Né en Ouganda et musulman de gauche, Zohran Mamdani élu maire de New York

Cet article a été publié par Orient XXI le 3 novembre.

Afrique XXI – Portrait · Malgré les attaques convergentes dont il fait l’objet, Zohran Mamdani devient le premier maire musulman de la ville étatsunienne après sa victoire ce 4 novembre. Sa campagne, marquée par une audace et une franchise rares chez les politiciens expérimentés, montre également les traces que laisse dans les mentalités le génocide à Gaza.

New York la cosmopolite a connu des maires blancs et deux maires noirs, des maires protestants, catholiques et juifs, des maires d’ascendance britannique, germanique, italienne, etc. Mais depuis son premier bourgmestre, en 1624, la ville n’en n’a jamais connu de musulman – ni de femme, d’ailleurs… Or, le 4 novembre, New York se retrouve avec un nouveau maire qui affiche une identité musulmane décomplexée.

Branle-bas de combat. On est ici dans la ville la plus juive du monde démographiquement. On y compte 1,3 million de juifs parmi ses 8,6 millions d’habitants, et une population musulmane d’un peu plus de 800 000 personnes, surtout issue d’Asie du Sud-Est (Inde, Pakistan, Bengladesh…), mais aussi de l’espace arabe (Égypte, Yémen…). Qui plus est, le moment est particulier, tant ce qui advient à Gaza est dans tous les esprits.

Or voici qu’un inconnu hors de sa circonscription où il a été élu à la Chambre des représentants de l’État de New York1, un nommé Zohran Mamdani, annonce, en 2024, sa candidature à la mairie. Les premiers sondages lui donnent 1 % des voix. Son principal adversaire, l’ex-gouverneur de l’État, Andrew Cuomo, caracole alors avec 34 % des suffrages. Sans compter les quatre autres candidats.

Gaza, sans nuances

Mamdani a trois handicaps. D’abord, il a 34 ans, donc pas d’expérience politique. Ensuite, il est un dirigeant des socialistes démocrates américains (DSA), le parti de Bernie Sanders – un pied dans le parti démocrate, un pied dehors –, que les Républicains traitent de « communiste » – une insulte aux États-Unis — et que l’appareil du parti démocrate juge trop « gauchiste ». Enfin, troisième handicap et non des moindres : d’ascendance indienne, il est musulman. Pis, il le clame. Et il exprime sans nuances ses opinions sur ce qui advient à Gaza.

Pourtant, il va très vite percer, jusqu’à remporter au début de l’été 2025, avec 54,4 % des suffrages, les élections primaires pour désigner le représentant du parti démocrate au scrutin municipal. Certes, son talent oratoire est avéré, sa rhétorique très maitrisée. Mais au-delà, ce qui a plu à l’électorat est qu’il apparait sincère – surtout face à un adversaire comme Cuomo, qui est le type même du politicien expérimenté, ancré dans les hautes sphères de son parti. Le journaliste du site en ligne Slate, qui a suivi Mamdani en campagne loin des quartiers huppés de la ville, écrit ceci :

J’ai tendu l’oreille lorsque les questions étouffées sur Gaza faisaient surface. Là où d’autres démocrates se réfugient dans une empathie surfaite ou un faux « équilibre » testé dans les sondages, Mamdani répond longuement, sans chercher le regard de son conseiller pour vérifier son approbation, mais en exprimant simplement ses pensées sincères sur le coût moral qu’il y a à esquiver les vérités difficiles2.

Autrement dit, à nier le génocide à Gaza.

Au départ, Gaza n’est pas le cœur de sa campagne. Mamdani en parle, mais porte l’essentiel de son attention sur les enjeux sociaux, dans une ville où le coût de la vie explose à en devenir indécent. En meeting, il s’amuse « des milliardaires (…) qui affirment que nous représentons une menace existentielle. Ils ont raison »3. Et d’ajouter qu’au DSA, on est une menace car on pense que l’argent ne peut acheter la démocratie, que la voix des travailleurs doit se faire entendre, que les expulsions des immigrés menées par le président Donald Trump sont indignes, etc. Il propose des solutions comme le gel de l’augmentation des loyers, la gratuité des bus, la création de marchés municipaux moins chers, des crèches, un accès plus facile aux soins, une taxation accrue des grands profits… Bref, il s’adresse aux préoccupations des quartiers populaires. Mais très vite, il est rattrapé par Gaza – comprenez, par la question : « Mamdani est-il antisémite ? »

Le chantage à l’antisémitisme

L’hostilité hargneuse des Républicains lui était acquise. Donald Trump a « menacé Mamdani de l’arrêter et suggéré qu’il vivait peut-être illégalement aux États-Unis »4. Mais Peter Beinart, directeur de la revue progressiste Jewish Currents, note que ce n’est pas Mamdani, ce sont les milieux juifs les plus proches des intérêts israéliens au parti démocrate qui ont fait de la Palestine et de ce qui advenait à Gaza le thème principal d’une campagne visant à délégitimer le candidat, en imposant l’idée que voter pour lui revient à « voter pour le Hamas »5.

Le paroxysme de la campagne de diffamation pointe mi-juin. Zohran serait « un musulman qui hait les juifs ». Représentante républicaine de New York, Elise Stefanik le traite de « suppôt du terrorisme ». Le candidat républicain à la mairie, Curtis Sliwa, crie à la « menace pour la sécurité ». Du côté démocrate, le maire sortant Eric Adams, dont la cote s’effondre à cause d’accusations de corruption, annonce qu’il mènera quand même sa campagne « pour mettre fin à l’antisémitisme ». Quant à Cuomo, principal adversaire de Mamdani, il a créé en 2024 « une organisation pour combattre l’antisémitisme » lui permettant de faire de ce thème « l’enjeu central de sa campagne en dépeignant Mamdani comme une menace pour la communauté juive »6.

Mais Zohran, stoïque, résiste. Plus il est vilipendé, plus enfle l’adhésion à sa candidature. Il apparait loin des discours préparés par des communicants. Lors d’un épisode du podcast The Bulwark dont il était l’invité le 17 juin 2025, il est interrogé sur le slogan « globaliser l’intifada », qui, dans la jeunesse de gauche, est devenu viral. Pour l’Américain moyen, « intifada » ne veut pas dire soulèvement mais « terrorisme ». Pourtant, le candidat refuse de s’en départir. Ce mot, répond-il, est diversement interprété. « Pour moi, il manifeste un désir désespéré des Palestiniens d’accéder à l’égalité des droits. » Accusé d’avoir usé du terme « génocide » pour qualifier les actes israéliens, il répond : « Je suis parvenu à cette conclusion comme l’ont fait des historiens israéliens tels qu’Amos Goldberg. » Et de citer l’ex-premier ministre israélien de droite Ehud Olmert « qui a dit récemment que la guerre menée par Israël est dévastatrice, cruelle, sans limites dans ses tueries de civils. Cela m’a amené à cette conclusion »7. Autrement dit, d’éminents Israéliens se sont prononcés sur la question avant lui.

 

Lire la suite

 

 

Sylvain Cypel

A été membre de la rédaction en chef du Monde, et auparavant directeur de la rédaction du Courrier international.

 

 

 

Source : Afrique XXI

 

 

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Quitter la version mobile