Le Monde – Chronique – Partir ou rester ? Sans demander ouvertement son départ mais en poussant les mauvaises manières jusqu’à l’humiliation, la junte au pouvoir à Bamako force la France à se poser la question de sa présence militaire au Mali, où elle est arrivée en janvier 2013, à la demande des autorités de l’époque, pour repousser une offensive djihadiste.
Dans un contexte de plus en plus difficile, aggravé par un premier coup d’Etat en 2020 puis un second en 2021, trois événements récents précipitent la rupture : l’implantation, à l’invitation de Bamako, des mercenaires russes du groupe Wagner, aujourd’hui au nombre d’un millier d’hommes selon deux sources françaises ; l’expulsion du contingent danois, à peine arrivé, membre de la force européenne sous commandement français « Takuba » ; et celle, lundi 31 janvier, de l’ambassadeur de France. Pour un pays dont l’engagement aux côtés des forces armées maliennes a coûté la vie à 53 de ses soldats, ça fait beaucoup.
Partir ou rester ? « La question ne se pose pas dans ces termes », veut-on croire à l’Elysée. Partir ? Se faire mettre dehors par des colonels putschistes, abandonner le terrain aux groupes djihadistes et laisser la Russie s’installer, comme elle l’a fait en République centrafricaine ? Hors de question. La France pense avoir de bonnes raisons de rester engagée au Sahel : la menace sécuritaire ; les liens entre sa population et la diaspora ; l’enjeu stratégique avec l’activisme croissant de la Russie et de la Turquie.
Ressentiments du passé
Mais poser la question, même dans des termes plus nuancés, c’est déjà reconnaître l’échec d’une stratégie qui, si elle a pu produire des résultats les premières années avec l’opération « Serval », n’est plus adaptée à la situation au Sahel. La menace djihadiste s’étend maintenant au nord des pays côtiers du golfe de Guinée. Les Etats y sont de plus en plus fragiles, comme le montre le putsch qui vient de se produire au Burkina Faso. La désillusion des populations à l’égard de la démocratie est profonde. La France, du coup, reste associée à des dirigeants défaillants qui ne manquent pas, lorsque cela sert leur intérêt, de faire dériver la colère populaire vers l’ancienne puissance coloniale : les ressentiments du passé n’ont pas été effacés par un coup d’ardoise magique.
A Paris – ça peut se comprendre – on préfère parler de « fin d’un cycle » qu’il « faut gérer », plutôt que d’échec. Comme en Afghanistan, on plaide la fin d’un modèle d’intervention extérieure, trop lourd, trop visible. Mais contrairement à l’Afghanistan, assure l’Elysée, le bilan n’est pas totalement négatif : la Mauritanie, première nation sahélienne visée par le terrorisme djihadiste à la fin de la décennie 2000, et le Niger ont, jusqu’ici, mieux tenu que le Mali et le Burkina Faso.
Désireux de faire de la transformation de la relation de l’Afrique avec la France l’un des grands axes de sa politique extérieure, le président Emmanuel Macron avait compris qu’il fallait aussi changer de modèle d’intervention au Mali. Il n’a pas su en convaincre les principaux intéressés. Il a d’abord cherché à améliorer et à diversifier ce qui avait été lancé, en soutenant le G5 Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger, Mauritanie, Tchad), en mobilisant des fonds internationaux pour le développement, en déployant d’infatigables efforts pour associer les Européens au dispositif français.
Un enjeu de solidarité européenne
En juin 2021, finalement, il annonce ce qui ressemble à un changement de modèle, avec la réduction du contingent « Barkhane », appelé à passer de 5 100 hommes à 2 500 d’ici à 2023. Pas un retrait, assure-t-il, un redéploiement. Et un constat d’échec qui ne dit pas son nom : « Nous ne pouvons pas sécuriser des régions qui retombent dans l’anomie parce que des Etats décident de ne pas prendre leurs responsabilités, explique-t-il le 10 juin. C’est impossible, ou alors c’est un travail sans fin. »
Mais les choses vont plus vite que lui. La dégradation s’accélère : huit mois plus tard, le G5 Sahel a implosé et un énorme point d’interrogation plane sur la « Task Force Takuba », grande fierté du président qui a réussi à y attirer des forces spéciales venues du nord et de l’est de l’Union européenne (UE), d’Estonie ou de République tchèque, aussi familières du Sahel que nous le sommes du Groenland, et qui y voyait la préfiguration de l’Europe de la défense.
Partir, donc, non. Rester dans les mêmes conditions ? Non plus. A nouveau, il est question de bâtir un autre modèle, plus léger, plus axé sur la gouvernance, « plus imbriqué avec les partenaires », en s’appuyant sur le Niger et les pays côtiers puisqu’il n’est plus possible de travailler avec le Mali. Peut-on mener une lutte antiterroriste hors du pays où sont concentrés les chefs des groupes armés ? Il faudra en convaincre les partenaires européens, dont la France a besoin si elle veut, comme elle s’y est résolue, ne plus apparaître en première ligne.
C’est là, peut-être, la seule bonne nouvelle pour M. Macron. Ce qui était perçu dans l’UE il y a quelques années comme une autre aventure française dans son arrière-cour africaine est devenu un véritable enjeu de souveraineté et de solidarité européenne pour ceux qui y participent.
Source : Le Monde
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