– Pas une seule fois Macky Sall n’est revenu au Sénégal depuis le 3 avril 2024, au lendemain de l’arrivée au pouvoir de son successeur Bassirou Diomaye Faye. Ce jour-là, il a quitté Dakar pour élire résidence à Marrakech. Désormais, il se tient loin du pays qu’il a présidé durant douze ans (2012-2024). « Il est d’usage, dans la tradition républicaine, qu’un ancien chef d’Etat prenne quelque distance afin de faciliter la pleine action des nouvelles autorités », explique-t-il au Monde dans un échange écrit.
Un an et demi plus tard, l’ancien dirigeant semble se consacrer à une carrière internationale mais n’oublie pas de défendre ses deux mandats, largement attaqués par le nouveau président et son premier ministre, Ousmane Sonko.
Selon ses proches collaborateurs, Macky Sall, successeur en septembre 2024 de Ban Ki-moon à la tête du Centre mondial pour l’adaptation aux changements climatiques (GCA), consacre la plus grande partie de son temps à des interventions lors de sommets internationaux : le 22 septembre à New York pour celui sur les partenariats public-privé ; le 29 septembre à Washington, au siège du centre de réflexion Atlantic Council, dont il est membre du conseil consultatif international ; ou encore le 1er octobre à Riyad pour une prise de parole lors du Forum mondial de la cybersécurité.
« Il cherche à imposer les préoccupations des Etats africains dans le débat international auprès d’instances comme le G20 ou l’Union européenne, à commencer par celle sur le poids de la dette », explique l’un de ses conseillers diplomatiques de longue date. Un sujet auquel l’ancien président consacre une large part de son nouveau livre, L’Afrique au cœur, paru le 24 septembre aux éditions Odile Jacob.
Pour son lancement, Macky Sall a d’ailleurs choisi New York, où, au même moment, se tenait l’assemblée générale des Nations unies (du 23 au 29 septembre) avec la présence de 150 chefs d’Etat et de gouvernement. Coïncidence ? « Le publier à New York au moment où se réunissent les Nations unies avait un sens symbolique fort, car l’Afrique doit parler au monde depuis le cœur du multilatéralisme », répond l’intéressé. Après une photo souvenir, l’ancien premier ministre belge Charles Michel, l’ex-présidente mauricienne Ameenah Gurib-Fakim et le Sud-Coréen Ban Ki-moon sont repartis avec son ouvrage.
Des « soutiens » au Conseil de sécurité
D’une conférence à l’autre, pays après pays, cette présence permet à ses proches de diffuser une petite musique : à 63 ans, Macky Sall ambitionnerait de candidater au poste de secrétaire général des Nations unies après le mandat d’Antonio Guterres, qui doit s’achever le 31 décembre 2026. Au Monde, il répond « ne prétendre à rien ». « Si des nations estiment que demain, je peux mettre mon expérience au service de la paix, du multilatéralisme et de la jeunesse du monde, je prendrai alors le temps de la réflexion et de la responsabilité », écrit-il.
Certains membres de son entourage soutiennent par ailleurs qu’il a de « solides soutiens » au sein du Conseil de sécurité, notamment auprès de la France, dont il a rencontré plusieurs fois le président, Emmanuel Macron, mais aussi de la Russie, alors qu’il s’est entretenu avec Vladimir Poutine au début de la guerre en Ukraine, en 2022, pour négocier l’accès aux stocks de céréales en sa qualité de président de l’Union africaine.
Mais quelques obstacles demeurent sur la route de Macky Sall vers les Nations unies, à commencer par la règle tacite de la présidence tournante en fonction des aires géographiques. Théoriquement, ce serait cette fois au tour de l’Amérique latine. « La candidature de Macky Sall est un non-sujet pour nous rien qu’au regard de cette règle », indique une source de l’ONU basée à Dakar. Selon certains de ses proches qui veulent croire en ses chances, l’argument ne tient pas, prenant l’exemple de la succession de mandats de deux Africains, en 1996, quand l’Egyptien Boutros Boutros-Ghali avait cédé sa place au Ghanéen Kofi Annan.
« Sa candidature est aussi probable que de marcher sur l’eau », balaie de son côté Aminata Touré, ancienne première ministre de Macky Sall, fonctionnaire de l’ONU et désormais haute représentante du président Bassirou Diomaye Faye. « Avec tout ce qui lui est reproché au Sénégal, il n’aura pas le soutien nécessaire », avance-t-elle, rappelant les accusations qui pèsent concernant une « dette cachée » de 7 milliards de dollars (environ 6 milliards d’euros) lors de son dernier mandat, révélée par un rapport de la Cour des comptes en février.
A son départ, le régime de Macky Sall avait déclaré une dette à hauteur de 99 % du PIB, réévaluée entre-temps à hauteur de 113 %. Depuis, le programme du Fonds monétaire international (FMI) pour le Sénégal est à l’arrêt, mettant sur pause de nombreux décaissements pourtant essentiels pour le pays.
Macky Sall et plusieurs membres de son ancien gouvernement, dont son beau-frère Mansour Faye, ancien ministre des infrastructures, sont régulièrement accusés de dérives économiques ou d’être impliqués dans divers scandales, dont des détournements d’argent dans le cadre du fonds Covid-19. Le résultat d’une opération « mains propres » conduite par l’actuel premier ministre, Ousmane Sonko.
« Il essaie de défendre son héritage »
Par courriers d’avocats, Macky Sall est sorti de son silence médiatique début octobre. L’ancien président, qui conteste les chiffres de cette « dette cachée », demande la transmission du rapport de l’Inspection générale des finances qui a servi de base à celui de la Cour des comptes. « Il essaie de défendre son bilan, son héritage, face à ces accusations très graves », souligne Babacar Ndiaye, analyste politique et directeur de recherche au centre de réflexion Wathi. « Il s’agit d’un droit de regard légitime, rétorque M. Sall dans ses échanges avec Le Monde. Mon objectif est que la vérité soit dite, dans le respect des institutions et du travail de la Cour des comptes. »
Toujours président de l’Alliance pour la République (APR), Macky Sall gère les affaires de son parti depuis le Maroc. En novembre 2024, il avait d’ailleurs décidé de se consacrer à distance à la campagne des élections législatives anticipées et avait été tête de liste de la coalition d’opposition, Takku Wallu Sénégal, finalement largement perdante (16 députés, contre 83 lors de la précédente législature). Lui-même a été élu mais a renoncé à son mandat de député.
En juillet, il a procédé à de nouvelles nominations au sein de l’APR, notamment de jeunes et de femmes, face à de nombreuses défections. « Il y a une volonté de rénover les idées du parti pour mener le combat et apporter une contradiction au Pastef [Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité, le parti au pouvoir] », explique Hamidou Anne, nommé coordinateur de la cellule analyses et prospective de l’APR, qui n’hésite pas à dépeindre le Pastef comme « fasciste ».
« L’objectif de l’APR est toujours la conquête du pouvoir », renchérit le militant. Avec Macky Sall pour leader ? Le silence demeure à ce sujet. Néanmoins, certains de ses proches avancent que les nouvelles autorités pourraient finalement soutenir sa candidature à l’ONU afin de le tenir loin de l’élection présidentielle en 2029.
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