Dans un contexte migratoire en constante évolution, la santé mentale demeure un enjeu majeur et encore souvent invisible. En Mauritanie, nous agissons aux côtés du Croissant-Rouge mauritanien pour proposer des solutions aux besoins psychosociaux des personnes migrantes, qu’elles soient de passage, en transit ou installées depuis plusieurs mois. La route migratoire Atlantique Ouest relie les côtes de l’Afrique de l’Ouest aux Canaries. Empruntée depuis près de 20 ans, elle a connu un nombre croissant de mouvements en 2023 et, au cours des premiers mois de 2024*, des augmentations considérables ont été enregistrées par rapport à l’année précédente tout comme les décès et disparitions dus à des naufrages.
Une double approche : urgence et ancrage communautaire
« Nous intervenons sur deux axes principaux », explique Josiane, notre référente en santé mentale et soutien psychosocial : « Un axe d’urgence pour les personnes débarquant ou interceptées sur les côtes mauritaniennes, et un axe communautaire pour celles qui résident sur le territoire depuis plus longtemps. »
Lors des débarquements, les équipes réalisent principalement des premiers secours psychologiques dans un délai très court — souvent moins de 72 heures. Ces interventions visent à soulager, apaiser et réconforter les personnes, souvent choquées ou désorientées après leur traversée.
À Nouadhibou, un point de service humanitaire accueille les personnes migrantes du lundi au vendredi. Sur place, plusieurs équipes — médicale, psychosociale, logistique et protection — offrent une prise en charge holistique.
« L’objectif est d’améliorer le bien-être global des personnes. Cela passe par des soins médicaux, un soutien psychosocial, des kits de dignité (vêtements, sandales, collations), ou encore le rétablissement des liens familiaux », détaille Josiane.
On y trouve un espace bien-être, pensé pour être accueillant. Dans ce lieu, les équipes animent des groupes de parole, mènent des échanges ciblés en fonction des besoins exprimés, ou encore proposent des activités avec les enfants. Et si certaines personnes ne peuvent se rendre sur place — par peur ou par impossibilité – les équipes se déplacent à domicile, en toute discrétion.
Aller vers ceux qui n’osent plus sortir
Depuis plusieurs mois, la situation sécuritaire s’est durcie. « Il y a de nombreuses rafles, y compris au domicile des personnes exilées. Celles-ci vivent dans un état de stress quasi permanent », souligne Josiane.
Face à cette pression, les équipes adaptent leur intervention pour éviter de les mettre en danger. Prudence et pudeur sont primordiales, notamment pour les visites à domicile, qui proposent aussi des séances de psychoéducation et de sensibilisation pour les familles. En effet, il est aussi essentiel de soutenir tout le cercle familial afin de l’aider à mieux comprendre et accompagner leurs proches en souffrance psychique.
Les troubles les plus fréquents identifiés sont le stress chronique et aigu, lié à l’instabilité de leur situation et aux risques de rafles, les états dépressifs, les états de stress post-traumatique suite à des traversées et ou un parcours souvent éprouvant, les psychoses, les troubles du développement et du comportement chez l’enfant. On observe également de plus en plus, des problèmes d’addiction liés à la prise de substances psychoactives.
Le Croissant-Rouge mauritanien, acteur clé de la santé mentale
Le Croissant-Rouge mauritanien, avec l’appui de la Croix-Rouge française, s’est aujourd’hui imposé comme un acteur de référence en santé mentale et soutien psychosocial dans le pays. Du personnel spécifiquement dédié à ces questions a été formé : assistants psychosociaux, référents techniques et agents formés présents sur le terrain.
« Nous avons reçu plus de 245 personnes en entretien individuel entre janvier et juillet 2025 », précise Naba, membre de la délégation de la Croix-Rouge française à Nouadhibou. « Certaines ont ensuite été orientées vers d’autres services pour des besoins de protection, de soins médicaux, ou pour des démarches d’asile. »
Le Croissant-Rouge mène également des actions de cohésion sociale : tournois sportifs, jeux de société, soirées culturelles ou sensibilisations communautaires, autant d’occasions d’encourager l’expression et créer du lien entre les personnes migrantes et avec les communautés locales, lorsque le contexte le permet.
Une relation de confiance au cœur de l’accompagnement
Les personnes migrantes accueillies à Nouadhibou viennent principalement de Guinée, du Sénégal, de Gambie, mais aussi du Mali, du Nigéria, ou parfois de plus loin encore (Pakistan, Comores, Soudan). La diversité linguistique est un défi constant, mais les équipes s’adaptent grâce à la présence de médiateurs culturels ou en s’appuyant sur les chefs de communautés.
Plusieurs volontaires mauritaniens maîtrisent aussi les langues locales, ce qui permet de renforcer la proximité avec les personnes accompagnées et de créer un climat de confiance propice à l’expression. Conscients également des stigmatisations auxquelles sont régulièrement confrontées les personnes exilées, les équipes restent tout particulièrement attentives à leur réintégration sociale. L’accompagnement ne se limite pas à une intervention ponctuelle, il s’étend sur la durée, jusqu’à ce que la personne ait retrouvé une certaine stabilité.
Prendre soin des accompagnants : un enjeu essentiel
Soutenir le personnel et les volontaires est tout aussi important. La charge émotionnelle est grande pour ceux qui doivent faire face chaque jour à la détresse des populations particulièrement vulnérables, souvent traumatisées ou épuisées. Des dispositifs de “staff care” ont été mis en place, comprenant des activités de team building durant lesquelles l’équipe peut exprimer ses ressentis et décharger ses émotions. Un accompagnement individuel confidentiel est aussi proposé, permettant aux équipes d’être soutenues de manière personnalisée.
Dans un environnement souvent très précaire, chaque geste de soutien, chaque mot d’écoute, chaque action concrète contribue à restaurer une part d’humanité et de dignité pour ceux qui ont tout quitté et se retrouvent dans une situation de vulnérabilité extrême.
*Chiffres OIM
Source : Croix-Rouge Française (Le 09 octobre 2025)
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