Ces grandes fortunes qui aspirent une part croissante de la richesse mondiale

Le Monde DécryptageUne explosion du patrimoine des ultrariches. C’est ce que souligne le World Inequality Lab codirigé par Thomas Piketty, qui publie mercredi son troisième grand bilan mondial des inégalités auquel « Le Monde » a eu accès. Des travaux qui insistent sur les choix politiques qui permettent d’inverser la tendance.

On pourrait les rassembler sans forcer dans un stade de football. Ils sont 56 000, et représentent les 0,001 % les plus riches de la planète. Ticket d’entrée dans le club : 254 millions d’euros de patrimoine au minimum. Ensemble, ils possèdent désormais trois fois plus que la moitié la plus pauvre de l’humanité, soit 2,8 milliards d’adultes. Et si l’écart est stable depuis la sortie de la pandémie de Covid-19, il a fortement augmenté ces dernières décennies : en 1995, les 0,001 % n’avaient « que » le double des plus pauvres.

Ces données sont tirées du rapport, qui doit être publié mercredi 10 décembre et auquel Le Monde a eu accès, du Laboratoire sur les inégalités mondiales (World Inequality Lab, WIL), un institut de recherche établi à l’Ecole d’économie de Paris. Après les éditions de 2018 et 2022, cette somme de quelque 200 pages, copilotée par les économistes Thomas Piketty, Lucas Chancel, Ricardo Gomez-Carrera et Rowaida Moshrif, dresse un grand panorama de l’état des inégalités à travers le monde.

Rassemblant les travaux de près de 200 chercheurs, il documente l’explosion du patrimoine des ultrariches, et détaille la façon dont ces inégalités s’immiscent à tous les niveaux de la société : dans l’éducation, dans la politique, dans les conséquences du changement climatique, dans les écarts de revenus entre hommes et femmes…

Il rappelle aussi les grandes tendances mondiales observées depuis deux siècles : une envolée des inégalités au XIXe siècle pendant la révolution industrielle, leur réduction historique à partir de la première guerre mondiale et surtout après la seconde, avec notamment le développement des Etats-providence et l’imposition d’impôts très élevés sur les hauts patrimoines et revenus, permettant une réduction historique des écarts de salaire et de richesse. Puis un rebond depuis quarante ans, particulièrement aux Etats-Unis et, dans une moindre mesure, en Europe et en France, la libéralisation des marchés financiers, la dérégulation des marchés du travail, le déclin des syndicats et la mondialisation expliquant en partie cette hausse.

Si le constat est accablant, il n’est pas pour autant une fatalité, assurent les chercheurs, ces tendances résultant d’après eux des orientations prises par les dirigeants et des politiques publiques. « L’inégalité n’est pas un destin, mais un choix », écrivent dans une préface les économistes Jayati Ghosh et Joseph Stiglitz. « Sur un siècle, les écarts de revenus en Europe ont été divisés par dix. Il faut reprendre le fil de ce mouvement historique », conclut M. Piketty.

Sur la planète, les pays les plus riches sont aussi les plus égalitaires. L’Europe, les pays d’Extrême-Orient – Japon, Corée, Chine… – et même les Etats-Unis sont beaucoup moins inégaux que l’Afrique, le Moyen-Orient ou l’Amérique latine. « Historiquement, la richesse est venue d’investissements beaucoup plus inclusifs dans l’éducation et la santé, rappelle M. Piketty. C’est la réduction des inégalités qui a permis le développement et la prospérité. »

L’extrême concentration au profit des ultrariches

Pour comprendre l’évolution récente des inégalités, il faut zoomer. Pas sur les 10 % les plus riches de la planète, ni sur les 1 %, ni même sur les 0,1 %. Pour ces catégories extrêmement aisées, l’évolution de leur patrimoine entre 1995 et 2025 est à peu près en ligne avec celle du reste de la population mondiale, soit une augmentation autour de 3 % par an.

Deux zéros plus loin, en revanche, les 0,001 % se sont enrichis de presque 5 % par an depuis trente ans. Ce sont eux, les fameux 56 000 individus les plus riches au monde. On est pourtant encore loin des sommets. Tout en haut, les 560 premiers patrimoines – il faut au minimum 4 milliards d’euros pour en faire partie – ont connu une hausse de leur fortune de 8,4 % par an. Ici se trouvent les multimilliardaires qui défraient la chronique : Elon Musk, Mark Zuckerberg, Jeff Bezos, Warren Buffett…

Et, côté français, Bernard Arnault, la famille Bettencourt, la famille Hermès, ou encore la famille Wertheimer (Chanel). Pour faire partie du club des 56 premières fortunes – les 0,000001 % –, il faut désormais posséder 22 milliards d’euros. A ce niveau-là, ce n’est plus un stade de football qu’il faut pour les rassembler, mais un simple restaurant – qu’on imagine trois étoiles au Michelin.

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Source : Le Monde 

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