En France, des étrangers à l’épreuve de tests pour obtenir leurs papiers

L’examen civique, exigé à partir du 1ᵉʳ janvier 2026 pour l’obtention des cartes de séjours longue durée et de la nationalité, commence à se mettre en place dans des centres agréés.

Le Monde  – Tetiana (toutes les personnes citées par leur prénom ont requis l’anonymat) croit faire de la tachycardie. Sa fille Rita a vu que le stress la gagnait. Et elle sait que quand sa mère est nerveuse, « elle bugue dans sa tête », cherche ses mots en français. Elle s’est demandé si elle allait se perdre dans les questions. Elle l’a accompagnée jusqu’à la salle d’examen.

Quarante-cinq minutes plus tard, l’Ukrainienne de 53 ans en est ressortie soulagée. Elle venait de passer l’examen civique, un nouveau test exigé à compter du 1er janvier 2026 auprès des étrangers demandant une carte de séjour pluriannuelle, une carte de résident de dix ans ou la naturalisation. Ainsi, à l’exception de certaines catégories comme les réfugiés, ce sont potentiellement plus de 100 000 étrangers qui devront réussir l’examen chaque année.

L’épreuve se présente sous la forme d’un questionnaire à choix multiples décliné en 28 questions de connaissance et 12 mises en situation, différentes selon la catégorie de la demande. Il a été instauré par un arrêté du 10 octobre, signé par Bruno Retailleau, quelques jours avant son départ du ministère de l’intérieur où il aura passé un an à marteler son souhait de réduire l’immigration.

Tetiana aura les résultats de l’examen dans quarante-huit heures. L’Ukrainienne, qui a fui la guerre en 2022 et rejoint sa fille en France, doit faire sa demande de carte pluriannuelle en mars, avant que n’expire son actuel titre de séjour salarié d’un an. Elle n’a pas encore de rendez-vous en préfecture mais elle a préféré prendre les devants, au cas où elle échouerait au test (80 % de bonnes réponses sont requises) et devrait le repasser. L’examen n’étant pas encore proposé à Nancy, où elle habite, Tetiana s’est rendue au centre de formation linguistique Asplef, dans le nord de Paris, où nous la rencontrons, le 22 décembre.

Au cours de l’examen, qui lui a coûté 69 euros, cette Ukrainienne a hésité dans ses réponses, notamment lors des mises en situation, par exemple celle décrivant deux professeurs parlant religion pendant une pause. « Il était demandé si cela était interdit au nom de la laïcité ou autorisé car les deux hommes sont en pause », se souvient vaguement Tetiana. Elle a aussi eu du mal à répondre à la question portant sur la scolarisation d’un enfant ne parlant pas français. « Je sais qu’il existe des UPE2A [unité pédagogique pour élèves allophones arrivants] mais le terme ne figurait pas dans les réponses. Du coup, je ne savais pas quoi cocher. »

En revanche, Tetiana a su dire que la fessée est interdite, et en aucun cas autorisée, quand bien même elle serait infligée dans l’espace privé ou par un des deux parents, tel que cela était proposé dans les réponses. « Je l’ai appris pendant ma formation d’auxiliaire de vie », justifie cette femme. Rita écoute sa mère égrainer ses connaissances imparfaites et s’étonne : « Elle sait des choses que j’ignore alors que j’ai été naturalisée l’an dernier », constate l’Ukrainienne de 29 ans, autrice d’une thèse en chimie.

« On doit connaître pas mal de choses que les Français ignorent », faisait déjà remarquer, plus tôt dans la journée, Nawel, une ingénieure tunisienne en informatique. C’est au cours de l’examen civique qu’elle a, par exemple découvert l’existence de Marguerite Yourcenar (1903-1987). A la question : « Quel jour célèbre-t-on officiellement la laïcité en France ? », elle a cette fois procédé par élimination. « Je savais que ce n’était pas le 14 juillet, ni le 1er mai. Il y avait aussi une proposition de date en août et ça m’a paru bizarre de célébrer la laïcité pendant les vacances. Alors, j’ai choisi le 9 décembre », explique cette femme de 31 ans. Du reste, la Tunisienne a trouvé les mises en situation assez « évidentes », comme celle portant sur le fait de savoir si un maire pouvait refuser de publier les bans de mariages des couples homosexuels.

Déploiement à marche forcée

Mohamed, un Egyptien de 28 ans, s’est préparé en parcourant le vivier de 260 questions qui ont été mises en ligne courant décembre sur le site du ministère de l’intérieur (sans les choix de réponses associés ni les mises en situation) : « Que porte Marianne sur la tête ? » « Peut-on répudier sa femme ? » « Où est le siège de la Banque centrale européenne ? » « Une femme peut-elle créer son entreprise ? »

Yazid, un médecin hospitalier marocain, ignorait complètement que les questions étaient disponibles et, l’apprenant quelques minutes avant d’entrer dans la salle d’examen d’Asplef, il entreprend de les passer en revue sur son téléphone. « Il y a 577 députés en France », répète-t-il à voix haute, comme pour s’en souvenir. Avant d’interroger les huit autres candidats qui patientent à côté de lui : « Quel Etat n’est plus membre de l’Union européenne ? »

Pour réviser, Mohamed, qui travaille comme peintre en bâtiment, a eu recours à un site Internet payant. Ravikumar, un Sri-Lankais de 37 ans, a aussi parcouru des vidéos pédagogiques sur TikTok. Malgré cela, il n’a pas su répondre à une question portant sur un musée situé à Paris. Ce réparateur de téléphone arrivé en France il y a dix ans ne connaît que le Louvre. Il est inquiet : « Qu’est ce qui se passe dans ma vie si je ne réussis pas le test ? »

Pour mieux préparer les candidats, certains centres d’examen envisagent d’élargir leur offre. « Beaucoup de candidats nous le demandent », constate Sophie Lacourt-Martinet, responsable de la formation à Asplef. « On a demandé si on pouvait proposer de la formation, abonde Sylvie Canevet-Abderrahim, fondatrice de l’entreprise Kangourou, dont huit centres dans le sud de la France et à Paris feront passer l’examen à partir de janvier 2026. Mais on nous a répondu que le ministère souhaite que la préparation s’effectue par le biais de la formation civique gratuite », soit quelques fiches pédagogiques en ligne. Parisa Forootan, directrice adjointe d’ABC Formation, dans le Val-d’Oise, a pour sa part déjà sauté le pas. Moyennant 170 euros, les candidats seront conviés à trois séances de préparation de deux heures.

Le déploiement de l’examen se fait à marche forcée, le ministère de l’intérieur n’ayant agréé que fin novembre les deux opérateurs publics chargés de sa diffusion : la chambre de commerce et d’industrie Paris Ile-de-France et France éducation international. Fin décembre, le premier dénombrait déjà 125 centres opérationnels et pas loin de 600 candidats inscrits.

Certains ont cependant eu du mal à trouver des créneaux, à l’image de Mohamed qui a dû prendre un bus de nuit des Deux-Sèvres pour passer le test à Paris. En dépit du stress éprouvé, les quelques candidats interrogés disent comprendre cette nouvelle exigence, qui s’ajoute à un rehaussement du niveau de français requis. Pour Rita, il s’agit de signifier aux étrangers que « si tu ne passes pas le test, peut-être que ta place n’est pas ici et qu’il faut que tu fasses gaffe ». « C’est la base », estime pour sa part Nourredine, un Algérien de 27 ans. Cet ingénieur en intelligence artificielle est a priori exempté, au titre de l’accord bilatéral de 1962 entre Paris et Alger, mais il a préféré passer l’examen « au cas où je tomberais sur un agent en préfecture qui ne comprend pas ». D’ailleurs, à y réfléchir, il ajoute : « Avant de faire cet examen, il faudrait peut-être accélérer le traitement des dossiers en préfecture. »

 

 

 

 

 

 

 

Source : Le Monde 

 

 

 

 

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