Courrier international – Manifestement, tous les coups d’État ne se ressemblent pas. Autant la chute [du président de Madagascar] Andry Rajoelina, en octobre dernier, avait été saluée par le collectif de la Gen Z, autant, en Guinée-Bissau, le général Horta N’Tam [à la tête d’une transition qui doit durer un an] et ses compagnons peinent à susciter le moindre élan populaire. À l’inverse des cas observés au Mali, en Guinée, au Burkina Faso ou au Niger, ce putsch provoque même une réprobation assez large.
D’abord dans le pays, où les organisations prodémocratie dénoncent ouvertement l’interruption brutale du processus électoral [le coup d’État ayant eu lieu le 26 novembre, peu avant l’annonce des résultats des élections présidentielle et législatives]. Ensuite à l’étranger, où l’authenticité même du coup de force est ouvertement mise en doute. Reste à savoir si cette désapprobation généralisée facilitera la tâche de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), dont une mission de médiation est attendue à Bissau [ce 1er décembre]. On peut l’espérer.
Un sentiment de manipulation
Dans un contexte où les militaires regagnent du terrain politique sur le continent, le cas bissau-guinéen dénote. Paradoxal dans un pays ayant pourtant une longue tradition de coups d’État et de tentatives de putsch [l’histoire du pays est marquée par des coups de force militaires depuis son indépendance en 1974].
Mais si l’éviction [du président sortant] Umaro Sissoco Embaló ne passe pas, c’est surtout parce qu’elle manque de crédibilité. Le président, qui se présente comme victime, est en réalité perçu comme l’architecte du retour de l’armée sur le devant de la scène politique. Beaucoup d’observateurs y voient moins une prise de pouvoir qu’une mise en scène destinée à assurer une transmission contrôlée. C’est ce sentiment de manipulation qui hérisse une grande partie de l’opinion.
Car la mise en scène, plutôt laborieuse et pleine d’incohérences, est ressentie comme une insulte à l’intelligence des citoyens et des observateurs. Embaló apparaît comme un dirigeant tentant de travestir la réalité pour se présenter en martyr. Et son attitude jugée méprisante – préférer remettre les clés du pays à l’armée plutôt qu’accepter humblement le choix des électeurs – a achevé de retourner contre lui une large frange de la population.
Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que la junte, qui a mis en place un gouvernement de transition, ne parvienne néanmoins pas à mobiliser les foules dans les rues de Bissau. En retour, cette hostilité précoce met les nouveaux maîtres du pays à cran. Agacés par la défiance que leur oppose l’opinion publique, ils cèdent à la colère. C’est sans doute ce qui explique l’arrestation de quelques jeunes ayant manifesté contre le coup d’État ou encore les descentes musclées menées dans certains sièges de partis d’opposition.
“Combine”
À cela s’ajoute désormais la pression extérieure. [Le Premier ministre sénégalais] Ousmane Sonko a ainsi assimilé les événements de la semaine dernière à Bissau à une “combine”. Alors que l’ancien président nigérian Goodluck Jonathan, qui dirigeait une mission d’observation électorale à Bissau au moment des faits, a évoqué un coup d’État “cérémoniel”. C’est dire qu’Umaro Sissoco Embaló n’a pas tout à fait réussi son affaire et que la patate chaude qu’il a refilée à la junte en place au pays, elle aura de la peine à la garder.
Lui semble avoir réussi à se mettre à l’abri chez [le président du Congo] Denis Sassou-Nguesso. Mais la junte devant gérer les retombées de cette manœuvre se retrouve exposée et sans véritable légitimité. Pour une fois, la Cedeao dispose donc d’une marge de manœuvre. Inutile de brandir des menaces ou des sanctions : la fragilité actuelle des nouveaux maîtres du pays pourrait suffire à obtenir des concessions.
À condition toutefois de répondre à une réalité que beaucoup reconnaissent en filigrane : l’armée bissau-guinéenne nourrit une profonde méfiance vis-à-vis du PAIGC [Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert, la principale formation d’opposition, qui a dénoncé ce 29 novembre l’envahissement de son siège par des “miliciens lourdement armés”], une méfiance qui semble constituer l’un des moteurs principaux de ce coup de force.
Le Djely (Conakry)
Créé en 2015, le Djely (le “griot” en langue mandingue) est un site d’information sur la Guinée, l’Afrique et le monde.
Source : Courrier international (France)
Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

