Mauritanie – Diagnostic d’une situation extrêmement grave : La Justice, Laboratoire d’une Dénégation de l’Égalité

À la veille de la réunion du Haut Conseil de la Magistrature, le secteur de la justice apparaît aujourd’hui comme l’un des symboles les plus visibles de l’exclusion de la composante noire du pays. Cette réalité est d’autant plus préoccupante qu’elle concerne une institution qui, par essence, est censée incarner l’égalité des citoyens devant la loi.

Le Haut Conseil de la Magistrature, présidé par le Président de la République et composé du ministre de la Justice, du président de la Cour suprême, du procureur général près ladite Cour ainsi que de trois magistrats élus par leurs pairs, ne compte actuellement aucun magistrat negro-mauritanien. Cette absence totale n’est ni fortuite ni circonstancielle. Elle est le résultat d’une politique progressive, méthodiquement entretenue depuis des années, qui a atteint aujourd’hui son paroxysme. Il est à un niveau critique jamais égalé.

L’institution judiciaire, qui devrait être le socle de l’égalité républicaine, est ainsi devenue le lieu d’expérimentation abouti d’une exclusion durable et systémique de la composante noire, dans l’ensemble de ses instances et structures connexes.

Une dynamique ancienne, aujourd’hui à son point de rupture

Cette politique d’exclusion ne date pas d’aujourd’hui. Entamée depuis plusieurs décennies, elle s’est accélérée à partir des années 1990 pour atteindre aujourd’hui un seuil alarmant. La tendance observée conduit, de manière dangereuse et dans l’ensemble des juridictions du pays.

Lorsqu’une institution chargée d’incarner l’égalité des citoyens, de rendre la justice et de réguler les conflits sociaux ne parvient plus à refléter la diversité de la société qu’elle sert, il est légitime de s’interroger sur l’état réel de presque irréversible, vers la disparition quasi totale des magistrats negro-mauritaniens

l’État de droit. Ce constat interroge non seulement le fonctionnement de la justice, mais aussi les fondements mêmes de la République et du vivre-ensemble, déjà fragilisés dans d’autres secteurs essentiels tels que l’école, l’armée et certaines institutions républicaines.

Un appareil judiciaire marqué exclusivement par la composante Beydane

L’analyse de l’appareil judiciaire et de ses institutions annexes révèle une réalité amère : l’inexistence quasi totale de la composante negro-mauritanienne à tous les niveaux de juridiction.

Au-delà des inégalités structurelles affectant les Haratines et de la tribalisation progressive de certains pans de la justice – souvent liée aux choix des décideurs en place – les Peuls, Soninkés et Wolofs sont presque absents de l’appareil judiciaire. Sur près de 300 magistrats, on en dénombre à peine une dizaine issue de ces communautés. Parmi eux, environ la moitié occupe des fonctions politiques ou administratives, les rendant non opérationnels pour l’exercice de la justice : un wali, un conseiller au ministère de la Justice et un magistrat affecté à la Cour de la Fatwa et des recours gracieux. D’autres sont en fin de carrière, proches de la retraite.

Parmi ces magistrats non opérationnels, deux partiront à la retraite à la fin de l’année en cours, et le troisième l’année suivante.

Une présence résiduelle et fragilisée dans les juridictions

Les magistrats negro-mauritaniens actuellement en fonction dans les tribunaux sont au nombre de cinq. L’un d’eux prendra sa retraite dès la fin de l’année, réduisant ce nombre à quatre. Parmi ces derniers :

La situation globale est donc extrêmement préoccupante et ne laisse entrevoir aucune amélioration à court terme. Elle ouvre au contraire la voie à une justice de plus en plus monocolore et excluante, ne reflétant aucunement la réalité sociale du pays.

Le rôle central de l’ENAJM dans le processus d’effacement

Depuis plus de trente ans, l’École nationale d’administration et de magistrature (ENAJM) a joué un rôle déterminant dans ce processus. Sa politique de recrutement a consacré une discrimination assumée dans l’accès aux fonctions judiciaires, s’inscrivant dans une tendance plus large touchant l’ensemble de la fonction publique.

Hormis quatre magistrats récemment recrutés – trois juges et un substitut du procureur – l’ENAJM n’a sélectionné aucun juge negro-mauritanien au cours des cinq dernières années.

Deux facteurs expliquent cet effacement :

Ce système exclut de fait les candidats formés au droit moderne, toutes composantes confondues, mais frappe particulièrement les communautés déjà marginalisées.

Une justice perçue comme étrangère par une partie des justiciables

La cartographie globale des juridictions et de leurs compositions met en évidence l’ampleur des déséquilibres. Une large partie des justiciables ne se reconnaît pas dans une institution qui statue souvent dans une langue qu’ils ne maîtrisent pas et dont les décisions sont rendues par des magistrats parfois insuffisamment formés, avec pour horizon principal l’incarcération ou la restriction des droits, souvent au prisme d’affinités tribales, sociales ou de rapports de pouvoir.

Une exclusion systématique dans toutes les structures judiciaires

À l’échelle nationale, la composante negro-mauritanienne ne compte plus que six magistrats : quatre Peuls, un Soninké et un Wolof. Aucun n’occupe de fonction décisionnelle stratégique ; tous sont cantonnés à des postes de conseillers.

Sur plus de 60 tribunaux de Moughataas, aucun juge d’instruction n’est negro-mauritanien. Ils sont également absents :

À la Cour suprême, un seul conseiller negro-mauritanien siège parmi une trentaine de magistrats.

S’agissant du parquet, la situation est tout aussi alarmante : un seul substitut du procureur dans tout le pays, actuellement en formation à l’étranger.

Une exclusion étendue aux institutions connexes et aux professions judiciaires

Cette marginalisation s’étend également aux autorités administratives indépendantes liées au champ judiciaire : Autorité nationale de lutte contre la corruption, Agence judiciaire de l’État, Commission nationale des droits de l’homme, Mécanisme national contre la torture, Observatoire national de la femme et de la fille, Commissariat aux droits de l’homme, Autorité de protection des données personnelles, entre autres.

Les professions libérales et parajudiciaires connaissent la même réalité :

Conclusion : une alerte républicaine

Ce tableau, sombre et alarmant, révèle l’ampleur des inégalités structurelles qui minent la confiance d’une large partie de la population envers l’institution judiciaire. Sans un début de redressement rapide et crédible, cette défiance ne peut que s’aggraver.

Un dialogue sans volonté réelle de changement serait un dialogue vidé de son sens. Il devient impératif d’engager des mesures fortes, rapides et structurantes afin d’éviter une rupture irréversible avec les principes fondamentaux de la République : l’égalité, la justice et le vivre-ensemble.

 

Khaly Mamadou Diallo

Député à l’Assemblée

 

 

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