– Le 25 novembre 2020, Lemlem (les noms et lieux de domicile n’ont pas été précisés, par souci de confidentialité) est arrêtée chez elle par des soldats des forces de défense érythréennes. Durant la guerre du Tigré, dans le nord de l’Ethiopie, de novembre 2020 à novembre 2022, ces dernières étaient alliées à l’armée fédérale éthiopienne contre les insurgés du Front populaire de libération du Tigré. Les soldats l’emmènent de force à quelques kilomètres de là, dans l’abattoir de la ville qui sert de base militaire depuis le déclenchement de la guerre, le 3 novembre 2020.
Durant dix-sept jours, Lemlem y sera violée par des dizaines de soldats. Elle passera aussi de longues heures attachée par les pieds à une esse en métal, servant d’ordinaire aux carcasses de bovins, la tête en bas. En plus des viols, cette jeune mère de deux enfants subira au quotidien les coups de crosses de ses bourreaux, à la nuque, dans le dos et sur la tête.
Son récit fait partie de très nombreux témoignages recueillis par la commission d’enquête sur le génocide au Tigré et publiés, le 16 octobre, dans son nouveau rapport intitulé « Violences sexuelles et sexistes génocidaires durant la guerre au Tigré ». Ce document est inédit par l’ampleur des informations rapportées : plus de 480 000 femmes âgées d’au moins 15 ans ont été interrogées, soit un tiers de la population féminine de la région éthiopienne.
D’après le rapport, 60 % d’entre elles ont été victimes de violences relatives à leur genre. Dans la très grande majorité des cas, de violences sexuelles (167 000 répondantes) et de viols (152 000 cas). Des données qui sont en hausse par rapport aux chiffres donnés jusqu’ici par les autorités du Tigré, qui évoquent 120 000 femmes et jeunes filles violées durant la guerre, soit une femme sur dix.
Rendre les femmes infertiles
Le rapport de 150 pages énumère la multiplicité des violences sexuelles infligées aux femmes tigréennes pendant le conflit. La commission affirme ainsi que la majorité des viols commis, 70 %, sont des viols collectifs impliquant deux à cinquante agresseurs. Almaz se souvient par exemple avoir été violée tour à tour par une trentaine de soldats des forces de défense nationale éthiopiennes dans un bureau de l’administration régionale à Makalé. Pendant les seize jours de sa captivité, la Tigréenne, dont le crâne a été tondu dès son arrivée, a par ailleurs subi des coups dans la mâchoire et a été forcée de boire sa propre urine.
La commission souligne aussi des viols et des agressions sexuelles dans le but « d’empêcher la reproduction des femmes tigréennes ». Près de 16 000 répondantes ont affirmé avoir été victimes d’insertion d’objets dans leur corps lors de leur agression. Des lames de rasoir, des clous rouillés, des coupe-ongles, du sable, du poivre, des cailloux ou des morceaux de plastique font partie des éléments retrouvés dans les vagins et les anus des femmes, pour les rendre infertiles.
En décembre 2020, alors qu’elle rentrait de l’église, Akberet a subi des violences sexuelles chez elle par trois soldats érythréens. Violée une première fois par l’un d’eux, elle perd connaissance lors du second viol. Lorsqu’elle se réveille, elle est seule et découvre qu’un serpent mort a été inséré dans son vagin.
Des viols et des agressions sexuelles ont également été commis sur des femmes enceintes (9,9 % des interrogées), dans le même but. La commission rapporte le cas d’une femme de 45 ans, violée en mars 2021 par sept soldats érythréens alors qu’elle était enceinte de neuf mois. Pendant son viol, une soldate érythréenne lui a comprimé le ventre, occasionnant des douleurs insupportables. La victime a accouché quelques jours plus tard d’un bébé mort-né.
Ces actes, qui « affectent la santé reproductive » des femmes et « sont directement assimilables à des mesures de prévention des naissances », « s’apparentent donc à des crimes de génocide », affirme la commission. Des agissements maintes fois dénoncés par plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) et chercheurs, y compris pendant la guerre.
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