Mauritanie – Kinross Tasiast : la mine d’or qui appauvrit la transparence

Une vitrine dorée, un contrôle terni

Derrière les promesses de prospérité et d’emplois, la mine de Tasiast, exploitée par la multinationale canadienne Kinross Gold Corporation, apparaît dans le dernier rapport de la Cour des comptes de Mauritanie (2022–2023) comme un symbole d’opacité, d’impunité et de désinvolture réglementaire.

Les auditeurs publics n’y vont pas par quatre chemins : accidents environnementaux non sanctionnés, conventions imprécises, plan de mauritanisation violé, et suivi administratif quasi absent. En clair, Tasiast échappe au contrôle réel de l’État tout en s’imposant comme l’un de ses principaux contributeurs fiscaux sur le papier.

Des fuites de cyanure… sans sanctions

Depuis 2009, la mine a connu plus d’une dizaine d’accidents environnementaux graves, dont des déversements de solutions cyanurées et de produits chimiques entre 2015 et 2017.

Le rapport cite notamment :

• un jet d’eau cyanurée à West Branch (9 mai 2017),
• une fuite d’eau contaminée sur TSF2 (mars 2016),
• et plusieurs déchirures de bassins laissant s’échapper des substances toxiques.

La Cour dénonce une inaction totale du ministère de tutelle : aucune sanction, aucune amende, aucune procédure corrective sérieuse.

Un rapport interministériel de 2019 avait pourtant évalué les amendes dues à 67,6 millions MRU jamais appliquées.

La compagnie continue donc de fonctionner comme si de rien n’était, pendant que les nappes phréatiques et sols du nord mauritanien subissent les séquelles silencieuses de l’or.

Un plan environnemental “fantôme”

Face à ces critiques, Kinross et le ministère ont signé en 2022 un “plan d’action environnemental” censé corriger la situation.

Mais selon la Cour, le document n’a ni titre, ni signature officielle, ni contenu exploitable. Aucune réalisation concrète n’y figure. Autrement dit, un faux plan pour calmer l’opinion et justifier l’inaction.

Le texte illustre ce que les magistrats appellent un “plan d’action de complaisance” un cache-sexe administratif dans un secteur où les dégâts sont visibles à l’œil nu.

L’argent dans l’or : un flou qui vaut des millions

Autre révélation explosive : la convention minière de 2004, reconduite et amendée en 2021, ne prévoit rien sur les résidus d’argent contenus dans les lingots d’or exportés. Or, ces résidus représentent entre 3 % et 12 % du poids total des exportations. Autant dire un pactole invisible pour le Trésor public.

La Cour précise :

“Ni la convention minière signée en 2004, ni celle de 2021 avec Tasiast Mauritanie Ltd ne traitent le sort de ces résidus.”

Résultat : l’État ne perçoit aucune part clairement définie sur l’argent extrait conjointement à l’or, un vide juridique soigneusement entretenu depuis plus de vingt ans. Un trou noir fiscal qui profite uniquement à l’opérateur étranger.

Mauritanisation : le grand mensonge

En 2016, Tasiast signait un protocole engageant la société à mauritaniser progressivement ses effectifs, jusqu’à ne plus compter que 23 expatriés après 2020. Or, selon la Cour, la réalité est tout autre : En 2023, 60 travailleurs étrangers sont employés directement par Tasiast, soit presque le triple du plafond autorisé. Le comité chargé du suivi “n’a enregistré aucun avancement”.

Dans sa défense, Kinross affirme employer 45 expatriés sur 1 723 salariés, arguant que 19 d’entre eux travaillent sur le projet 24K, non concerné par la convention. Une justification que la Cour juge non prouvée et hors cadre juridique. Autrement dit, le plan de mauritanisation est un engagement de papier sans application, sans contrôle, sans sanction.

Des conventions taillées sur mesure

Le rapport de la Cour révèle aussi un fait plus structurel : les textes qui encadrent Tasiast sont rédigés de manière à protéger la société plus que l’État. Les conventions minières n’abordent ni la fiscalité indirecte liée aux sous-produits, ni les modalités de formation des cadres mauritaniens, ni les sanctions automatiques en cas de non-respect des quotas locaux. Dans les faits, Kinross dicte ses conditions et ajuste le cadre à ses besoins, sous le regard impuissant d’une administration minière désarmée, sous-dotée et sous-informée.

Une souveraineté minée

Le cas Tasiast révèle un modèle d’extraction où la souveraineté se délite au profit d’une multinationale. Les ressources partent, les devises s’évaporent, et les engagements sociaux restent en suspens. La Mauritanie a gagné une mine, mais perdu son contrôle sur l’or. La Cour des comptes, en dressant ce constat accablant, ne se contente pas de pointer des manquements : elle décrit une dépendance systémique, où la puissance publique se comporte en guichet passif face à un acteur privé tout-puissant.

Le prix de l’or, c’est la transparence perdue

Kinross Tasiast se présente comme un partenaire stratégique, un employeur modèle, un contributeur majeur. Mais les faits, chiffres et constats du rapport officiel prouvent le contraire : pollution impunie, conventions floues, emplois non mauritanisés, fiscalité incomplète, et État absent. Dans un pays où la mine devrait être un levier de souveraineté, elle reste un miroir aux alouettes. Et tant que l’or de Tasiast brillera plus que la loi, le pays n’aura que les miettes de son propre sous-sol.

 

 

Souleymane Hountou Djigo

Journaliste, blogueur

 

 

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