février 2024. Dans le vaste appartement du 8e arrondissement, non loin du quartier de l’Elysée, les talons de Marine Le Pen résonnent sur le parquet en point de Hongrie. Arno Klarsfeld, fils de Serge et de Beate, célèbres pour avoir pourchassé des criminels nazis afin de les traduire en justice, fait entrer dans son salon la cheffe de file du Rassemblement national (RN). Et lui présente… ses deux chats. Celle qui en élève ne feint pas de cajoler Heaven et Malka.

L’avocat répète qu’il faut aux leaders du RN un grand discours, comme celui de Jacques Chirac, en 1995, pour le Vél’ d’Hiv, sur la protection des « juifs de France ». Marine Le Pen acquiesce. L’instant d’après, la voilà reçue dans le bureau de Serge Klarsfeld, face aux plans reconstitués des camps de concentration d’Auschwitz et de Birkenau, toute une vie de travail sur les archives et les noms des victimes de la Shoah. C’est, là encore, l’amour des animaux qui les réunit ; un chihuahua à poils longs et une petite chienne de Roumanie ont fait leur apparition.

Quatre mois plus tard, l’Assemblée nationale est dissoute et le parti d’extrême droite se trouve aux portes du pouvoir. Les Klarsfeld sont, aux yeux du clan Le Pen, un immense symbole. L’onction d’une référence, entendue des Français de confession juive, propre à dynamiter l’un des derniers grands verrous de l’accession du RN aux rênes du pays.

Le 16 juin, le premier tour des législatives anticipées est encore loin mais Serge Klarsfeld déclare, lors d’une interview à la chaîne d’information LCI, qu’en cas de duel entre l’alliance de gauche et le RN, entre « un parti antisémite et un parti projuif, je voterai pour un parti projuif ». L’ex-Front national, cofondé par un ancien de la Waffen SS, projuif ? Gêne, tristesse et consternation dans le milieu des associations de déportés, où l’on éprouve un infini respect pour le legs du couple Klarsfeld.

« Un parti fréquentable »

 

Au RN, le ravissement domine. Eric Ciotti, rallié au parti lepéniste, s’empresse de saluer ce dévoilement contre « l’alliance des extrêmes gauches », au vif agacement de son ennemi Christian Estrosi. C’est le RN qui avait proposé l’entrevue de février. « On venait de loin, chacun en sens inverse. Maintenant, on s’accorde sur le fait qu’il y a eu deux France, une France qui a résisté, avec l’Eglise et la population, pas responsable de la déportation des juifs », enjolive le maire RN de Perpignan, Louis Aliot, né d’une mère juive algérienne et figure des pieds-noirs des Pyrénées-Orientales, artisan de ce rapprochement.

A Perpignan, en octobre 2022, Serge Klarsfeld avait reçu des mains de l’ancien directeur du cabinet de Jean-Marie Le Pen la médaille de la ville, grâce à l’entremise du Perpignanais Philippe Benguigui, président d’une association mémorielle. Ce petit événement local a ébranlé le monde des associations et des historiens, qui gardaient à l’esprit la tribune parue dans Libération, cosignée par les Klarsfeld, dans l’entre-deux-tours de la présidentielle de 2022, refusant « la société divisée, fracturée et violente prônée par Marine Le Pen », « fille du racisme et de l’antisémitisme ».

L’horizon s’est ouvert avec la « grande marche civique » contre l’antisémitisme organisée le 12 novembre 2023, moment de renversement de la vie politique après l’attaque terroriste du Hamas en Israël, le 7 octobre. Marine Le Pen et ses députés ont défilé, à l’arrière du cortège de plus 100 000 participants ; pas Jean-Luc Mélenchon ni ses fidèles de La France insoumise (LFI). Après de longs débats au sein de l’entourage élyséen, Emmanuel Macron s’est abstenu. « On a oublié de faire simple : contre l’antisémitisme, on marche ! », s’en mord aujourd’hui les doigts un ancien de la cellule « diplo » de l’Elysée.

Serge Klarsfeld avait alors soutenu, au micro d’Europe 1, que le RN était devenu « un parti fréquentable », en appelant au reniement de Jean-Marie Le Pen, porte-voix d’un « négationnisme vigoureux et néfaste ». Une réserve aujourd’hui évaporée. « Elle aime son papa », dit désormais Arno Klarsfeld. Que Jordan Bardella dise du patriarche de l’extrême droite qu’il n’était pas antisémite, avant de se rétracter face au tollé ? « Une réponse instinctive, il n’a pas la promptitude de l’hypocrisie », l’excuse Serge Klarsfeld, 88 ans, qui ne connaît pas le jeune homme de 28 ans.

« Les musulmans doivent s’occuper d’eux-mêmes »

 

Quand, en 2019, Jordan Bardella menait déjà le RN aux élections européennes, Jean-Marie Le Pen était encore l’eurodéputé qui s’indignait d’avoir « le droit de ne pas croire en Dieu, mais pas aux camps de concentration ou à leur importance », qualifiant le négationnisme, un délit, de simple « opinion ». Jordan Bardella était là, encore, au premier rang du colloque des 50 ans du parti, à l’Assemblée nationale, en 2022, où Bruno Gollnisch, membre du conseil national du RN, vilipendait la loi Gayssot de 1990 – qui réprime les actes racistes, antisémites ou xénophobes – comme « liberticide ».

Serge Klarsfeld, qui a longtemps admiré en Emmanuel Macron un « Bonaparte », et compte voter Renaissance ou Les Républicains dans son arrondissement de l’Ouest parisien – où un duel entre le Nouveau Front populaire et l’extrême droite n’aura pas lieu –, répète pourtant que le RN est devenu « philosémite ». « On verra à l’usure… J’ai des œillères de Français juif, c’est vrai », confie-t-il au Monde, en rappelant qu’il a perdu un cousin, commandant d’une brigade israélienne à Gaza, le 8 octobre 2023.

Que dit ce « Français curieux d’Allemagne », comme on le dépeint à l’Elysée, sauvé par son père Arno, qui le cacha de la Gestapo dans le double fond d’une armoire en 1943, et marié trente ans plus tard à une « Allemande venue à Paris », de la préférence nationale ? Du malaise d’étrangers vivant en France et de Français musulmans, au cœur des projets des forces d’extrême droite ? « Ce n’est pas mon problème ! Je ne peux pas m’occuper de tout, les musulmans doivent s’occuper d’eux-mêmes », tranche l’octogénaire, qui juge qu’ils « ne manifestent pas leur attachement à la France ».

Les mots du président de l’association Les Fils et filles des déportés juifs de France, qui a obtenu la nationalité israélienne en 2001, vont parfois jusqu’à flirter avec l’autodéfense juive. Assez pour que les institutions juives réaffirment qu’elles ne dévient pas de leur ligne « ni RN ni LFI ». A la tête du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), Yonathan Arfi témoigne d’un « sentiment de solitude républicaine », amertume adressée à la gauche. Aussitôt l’alliance du Nouveau Front populaire nouée, le 12 juin, le CRIF juge « indigne » de faire comme si « l’antisémitisme était une question secondaire, et non plus la ligne rouge fondamentale pour la gauche depuis l’affaire Dreyfus », malgré un projet qui énonce noir sur blanc la lutte contre le racisme et l’antisémitisme.

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Source : Le Monde

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