« La question de l’eau n’est pas assez abordée » : la COP27 vue par des journalistes africains

A Charm El-Cheikh, les médias du continent le plus affecté par le changement climatique suivent de près le sujet des « pertes et dommages », dont l’enjeu est d’obtenir des réparations financières de la part des pays pollueurs.

Le Monde  « Je suis heureuse de voir la représentation de l’Afrique dans cette COP : la jeunesse, les délégations pays, et même le nombre de dirigeants qui sont venus… », dit Raquel Muigai, 28 ans. Cette journaliste scientifique kényane est assise dans le vaste centre de presse de la conférence des Nations unies sur le climat (COP27) organisée cette année par l’Egypte, à Charm El-Cheikh.

Comme elle, ils sont nombreux à être venus des quatre coins du continent le plus affecté par le changement climatique pour couvrir l’événement : certains ont fait le trajet depuis le Sénégal, l’île Maurice, l’Angola… et les femmes sont bien visibles. « Cette participation montre l’intérêt de l’Afrique pour les questions climatiques », juge Florida Zossoungbo, journaliste béninoise pour une télévision en ligne.

 

Certains travaillent pour la télévision publique et accompagnent les délégations officielles. D’autres, comme Raquel Muigai, enquêtrice pour Africa Uncensored, un collectif d’investigation basé au Kenya et qui diffuse sur YouTube et sur son site Internet, sont reporters pour des médias privés. « J’ai reçu beaucoup de réactions depuis le Kenya après mon travail sur les financements climatiques : les gens veulent comprendre l’impact pour notre pays, explique cette passionnée des questions d’environnement et de droits humains. Nous avons vécu une année très éprouvante au Kenya, avec la sécheresse qui a accru la sensibilité au changement climatique. Ceux qui s’intéressent au climat veulent savoir comment le président William Ruto, élu cette année, va se positionner. »

Une vingtaine de ses confrères et consœurs du Kenya ont fait le voyage. La présence de Raquel Muigai est liée au prix African Climate Change and Environmental Reporting Award qui lui a été remis au Rwanda en juin. Son déplacement est pris en charge par l’Alliance panafricaine pour la justice climatique, un réseau d’organisations basé au Kenya. « C’est une chance incroyable, se réjouit-elle. J’ai suivi une formation avant de venir et l’un des meilleurs conseils que j’ai reçus est de ne pas m’éparpiller en voulant tout suivre à la COP. » L’agenda quotidien donne en effet le tournis : en plus des négociations, une multitude de rencontres et de conférences de presse ont lieu chaque jour. Sans compter les actions organisées près du centre de presse par les militants du climat pour tenter de capter l’attention des médias.

 

« Une immense foire »

 

Hamidou Traoré, journaliste de 40 ans spécialisé en environnement pour le journal burkinabé Le Reporter, a aussi pu venir après avoir remporté une bourse de l’Agence danoise pour le développement international (Danida). « Les journalistes des médias officiels, eux, ont eu la possibilité d’être pris en charge par notre gouvernement pour couvrir cette COP égyptienne », dit-il. Sans ce financement, il n’aurait pas pu venir : « Ma rédaction n’avait pas les moyens de m’envoyer. La différence du coût de la vie entre Charm El-Cheikh et Ouagadougou, c’est comme celle entre le ciel et la terre. » Les hôtels de la station balnéaire ont profité de l’événement pour faire flamber les prix des chambres. Une journaliste rapporte que le tarif a été doublé par son hôtel en cours de séjour, pour atteindre 600 dollars par nuit !

 

Hamidou Traoré est parti très motivé malgré les soubresauts qui ont marqué les préparatifs en amont : il a raté une première formation au Danemark car l’aéroport de Ouagadougou était fermé suite au coup d’Etat perpétré en septembre au Burkina Faso. Le journaliste imaginait l’univers des COP comme « exemplaire », mais son enthousiasme décroît au fil des jours. « J’ai l’impression d’être dans une immense foire. On a entendu une succession de déclarations alarmistes, comme celles d’Antonio Gutteres, le secrétaire général de l’ONU, et son “coopérer ou périr”. Mais après ? Quelle est l’action ? », s’interroge-t-il en grelottant à cause de la climatisation excessive dans les salles – « quel en est le coût pour l’environnement ? », se demande-t-il. « La question de l’eau n’est pas assez abordée ici, regrette-t-il aussi. Or c’est un point crucial pour l’Afrique : 400 millions de personnes n’ont pas accès à l’eau potable. »

Le débat sur le soutien financier nécessaire pour s’adapter au changement climatique et atténuer les émissions de gaz à effet de serre le passionne, comme de nombreux journalistes du continent. « La dynamique bailleurs-récepteurs de fonds est toxique, faite de conditions. Mais au Burkina, on ne peut que constater le désintérêt des gouvernants pour la population. Davantage de financements changeront-ils cette approche ? Des gens peuvent vivre toute leur existence sans avoir accès à des infrastructures. Est-ce un hasard si les groupes armés sont présents dans les forêts que le gouvernement a délaissées ? », accuse Hamidou Traoré.

 

« Vulgariser le jargon »

 

Raquel Muigai espère voir des avancées sur le volet des « pertes et dommages », dont l’enjeu, pour les pays du Sud, est d’obtenir à terme des réparations financières de la part des pays pollueurs historiques. « L’Afrique est la plus grande victime du réchauffement climatique et a le droit à des réparations », juge-t-elle, tout en renvoyant la balle aux pays du continent : « Nous devons agir, pas juste attendre. Au Kenya, le manque de planification et la corruption font que les financements ne vont pas toujours aux populations qui en ont le plus besoin. »

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Source : Le Monde   

 

 

 

 

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