Agence de Presse Sénégalaise – L’humour sénégalais se traduit dans toute sa variété à travers des émissions télévisuelles ou sur les réseaux sociaux, deux supports puissants pour la scène locale du rire. Les humoristes sénégalais peinent cependant à conquérir le monde, à cause des contenus trop centrés sur les réalités sénégalaises et dont la portée se trouve fatalement limitée par l’usage principalement du wolof, la langue la plus parlée dans le pays.
Les professionnels du secteur, dans leur grande majorité, pointent la barrière linguistique et un style jugé beaucoup trop inspiré du contexte local. Ils s’interrogent du coup sur la possibilité de conduire une dynamique de professionnalisation rendue nécessaire par l’émergence de nouveaux talents attendus pour prendre la relève.
L’humour est un art se traduisant par un trait d’esprit qui traverse tout discours. Il est considéré comme une arme redoutable pour dénoncer ou parler d’un sujet de manière décalée, avec dérision.
Un constat s’impose selon lequel les humoristes maitrisant certaines langues étrangères comme le français ou l’anglais arrivent plus facilement à s’imposer sur les scènes continentales et internationales, à l’exemple des Ivoiriens, Camerounais, Congolais, Nigériens ou autres Gabonais dont les ‘’one man show’’ cartonnent en Afrique et dans le reste du monde.
L’émission ‘’Parlement du rire’’ par exemple, diffusée sur la chaine cryptée Canal Plus, voit défiler de nombreuses nationalités, avec le parrainage de l’humoriste nigérien Mamane, également à l’origine du festival ‘’Abidjan, capitale du rire’’, qui va célébrer son dixième anniversaire cette année, ou encore des ‘’Awards du rire africain’’ à Niamey.
Les humoristes sénégalais, dont les prestations sont principalement en wolof, sont quasiment absents de ces scènes continentales en raison de la barrière linguistique.
Pour l’humoriste Abdel Kader Diarra alias ‘’Pichinini’’, l’humour sénégalais n’est pas en perte de vitesse, pour la simple raison qu’il ‘’n’a jamais existé, surtout sur le plan international’’.
‘’Le problème majeur au Sénégal, c’est que les humoristes sont bien, ils ont du talent, mais ils ont peur d’affronter la langue française. Et beaucoup ont peur de faire des fautes’’, déclare ce professeur d’art dramatique dans un entretien accordé à l’APS.
‘’Les jeunes n’évoluent pas dans l’écriture’’
Il en résulte que certaines plateformes humoristiques africaines considèrent que le Sénégal manquerait d’humoristes pouvant se produire en français. ‘’Ce qui ne serait pas tout à fait faux’’, reconnait Abdel Kader Diarra.
‘’Je pense qu’ils ont raison. Il faut une relève qui pourrait écrire de bons sketchs, pouvant représenter le Sénégal partout dans le monde’’, souligne-t-il.
Selon Abdel Kader Diarra, le peu de présence des humoristes sénégalais sur la scène internationale peut également s’expliquer par un manque d’évolution dans l’écriture dont fait preuve la jeune génération en particulier.
‘’Ces jeunes ont tendance à se limiter. Ils n’évoluent pas dans l’écriture des textes de stand-up, car ils ne savent pas écrire. Ils ne se font pas encadrer’’, souligne celui qui dit avoir contribué à former ‘’quelques jeunes’’ ces dernières années.
‘’A un moment donné, je pense que les jeunes ont eu tous ces problèmes d’écriture, surtout avec un public qui raffole un peu de cabotinage ou de bouffonnerie, de grands boubous, de choses comme ça’’. Comme si pour présenter un spectacle, déplore-t-il, ‘’il faudrait être un bouffon et faire des blagues en lieu et place d’un texte bien écrit’’.
De même, beaucoup de jeunes humoristes, parce que pas formés, optent pour l’improvisation, alors que comme au théâtre ou au cinéma, affirme Diarra, l’humoriste travaille obligatoirement sur la base de textes écrits.
‘’Tout doit être obligatoirement écrit. Il n’existe pas d’improvisation dans l’humour. Il existe des techniques d’écriture qu’il faudrait apprendre dans ce métier. Ce n’est pas du tic au tac qu’on peut écrire un sketch de stand-up. Il faut le vivre, avoir des techniques d’incarner plusieurs personnages’’, explique-t-il.
‘’Si on ne surprend pas le cerveau, on ne peut pas faire rire une personne. Il faut la surprendre. Moi, par exemple, quand tu commences à dire des choses que je devine déjà, tu ne me fais pas rire’’, dit-il.
De l’espoir pour l’éclosion de l’humour sénégalais
L’humoriste doit parler la langue de son public, et pour ce faire, il doit ‘’s’inscrire dans l’horizon d’attente de son public’’, souligne de son côté le professeur El Hadji Abdoulaye Sall, spécialiste d’histoire et d’esthétique du théâtre.
Il doit maîtriser les différentes variantes du langage comique – corporel, gestuel, oral et mimique -, pour s’assurer de pouvoir faire rire son public, détaille l’universitaire, par ailleurs spécialiste de l’art oratoire.
‘’Charly Chaplin, acteur britannique des années 1920, faisait rire le monde entier en exploitant cet humour gestuel et mimique’’, relève-t-il.
‘’Par conséquent, même si la langue est importante, elle n’est pas exclusive dans l’humour. Si un humoriste allie les deux, il accroîtra évidemment ses capacités artistiques comme Louis de Funès ou Kader Diarra (Pichinini), Sanex plus proche de nous’’, a-t-il ajouté.
De son point de vue, il faut avoir non seulement ‘’la culture de l’outil’’, mais aussi ‘’l’ensemble des connaissances, techniques et pratiques servant à concevoir, à créer et à transmettre’’, pour pouvoir mieux exercer cet art oratoire.
L’initiateur de ‘’Dakar comedy club’’ et humoriste gabonais Kerane Mounguengui pense qu’au regard de la manière dont la scène sénégalaise du rire évolue, ‘’il existe un espoir pour l’éclosion de l’humour sénégalais sur la scène continentale et internationale’’.
‘’Je suis artistiquement sénégalais et à +Dakar comedy club+, nous comptons des Sénégalais comme Abou star de Mbour qui fait aussi le +stand up+ en français’’, signale-t-il. Des Camerounais, Béninois, ainsi que des humoristes d’autres nationalités africaines évoluent en même temps au sein de ‘’Dakar comedy club’’, ajoute-t-il, estimant que sur cette base, il y a de l’espoir pour voir l’humour sénégalais émerger sur le plan continental et international’’.
De plus, les humoristes de la nouvelle génération ‘’tentent tant soi peu de s’autoproduire avec leurs maigre moyens’’.
”On n’a pas encore les moyens d’envoyer les artistes à l’étranger, car il faut payer le billet, louer les salles, la sonorisation, normalement ce n’est pas à nous de le faire, parce que lorsqu’on reçoit une invitation, on doit pouvoir être pris en charge’’, poursuit Kerane Mounguengui.
A l’en croire, malgré leurs talents, les artistes sénégalais manquent d’appui pour pouvoir représenter le Sénégal sur la scène internationale.
‘’Il faut juste que les Sénégalais se disent aussi, certes on a déjà conquis peut-être le territoire sénégalais, on gagne de l’argent avec l’humour en wolof, mais on peut aussi en gagner en faisant notre spectacle en français’’, conclut-il.
Source : Agence de Presse Sénégalaise (APS) – Le 17 novembre 2025
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