– Enquête – Depuis son retour au pouvoir, le président américain poursuit de sa vindicte la célèbre police fédérale. Une institution coupable à ses yeux d’avoir enquêté sur lui ou ses proches et qu’il entend mettre au pas en renvoyant des agents par dizaines, au risque de mettre en péril la sécurité des Etats-Unis.
Trois coups retentissent, la salle se lève. L’audience peut commencer, ce 8 octobre, au tribunal d’Alexandria, dans la banlieue chic de Washington : « Les Etats-Unis contre James Comey ! », lance la greffière. Le prévenu déploie son grand corps, 2,03 mètres dressés face à la cour tel un épouvantail. L’ancien directeur du FBI (Federal Bureau of Investigation) ne se retourne pas vers sa famille, qui a fait la queue parmi la foule des journalistes afin d’assister à ce moment historique. Dehors, des manifestants bravent la pluie pour dénoncer une « justice spectacle ». James Comey, 64 ans, commence la première manche de son bras de fer judiciaire contre Donald Trump, l’homme le plus puissant de la planète.
Le haut fonctionnaire est poursuivi pour entrave à une commission d’enquête parlementaire et fausses déclarations au Congrès. Il lui est reproché d’avoir menti au sujet de sa conduite des investigations sur l’ingérence russe dans la campagne présidentielle américaine de 2016. Moscou avait alors cherché à favoriser la victoire de Donald Trump face à Hillary Clinton. Malgré de lourds soupçons, la complicité du républicain n’avait pas été démontrée. Le milliardaire est persuadé que le FBI cherchait sa perte avec cette très médiatique instruction. Rancunier, il crie aujourd’hui vengeance.
James Comey est l’homme qui a refusé de lui prêter allégeance en 2017, lors d’un dîner en tête à tête à la Maison Blanche, digne de la mafia. « J’ai besoin de loyauté, j’attends de la loyauté », lui lançait ce soir-là le président américain. Donald Trump attendait notamment de son convive qu’il enterre une enquête du FBI portant sur les liens avec la Russie de son conseiller à la sécurité nationale, Michael Flynn. Faute d’avoir donné la réponse escomptée, le directeur du Bureau était limogé quelques semaines plus tard. Il racontera la scène dans ses Mémoires, qui seront adaptés dans une série télévisée, The Comey Rule (2020), cruelle pour Donald Trump, campé en personnage brutal et sans limites.
Depuis, James Comey est devenu un symbole de cette police fédérale que le locataire de la Maison Blanche entend mettre au pas. Une agence trop indépendante à ses yeux, qu’il suspecte de diriger l’« Etat profond », son ennemi imaginaire, peuplé de fonctionnaires anonymes prétendument voués à sa perte. Donald Trump rêve d’ailleurs d’abattre le Hoover Building, le siège du FBI à Washington, un bunker à l’architecture brutaliste dont les caméras vissées sur le toit contemplent la ville telles les gargouilles de Notre-Dame. Il voudrait promouvoir à sa place un bâtiment de style néoclassique, plus conforme à sa vision du beau.
Vendetta présidentielle
La presse n’en finit plus de raconter la purge qui frappe le FBI depuis son retour au pouvoir, en janvier. Aucun chiffre officiel n’est divulgué. Il est néanmoins établi que des dizaines d’agents ont été jetés dehors pour avoir enquêté sur le président américain, quand ils ne sont pas simplement soupçonnés d’entretenir des opinions déviantes. La plus célèbre police du monde, à la légende façonnée par le cinéma et la télévision, dans Le Silence des agneaux (1991) ou X-Files (1993-2018), est plus habituée à susciter la crainte qu’à subir de tels assauts.
La vendetta présidentielle est si flagrante qu’il a été difficile de trouver un magistrat prêt à se compromettre dans les poursuites contre James Comey. Donald Trump a dû manifester publiquement son agacement contre sa ministre de la justice, Pam Bondi, afin d’obtenir satisfaction. « JUSTICE DOIT ÊTRE RENDUE, MAINTENANT ! !! », lui a-t-il réclamé dans un message sur son réseau Truth Social, le 20 septembre. Quarante-huit heures plus tard, sa propre avocate et conseillère à la Maison Blanche, Lindsey Halligan, était nommée procureure fédérale. Elle inculpait James Comey dans la foulée.
Ce 8 octobre, donc, Lindsey Halligan garde le silence dans la salle d’audience du tribunal d’Alexandria. La nouvelle procureure de 36 ans dirige pour la première fois de sa vie une procédure judiciaire. Elle paraît bien novice dans cette juridiction du district est de Virginie, l’une des plus importantes du pays, où se traitent des affaires relevant de la sécurité nationale. La spécialité de Lindsay Halligan, à l’origine, ce sont les assurances… Un collègue, guère plus âgé qu’elle, s’exprime à sa place au nom de l’accusation. L’audience est purement technique. Elle vise à régler les termes du duel et à permettre à l’accusé, qui encourt jusqu’à cinq ans de prison, d’annoncer son intention de plaider non coupable. Il n’aura sans doute pas besoin de le faire.
Le 24 novembre, un juge a dénoncé l’irrégularité de la nomination de Lindsey Halligan : cette dernière, désignée procureure par intérim, succédait déjà à un autre intérimaire. L’inculpation de James Comey a donc été annulée. Mais le rodéo judiciaire ne fait que commencer. Le gouvernement a annoncé vouloir faire appel de cette décision ou relancer une nouvelle procédure contre l’ancien directeur du FBI. Il faudra convaincre que les faits qui lui sont reprochés ne sont pas frappés par la prescription. Lindsey Halligan jure qu’elle en a vu d’autres. Elle a assuré au Washington Post que sa participation au concours de Miss Colorado lui avait appris à gérer la pression.
Ennemi de l’intérieur
Par un drôle de hasard, un colloque sur la « politisation du FBI » est organisé, ce soir du 8 octobre, dans un quartier résidentiel de l’est de Washington. Les citrouilles d’Halloween décorent les perrons alentour. Il n’y a pas foule dans la salle de conférences défraîchie du Hill Center, au deuxième étage de cette demeure victorienne qui accueillait les blessés de la Navy au temps de la guerre de Sécession. Une quarantaine d’habitués tout au plus, des retraités pour beaucoup, venus s’offrir quelques frissons.
Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com
