« De la Chine ou des Etats-Unis, qui assurera sa domination, stratégique et économique, sur le siècle en cours ? »

Si la rencontre entre Donald Trump et Xi Jinping, jeudi 30 octobre, a marqué une trêve apparente entre les deux puissances, elle confirme également la singularité de la relation sino-américaine, faite de rivalité et de concurrence globale, estime dans sa chronique Alain Frachon, éditorialiste au « Monde ».

Le Monde – Le jeudi 30 octobre, lors de leur première rencontre depuis 2019, Xi Jinping a pris le dessus sur Donald Trump. Le silencieux l’a emporté sur le fier-à-bras, le libre-échangiste sur le protectionniste. En Corée du Sud, sur l’aéroport de Pusan, où eut lieu la négociation, le Chinois avait plus de cartes que l’Américain. Au moins pour le symbole, ce fut un moment important dans la bataille entre la Chine et les Etats-Unis pour la prépondérance mondiale. Avec à la clé, toujours cette interrogation : lequel des deux géants assurera sa domination, stratégique et économique, sur le siècle en cours ?

Au-delà du face-à-face entre l’ex-présentateur de télé-réalité bronzé à la lampe et le marxiste-léniniste au regard triste, ce sommet a confirmé la singularité de la relation sino-américaine. Elle est faite de rivalité, de concurrence globale, certes, mais la lutte pour la première place – le combat pour le « leadership » – est contrainte, elle est limitée par l’interdépendance économique des protagonistes. On disait volontiers les deux pays très avancés sur le chemin du découplage. On n’y est pas encore. Leur conflictualité stratégique coexiste avec un volume d’échanges qui a atteint en 2024 les 600 milliards de dollars (522 milliards d’euros).

Le sommet a été rapide : quatre-vingt-dix minutes, y compris le temps de traduction. Dans la bataille commerciale déclenchée par Trump, la position de Xi était connue : si tu ne me vends pas tes microprocesseurs les plus sophistiqués, tu n’auras pas mes terres (les plus) rares et je n’achèterai plus ton soja. Le président républicain a calé : l’Amérique a besoin de la Chine. Du temps de la guerre froide (1950-1989), les échanges américano-soviétiques ne dépassaient pas les 2 milliards de dollars annuels. Aujourd’hui, c’est 2 milliards par jour…

Force tranquille

Depuis la salve de droits de douane que Trump a tirée sur la planète, en avril, la Chine a été le seul pays à refuser de négocier avec Washington. Sûre de sa force tranquille, la Chine a répliqué au coup par coup. Moments de trêve et de conflit se sont succédé. Au cœur de la bataille, deux éléments : d’une part, les microprocesseurs du futur, ceux de l’intelligence artificielle (IA) ; d’autre part, les terres rares, sans lesquelles il n’y a ni électronique de grande consommation ni haute technologie moderne. Les Etats-Unis ont un avantage sur les premiers ; la Chine dispose d’un quasi-monopole sur les secondes – 60 % de la production mais, plus important, 90 % des capacités de raffinage desdites terres.

Donald Trump poursuit la politique de son prédécesseur, Joe Biden. Parce que les microprocesseurs de l’IA sont à usage dual, civil et militaire, et constituent l’une des clés de la puissance de demain, les fabricants américains sont soumis à de strictes conditions d’exportation en Chine. Trump menaçait, en septembre, d’allonger plus encore la liste des sociétés chinoises interdites de puces américaines. Xi a répliqué avec un quasi-embargo imposé aux exportateurs chinois de terres rares : interdit de vendre à qui que ce soit – la mesure, programmée pour décembre, aurait eu des effets dévastateurs sur l’économie et même sur la défense des Etats-Unis. Pékin a complété son offensive en cessant d’acheter du soja auprès des agriculteurs américains – dont les Chinois consomment la moitié de la production.

Trump pensait sans doute avoir la main sur Xi : les Chinois exportent beaucoup plus aux Etats-Unis – leur deuxième marché – qu’ils n’achètent de produits américains. Oui mais l’empire du Milieu est le fournisseur quasi exclusif de ce dont les Etats-Unis ne peuvent se passer, les fameuses terres rares. Et, pour ce qui est du soja, les Chinois peuvent en trouver ailleurs qu’en Amérique du Nord. Avantage Xi Jinping.

Rouleau compresseur

En Corée du Sud, les deux parties ont conclu, verbalement, une nouvelle trêve. Elles rangent pour un an leur artillerie de menaces réciproques. La Chine rachète du soja américain. Trump abaisse sa barrière douanière (qui reste tout de même à 45 %). Et, plus important, Xi obtient une discussion sur un assouplissement possible des contrôles auxquels sont soumises les firmes américaines de high-tech qui veulent exporter en Chine : ce qui était une affaire de sécurité nationale aux Etats-Unis devient ainsi un élément du débat commercial sino-américain. A Washington, les élus républicains et démocrates y voient une évolution dangereuse.

La conversation Trump-Xi n’a, semble-t-il, pas été au-delà de ces sujets. Rien, aucun dialogue institutionnel, sur les aspects stratégiques de la relation sino-américaine, qu’il s’agisse de Taïwan ou du Pacifique occidental (où les deux marines se défient quotidiennement). Rien sur le cyberespace, ce territoire où les Chinois seraient particulièrement agressifs. Rien sur l’appui constant et déterminant que Pékin apporte à Vladimir Poutine dans sa guerre contre l’Ukraine.

A tout le moins faut-il reconnaître à Trump le mérite d’aborder de front la question que la Chine pose à l’ensemble du monde occidental : peut-on continuer à commercer benoîtement avec un pays qui s’est doté, à dessein, d’une machine à exporter hors de proportion ? Un rouleau compresseur surdimensionné, dopé aux subventions d’Etat et dont le jeune économiste canadien Dan Wang dresse cet automne un étonnant portrait sur le site de la revue Le Grand Continent. Ce n’est plus de commerce extérieur qu’on parle ici mais d’une volonté de domination mondiale – dans l’automobile, l’éolien, la pharmacie, les machines-outils, etc. – qui relève d’une forme d’expansionnisme politique.

 

 

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

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