Seneplus – L’emprisonnement de Nicolas Sarkozy marque un tournant historique dans la vie politique française. Hormis Louis XVI, exécuté pendant la Révolution, et Philippe Pétain, emprisonné pour collaboration avec l’Allemagne nazie, aucun chef d’État français n’avait jamais purgé de peine de prison, rappelle la journaliste et militante Rokhaya Diallo dans les colonnes du Guardian, le 1er octobre.
L’ancien président a été condamné à cinq ans de prison pour association de malfaiteurs dans l’affaire dite du financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007. Il aurait conclu un pacte avec le régime de Mouammar Kadhafi pour obtenir un financement illégal, allant jusqu’à autoriser ses proches à maintenir des contacts avec Abdullah al-Senussi, beau-frère de Kadhafi et terroriste condamné en France pour l’attentat de 1989 contre un avion à destination de Paris qui avait fait 170 morts.
L’ironie de la situation n’échappe pas à Rokhaya Diallo, qui revient sur un épisode tragique d’octobre 2005. Trois adolescents de la banlieue de Clichy-sous-Bois, poursuivis par la police alors qu’ils n’avaient rien fait de répréhensible, s’étaient réfugiés dans un transformateur électrique. Zyed Benna et Bouna Traoré y trouvèrent la mort par électrocution, tandis que Muhittin Altun fut gravement brûlé.
À l’époque, Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, avait suggéré que les adolescents avaient commis un cambriolage, avant de déclarer : « Quand on n’a rien à se reprocher, on n’a rien à craindre de la police », selon les propos rapportés par l’auteure.
Malgré une enquête d’une décennie, l’implication d’environ 100 magistrats et un jugement de 400 pages, Sarkozy a dénoncé sa condamnation comme « une violation de l’État de droit ». Un nombre impressionnant de personnalités politiques se sont précipitées à sa défense.
Gérald Darmanin, ministre de la Justice, lui a rendu visite avant son incarcération « en tant qu’ami », exprimant « une grande tristesse pour Nicolas Sarkozy ». Il a récidivé mercredi avec une visite en prison, provoquant une plainte de 30 avocats l’accusant de partialité. Le maire de Nice a annoncé son intention de baptiser une place à son nom, tandis qu’Emmanuel Macron l’a reçu à l’Élysée avant son incarcération.
Sarkozy a même pu organiser une réunion d’adieu, et sa famille a orchestré un départ public où des partisans applaudissaient et criaient : « Honte à la justice ! »
Deux poids, deux mesures
L’auteure souligne le contraste frappant avec le traitement réservé aux citoyens ordinaires. En France, près d’un tiers des détenus attendent, comme Sarkozy, leur jugement. En 2022, le taux d’incarcération immédiate pour les peines de deux ans ou plus était de 88%. Pourtant, Sarkozy a bénéficié d’un privilège rarissime : plusieurs semaines pour se préparer à sa détention, durant lesquelles il a pu assister à l’anniversaire de sa fille.
Un proche de Sarkozy a déclaré à la radio que la prison était « un choc pour des gens comme nous, c’est terrible », avant de conclure : « Nous ne sommes pas faits pour ça, nous ne sommes pas des animaux ». Diallo s’interroge : qui sont alors ces « animaux » jugés méritants de la prison ?
Le mois dernier, l’inspecteur général des prisons françaises a alerté sur « l’état de délabrement alarmant » de nombreuses prisons, infestées de cafards, rats et punaises de lit. La France se classe deuxième de l’Union européenne pour la surpopulation carcérale.
« Il est frappant, pour ne pas dire plus, de voir ceux qui dénoncent constamment la prétendue indulgence du système judiciaire – et, comme Darmanin, réclament quotidiennement des lois plus sévères – décider soudainement que ce raisonnement ne devrait pas s’appliquer à Sarkozy », écrit Rokhaya Diallo.
La journaliste, qui milite pour l’abolition du système carcéral, rappelle que la carrière politique de Sarkozy s’est construite sur une position pénale intransigeante, particulièrement envers les récidivistes. « Aujourd’hui, il est soumis au système pénal qu’il a si ardemment promu », note-t-elle, ajoutant qu’il s’agit de sa deuxième peine de prison, la première ayant été purgée avec un bracelet électronique.
L’affaire est grave : un chef d’État français a été condamné pour association de malfaiteurs visant à recevoir des financements d’une puissance étrangère ayant commis des actes terroristes contre ses propres citoyens. Plus grave encore, souligne l’auteure, d’entendre cet homme qui a toujours défendu des peines criminelles plus sévères donner l’impression qu’il se croit au-dessus des lois.
Source : Seneplus (Sénégal)
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