Sénégal – LES CASTES, UN HÉRITAGE INDÉPASSABLE ?

Dans l'est, le système hérité de l'époque précoloniale façonne encore les mariages, dirige les écoles et interdit l'accès aux responsabilités politiques. Un reportage de Jeune Afrique révèle une réalité que ni l'éducation ni l'islam n'ont réussi à effacer

Seneplus  – Alors que le Sénégal célèbre ses avancées démocratiques, un système archaïque continue de plomber la vie de milliers de ses habitants. Dans l’est du pays, particulièrement à Tambacounda et Goudiry, les castes façonnent encore les mariages, dirigent les écoles, organisent la vie communale et scellent les destins.  Reportage de Jeune Afrique sur une réalité que l’éducation et l’islam n’ont pas réussi à effacer.

Le proviseur Issaga Seck n’oubliera pas sa première année à Tuabou. Dès 2012, ce village soninké à quelques kilomètres de Bakel lui a révélé la prégnance du système de castes. « Chaque semaine, il y avait des querelles, des confrontations. Certains jeunes s’étaient même retrouvés au tribunal après des bagarres », rapporte-t-il à JAe. Les élèves refusaient de s’asseoir à côté de certains camarades, des insultes apparaissaient sur les tableaux. L’homme a dû rappeler que « l’école était laïque et républicaine, et que tous les élèves étaient égaux ».

Ces tensions scolaires reflètent une fracture bien plus profonde. À Tuabou, les Bathily, descendants de la famille royale fondatrice du royaume du Gadiaga, détiennent le pouvoir et la majeure partie des terres cultivables. Face à eux, les familles dites « castées » revendiquent leur part. « Au fil du temps, les descendants des esclaves de maison, qui travaillaient pour la famille royale, ont connu une certaine ascension sociale. Ils ont fait des études, ont envoyé leurs enfants en France, et, peu à peu, ont refusé la domination des fondateurs du village », décrit Issaga Seck pour le magazine panafricain. La localité est désormais scindée en deux. Certains boycottent la mosquée du village et se retirent de la caisse collective.

Le système des castes, hérité des civilisations précoloniales, assignait à chacun un rôle selon son métier. « Dans ce qui constituait l’Empire mandé, la stratification sociale s’étendait de la classe des nobles, à commencer par les guerriers, jusqu’aux castés : les artisans, les bijoutiers ou encore les forgerons », explique le sociologue Mamadou Sow, membre d’Amnesty Sénégal, dans les colonnes de Jeune Afrique. Ces divisions se perpétuent de génération en génération.

Paradoxalement, l’islam, arrivé au XIe siècle avec ses préceptes d’égalité, n’a pas éradiqué ces pratiques. « Le lien entre les castes et les traditions animistes est très fort », souligne Mamadou Sow dans l’article de Jeune Afrique. Le métier de forgeron s’accompagne de rituels : amulettes et chants pour conjurer les djinns attirés par le fer et l’or. Aujourd’hui encore, des parents refusent que leurs enfants partagent leur banc avec des camarades de caste inférieure. Certains villages interdisent qu’un imam casté dirige la prière. Les différences s’inscrivent jusqu’au-delà de la mort : des cimetières distincts séparent les défunts selon leur lignée.

Mariages contrôlés et quêtes de respectabilité

Le mariage demeure le terrain où les castes affirment leur pouvoir. « Aucune union ne peut être célébrée avant que soit menée une enquête rigoureuse sur l’ascendance de la personne qui doit rejoindre la famille », assure Mouhamadou Lamarana Bâ, conseiller municipal de Tambacounda, cité par la journaliste Marème Soumaré. Cette enquête ancestrale, il l’a pratiquée pour ses propres enfants et ceux de ses proches. « J’ai beau être un intellectuel, je ne laisserai jamais ma fille se marier avec une personne castée. À la limite, un griot, je pourrais le tolérer. Mais un potier, ce n’est même pas la peine », lâche-t-il sans détour dans l’article.

Famala Sy, habitante de Goudiry issue d’une famille noble, a respecté cette règle. « Si un homme issu d’une autre caste avait souhaité m’épouser, ma mère n’aurait jamais accepté », confie-t-elle à l’envoyée spéciale de Jeune Afrique. Elle a épousé celui que ses parents lui avaient choisi pour ne pas « les rabaisser ». « Se marier en dehors de sa caste, c’est prendre le risque de ne jamais être acceptée par sa belle-famille et d’être rabaissée en permanence », explique-t-elle, avant d’ajouter : « Tu peux tenter de dépasser les traditions, mais cela ne sera pas sans conséquences. Et cela finira par te porter malheur ».

Les conséquences dépassent le cadre familial. Les organisations de défense des droits humains, comme Amnesty Sénégal, alertent sur la stigmatisation et ses incidences politiques. « Certains responsables souhaitaient que le principe des castes s’applique pour établir l’ordre des candidats sur les listes aux élections locales », déplore un élu de la région dans JA. Mouhamadou Lamarana Bâ confirme : « Dans certaines communes, les personnes castées ne pourront jamais être élues. Voir d’anciens esclaves siéger dans des instances de décision n’est pas envisageable ».

El Hadji Sao, élu de Goudiry, s’étonne dans l’article de Jeune Afrique que « des gens instruits restent attachés à ce système ». Le sociologue Mamadou Sow explique cette prégnance par le contexte régional : « Nous sommes à un carrefour entre plusieurs ethnies – les Peuls, les Soninkés et les Mandingues – pour lesquelles cet aspect culturel compte davantage que pour d’autres ethnies ».

Malgré des tensions apaisées grâce à des « personnes de bonne volonté des deux côtés et de certains marabouts », le conflit reste latent. « Les cendres sont toujours chaudes, et certains villageois, en particulier les jeunes de la diaspora, n’ont pas abandonné leur combat », prévient Issaga Seck.

Pour Famala Sy, la tradition a le dernier mot. Elle assure qu’elle laissera sa fille épouser qui elle souhaite, mais précise : « Je sais bien que mes oncles ne seront pas si flexibles ». Le système des castes, étroitement lié à la figure paternelle, perpétue une société où le passé forge l’avenir. Et où l’ascendance prime sur l’ambition.

 

 

Source : Seneplus – (Sénégal) – Le 22 novembre 2025

 

 

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