Hamid Khellafi, galeriste défenseur de la scène artistique algérienne : « Le racisme, je le connais depuis que je suis enfant »

« Galeristes défricheurs » (5/6). Portraits de six marchands d’art au parcours atypique. Aujourd’hui, un nouveau venu très remarqué à Saint-Germain-des-Prés.

Le Monde  – Une nouvelle galerie à Saint-Germain-des-Prés, rien de surprenant. Depuis plus d’un siècle, le quartier parisien en a accueilli des dizaines, restées célèbres ou oubliées. Mais celle qui s’est ouverte en 2024 sous le nom de son fondateur, Hamid Khellafi, n’a pas tardé à se faire remarquer en affichant son programme pour 2025 : une année entièrement consacrée aux artistes d’origine algérienne, une vingtaine en tout. « Le projet, explique Khellafi, est né d’une frustration : constater qu’il existe une scène artistique algérienne extrêmement active et qu’elle n’est pas montrée ou, du moins, que seul un petit nombre d’artistes le sont. »

Un moment l’a marqué. A l’été 2023, il se rend à Alger, alors que d’habitude il va en Kabylie, région d’origine de sa famille. « Je visite des ateliers et, un soir, je prends un verre à la terrasse du Saint-Georges avec les artistes que j’ai vus dans la journée. On est d’abord deux ou trois ; et à la fin, on est neuf. Ils se connaissent tous, ils ont la même énergie. Je suis sidéré. Il y a des jeunes femmes avec des tatouages, des gars avec des looks pas possibles : une jeunesse algéroise que je ne connaissais pas. Je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose : c’était comme une évidence. » Ce « quelque chose » a pris la forme d’une saison d’accrochages successifs, quatre semaines par artiste et, chaque fois, un catalogue, « parce que c’est important qu’il reste une trace ».

Mais, avant, il y a l’histoire personnelle au terme de laquelle Hamid Khellafi a pu ouvrir sa galerie au 40, rue Mazarine. Il naît en 1982, assez loin du 6e arrondissement : dans le 19e arrondissement, où son père gère plusieurs cafés entre Belleville et Ménilmontant. « Mon père est né en 1942 en Kabylie, il a connu la misère et la guerre. Il était plutôt dur », raconte-t-il. La famille s’installe dans une maison à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis). L’art, pour l’enfant qu’il est alors, est un refuge : « Pouvoir être seul pour dessiner. »

Obstacles à franchir

A 19 ans, grâce à son aisance en langues étrangères, il trouve un emploi de vendeur dans le commerce de luxe. Il veut devenir journaliste, « correspondant de guerre » précisément, mais la formation le déçoit. Parce qu’il a signalé son goût pour l’art sur un CV, une agence de recrutement l’appelle pour un « tout petit poste » chez Christie’s.

Puis il est recruté en 2006 par la galerie japonaise Taménaga, avenue Matignon. Il se souvient de son entretien d’embauche : devoir transporter un Cézanne d’une pièce à l’autre avec toutes les précautions d’usage et être capable de reconnaître les œuvres sur les murs. « Chagall, Van Dongen, Vlaminck, je les connaissais tous, mais là, ils étaient devant moi, vraiment. C’était incroyable. Je me dis alors que je voulais absolument faire ce métier. »

La suite, ce sont des obstacles à franchir. Son nom pour commencer. « S’appeler Hamid Khellafi et travailler dans l’art… Le racisme, je le connais depuis que je suis enfant, bien sûr. Mais là… Quand on vous demande quatre fois votre pièce d’identité avant de vous laisser entrer dans une salle des ventes, vous comprenez bien comment on vous regarde. Qu’est-ce qu’il n’a pas fallu pour qu’on reconnaisse mon travail ! Il y a eu beaucoup de colère en moi, souvent. »

De ceux qui n’ont pas voulu le recevoir à cause de son nom, il ne dit pas plus. Mais il évoque avec une immense gratitude le commissaire-priseur François Tajan (1962-2020), président de la maison Artcurial. « Lui m’a accueilli chaleureusement, m’a fait confiance, m’a reçu chaque fois que je le lui demandais et m’a introduit auprès de grands collectionneurs. »

Pour ces derniers, Hamid Khellafi, qui connaît le sujet depuis son passage chez Christie’s, crée un système de base de données qui facilite la tenue des inventaires et aide à mieux gérer ventes et achats. « A ce moment-là, je vivais dans 18 mètres carrés, je bossais nuit et jour, et ma mère était inquiète pour ma santé. » Mais il devient ainsi un gestionnaire de collections recherché pour sa compétence. Et, parce qu’il lui faut aussi faire oublier qu’il est autodidacte, il obtient un master en histoire de l’art à l’Ecole du Louvre, puis un diplôme de droit à l’université d’Assas, à Paris.

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Source :  Le Monde 

 

 

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