L’AFP, une agence mondiale de presse sous la pression des populismes

Ciblée par plusieurs gouvernements autoritaires, l’Agence France-Presse, l’une des trois agences de dimension planétaire, est fragilisée économiquement, d’autant qu’elle fait face à la vulnérabilité des médias, soumis à la révolution des usages et à l’irruption de l’intelligence artificielle.

Le Monde – Signe des tensions sur le front de l’information fiable, voilà plusieurs mois que l’Agence France-Presse (AFP) est soumise à rude épreuve dans un climat mondial de polarisation et d’essor des régimes autoritaires. La direction a ainsi dénombré 25 incidents graves impliquant des journalistes de l’AFP au premier semestre 2025, davantage que pendant toute l’année 2024. « C’est peut-être l’un des moments les plus difficiles que traverse notre profession depuis cinquante ans, voire depuis la seconde guerre mondiale », estime Phil Chetwynd, directeur de l’information de l’agence française qui, avec 2 600 collaborateurs et des contenus distribués en six langues, figure parmi les trois agences de presse de dimension mondiale, avec Reuters et Associated Press.

Les violences à l’égard des professionnels des médias se multiplient et l’AFP n’y échappe pas. Au Sahel, faute de pouvoir travailler en sécurité, plusieurs journalistes de l’agence ont dû quitter le Burkina Faso et le Mali. A Gaza, les locaux de l’AFP ont été détruits par des tirs de chars israéliens et tous les collaborateurs ont perdu leur logement dans cette zone où, selon Reporters sans frontières et l’ONU, entre 210 et 247 journalistes ont été tués depuis l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre 2023.

En Europe de l’Est, suivant l’exemple hongrois, où le premier ministre, Viktor Orban, a transformé la quasi-totalité des médias en instruments de propagande, la Slovaquie de Robert Fico a vu une recrudescence du cyberharcèlement des fact-checkers qu’emploie aussi l’agence. Les menaces de mort y ont augmenté, comme en Serbie et en Allemagne.

« Contamination rapide »

L’Amérique centrale et du Sud n’est pas en reste. Recherchés par la police, deux journalistes de l’AFP ont dû fuir le Nicaragua. Avec l’arrivée au pouvoir du président d’extrême droite Javier Milei en Argentine, l’agence de presse Télam a fermé et les médias ont resserré leurs dépenses, privant l’agence française de 275 000 euros de chiffre d’affaires.

L’AFP, fondée en août 1944, a ainsi décompté plusieurs annulations de contrats dues à des pressions exercées par des gouvernements autoritaires ou populistes sur ses clients. Sur les 7,6 millions d’euros manquants par rapport au budget prévisionnel 2025 approchant 325 millions, près de 5 millions sont attribuables à des décisions politiques, explique le PDG de l’agence, Fabrice Fries, constatant un « effet de contamination rapide du manuel populiste contre les médias, qui finit par avoir des répercussions sur le business ».

Le retour au pouvoir de Donald Trump a également frappé l’agence avec le démantèlement de Voice of America (VOA) – l’un des clients de l’AFP –, la suspension de plusieurs contrats avec l’administration américaine, ou encore la fin du programme de fact-checking de Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp) aux Etats-Unis. Le temps du Covid-19 où le fact-checking était présenté comme l’un des relais de croissance de l’agence semble loin.

Recul du chiffre d’affaires

Résultat, pour la première fois depuis 2018, l’AFP devrait voir reculer son chiffre d’affaires en 2025. Alors qu’une grande partie de ses revenus sont générés par les médias et les agences nationales qui sont ses clients, l’AFP a aussi vu son modèle économique dégradé par la fragilité des médias du monde entier, eux-mêmes bousculés par les nouveaux usages numériques dont l’intelligence artificielle (IA).

En France aussi, l’agence – qui a un statut d’organisme autonome avec des missions d’intérêt général – a ses contempteurs. A l’image du député Philippe Ballard (Rassemblement national) qui, en 2024, a proposé de baisser de 4 % les crédits de l’AFP. En cause, le fait que l’agence a refusé de qualifier le Hamas de groupe terroriste, sauf entre guillemets, une règle qu’elle respecte de longue date comme la BBC. Son amendement avait été rejeté en commission mais avait sonné l’alerte en interne, alors que les « compensations » de l’Etat pour les missions d’intérêt général de l’AFP représentaient plus d’un tiers du chiffre d’affaires en 2024.

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Source : Le Monde – (Le 03 octobre 2025)

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