Enseignement en langues locales : où en est l’Afrique aujourd’hui ?

BBC Afrique – Alors que le Sénégal met en œuvre un programme visant à généraliser l’enseignement des langues nationales à l’école primaire, le Nigéria fait marche arrière et la Guinée porte encore les cicatrices de son expérimentation ambitieuse, mais avortée.

Plusieurs décennies après les indépendances, la plupart des pays africains font face à une crise profonde de l’apprentissage. Les indicateurs sont alarmants : selon l’Unicef et l’Union africaine, seuls 23 % des élèves atteignent la fin du secondaire, et la Banque mondiale estime que des dizaines de millions d’enfants apprennent si peu à l’école qu’ils ne progressent presque pas.

Parmi les causes structurelles les plus documentées figure le choix des langues d’enseignement.

L’Unesco recommande aux Etats une politique d’éducation multilingue, préconisant que les enfants reçoivent un enseignement dans leur langue maternelle dès les premières années de scolarité, pouvant être combiné avec la langue officielle d’enseignement.

Pourtant, dans la majorité des pays africains, les langues locales restent marginales, cantonnées à une matière facultative, tandis que le français, l’anglais ou le portugais dominent l’instruction. Pourquoi ce paradoxe persiste-t-il ?

Le prestige des langues coloniales, frein sociologique majeur

Les différentes études montrent que l’utilisation des langues africaines comme langues d’instruction améliorerait la qualité des apprentissages.

Plusieurs rapports de l’Unesco, de la Banque mondiale et de chercheurs africains, appellent à renforcer leur présence dès les premières années du primaire.

Mais, dans la majorité des pays, ces langues restent cantonnées au statut de simple matière, alors qu’un enseignement en langue maternelle serait plus efficace, notamment dans les zones où les parents ne maîtrisent pas le français ou l’anglais.

Dans de nombreux pays, les parents eux-mêmes s’opposent à un enseignement bilingue.

À Abidjan, un instituteur résume l’état d’esprit général : « Les familles pensent que la langue locale enferme l’enfant dans son village. L’anglais ou le français, c’est l’assurance d’une carrière universitaire, d’un bel avenir dans l’administration ».

Ce prestige symbolique, hérité de la colonisation, est aussi économique : il conditionne l’accès aux emplois les plus valorisés.

Ainsi, au Nigéria, même dans les régions où le haoussa, le yoruba ou l’igbo dominent largement, l’université reste exclusivement anglophone. Conséquence : les langues africaines sont maîtrisées dans la vie sociale, mais absentes du savoir savant.

Pourtant, les études de l’UNESCO et les expériences pilotes menées, notamment en Côte d’Ivoire, sont formelles : l’enseignement dans la langue maternelle ou une langue locale les premières années du primaire améliore significativement les taux de réussite, la compréhension des concepts et la rétention des élèves.

C’est ce que les experts appellent le « décalage cognitif » : un enfant doit d’abord décoder une langue étrangère (le français), pour ensuite décoder la notion elle-même (le concept mathématique ou scientifique). Un double effort qui explique une grande partie de l’échec scolaire précoce.

Sénégal : une réforme perçue comme un levier d’équité

Crédit photo, Getty Images

Légende image, L’alphabétisation au Sénégal représente un défi majeur. Le français est la langue officielle et la principale langue d’enseignement dans le système scolaire formel.

Au Sénégal, l’introduction des langues nationales à l’école est largement présentée comme un choix pédagogique mais aussi politique. Elle s’aligne sur les recommandations de l’UNESCO, qui défend l’enseignement bilingue ou plurilingue comme moyen de réduire l’échec scolaire et de renforcer l’inclusion.

L’objectif est double : améliorer l’apprentissage dans les disciplines fondamentales tout en revalorisant le patrimoine linguistique. « L’utilisation des langues nationales permet d’enrichir le lexique, de faciliter la compréhension et la maîtrise des contenus d’apprentissage qui sont transmis dans la langue première des apprenants et de valoriser les langues nationales et les cultures qu’elles portent. Elle s’inscrit dans une dynamique de souveraineté et de justice sociale », explique Demba Mendy, Chef de la Division Développement des langues au ministère de l’Éducation.

Contrairement au Nigéria, qui a récemment abandonné l’apprentissage en langues locales au primaire, le Sénégal a opté pour le chemin inverse. Un choix qui s’explique par des résultats concluants selon M. Mendy, les enfants scolarisés dans leur langue maternelle progressent plus vite que ceux entièrement formés en français.

Lire la suite

 

 

 

Ousmane Badiane

Digital Journalist BBC Afrique

 

 

 

Source : BBC Afrique (Royaume-Uni)

Quitter la version mobile