The Conversation – Aussi performantes soient-elles, les intelligences artificielles génératives ne peuvent remplacer les professeurs dans leur travail d’éducation à l’esprit critique auprès des élèves. Mais pour bien remplir ce rôle, ils doivent remettre en perspective leurs pratiques et réinventer leur pédagogie.
On le sait, les intelligences artificielles (IA) génératives sont en mesure de rédiger des textes, de traiter des corpus, de générer des contenus multimédias et de résoudre des équations complexes… soit des opérations traditionnellement demandées aux étudiants.
À l’université, elles provoquent (à nouveau et encore) des débats sur la place des machines dans l’acquisition de compétences. Si les étudiants s’appuient trop sur elles, ne risquent-ils pas de considérer certaines compétences comme obsolètes ? Peut-on apprendre sans pratiquer, en déléguant la tâche à une machine ?
Les réponses se multiplient avec un discours catastrophiste. Des enquêtes se font l’écho de pertes cognitives liées à l’usage des IA, comme l’explique la dernière étude du MIT, selon laquelle les utilisateurs d’intelligences artificielles génératives sous-performeraient systématiquement.
Sont aussi interrogées les limites du modèle : les bases de données ne risquent-elles pas de se dégrader à force de se nourrir avec les résultats qu’elles produisent ? Sans compter le très lourd impact environnemental et humain de ces outils.
De tels discours prêtent des capacités infinies et incontrôlables à ces outils. Ils nourrissent le discours de toute-puissance des industries numériques et s’inscrivent dans un imaginaire de science-fiction. Ils négligent leur caractère économique et le fait que l’IA est un terme choisi par son potentiel marketing. Penser en termes d’effets, sans nourrir la discussion et sans contradiction, laisse les Big Tech piloter le débat.
Questionner la verticalité de l’enseignement
Ces outils sont indéniablement puissants, même s’ils ne peuvent pas tout faire. Leur facilité d’accès et leur rapidité font qu’ils sont largement mobilisés par les étudiants, comme le répètent ad nauseam sondages, articles et rapports publics. Or, cet usage est difficilement traçable et la situation ira en s’accentuant, car les intelligences artificielles génératives se multiplient et se diversifient, leur qualité augmente et les limites ou hallucinations évidentes autrefois (c’est-à-dire, il y a deux ans) s’atténuent.
En même temps, leurs effets sont désormais mis en lumière : la non-appropriation des productions, les limites de la réflexion et l’accroissement des inégalités.
La bonne nouvelle est que le combat pour affirmer que les intelligences artificielles génératives ne peuvent pas remplacer la réflexion n’est pas perdu d’avance. Mais il faut changer la focale du problème : comment en faire un « amplificateur d’intelligence » et non un substitut hébétant ?
Ces outils questionnent le modèle d’apprentissage encore largement vertical en France. Qui n’a jamais assisté dans un amphithéâtre à un cours magistral sans interactions pour en ressortir avec le constat de la passivité des étudiants ? Une passivité qui préexistait aux intelligences artificielles génératives. Ce n’est donc pas une chasse aux fraudes qui doit être mise en place, mais un questionnement sur la manière même d’enseigner et d’évaluer.
Voici trois pistes de réflexion sur la manière dont les intelligences artificielles génératives peuvent aider à repenser le rôle d’enseignant.
Resituer l’IA dans la longue histoire des usages numériques
Les intelligences artificielles génératives n’arrivent pas dans un paysage vide de technologie numérique. Internet, les bibliothèques numériques, le courrier électronique, les réseaux sociaux… reconfigurent le rapport à la connaissance. Certains ont pu faire comme si Google ou Wikipédia étaient des outils négligeables, qu’il suffisait d’interdire ou d’ignorer. C’était manquer à notre mission éducative.
Les résultats d’un moteur de recherche varient selon la capacité à formuler une requête, à comprendre le fonctionnement algorithmique et à exercer un regard critique sur les sources. Consulter Wikipédia sans savoir que l’on peut retracer l’historique d’une page, ignorer la différence entre Google Scholar et JSTOR, ou ne pas saisir la signification d’une citation, revient à utiliser ces outils de manière aveugle.
Les technologies, comme l’a montré la sociologie des usages, se déploient dans un environnement pluriel et imprévisible, avec des pratiques différenciées, des détournements et des appropriations. Les usages des intelligences artificielles génératives doivent être replacés dans leur contexte social, politique, culturel. Mais aussi dans leurs modalités d’utilisation, passive ou active, individuelle ou collective, sur le modèle problem solving ou interaction créative. Ainsi, l’intelligence artificielle générative n’est ni miracle ni fléau pour l’apprentissage : sa puissance dépend du contexte, des usages, de la réflexivité déployée par les acteurs.
Professeure en sciences de l’information et de la communication, Université Paris-Panthéon-Assas
Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, Université Paris-Panthéon-Assas
Source : The Conversation
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