Orient XXI – Accompagné d’une impressionnante délégation comptant près d’un millier de personnes, si l’on en croit Bernard Haykel, spécialiste de l’Arabie saoudite et proche de la cour royale, le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman (MBS) compte impressionner son hôte. Il en aura l’occasion avec la conférence d’investissement conjointe saoudo-étatsunienne au cours de laquelle une multitude de contrats sera signée dans les domaines de la Tech et de l’Intelligence artificielle (IA), visant à investir massivement dans les semi-conducteurs et à implanter des data centers tant dans le royaume qu’aux États-Unis.
Le président étatsunien Donald Trump est mieux disposé que son prédécesseur à procéder au transfert de technologie dans le secteur de l’intelligence artificielle, comme le prouve l’annonce faite par cheikh Tahnoun Ben Zayed Al Nahyan, conseiller à la sécurité nationale de la fédération des Émirats arabes unis, lors de sa visite, en février 2025. Il y a révélé un investissement record sur dix ans, atteignant 1,4 trillion de dollars, dans la Tech étatsunienne. Le dauphin saoudien veut lui aussi saisir l’occasion de son voyage pour venir réaffirmer que la sécurité du royaume d’Arabie saoudite reste intimement liée aux États-Unis. Il privilégie donc ce partenaire, qui reste l’acteur central de la communauté internationale pour assurer la sécurité au Proche-Orient. Ce point de vue nous a été systématiquement rapporté lors de nos entretiens aussi bien avec des personnels diplomatiques qu’avec des chercheurs et consultants de think tanks saoudiens lors de notre séjour à Riyad en octobre 2025.
Ni la Chine ni la Russie
En faisant des États-Unis la première destination des investissements saoudiens dans le domaine de la Tech, le royaume confirme aussi son absence d’ambigüité vis-à-vis de la Chine. Celle-ci reste un partenaire économique majeur dans les nouvelles technologies de pointe, mais pas dans le domaine de la sécurité. Quant à la Russie, le Dr Saleh Al Khaltan, spécialiste des relations russo-saoudiennes et enseignant à la King Saud university (KSU), estime qu’elle a perdu son influence stratégique dans la région depuis sa guerre en Ukraine en dépit du fait que le président Vladimir Poutine continue de s’enfermer dans un narratif victorieux.
Redevable du soutien que Donald Trump lui avait prodigué lors de son premier mandat alors qu’il était plongé dans la tourmente de la sordide affaire de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, MBS prend soin de jouer habilement sur l’étroite relation personnelle qui le lie au président étatsunien. Il entend ainsi obtenir pour son pays de solides garanties de protection. L’objectif est de se prémunir contre de nouvelles attaques visant des sites stratégiques vitaux, comme celles revendiquées par les houthistes contre les installations pétrolières saoudiennes de Khuraïs et d’Abqaiq, le 14 septembre 2019. Il s’agit aussi d’éviter que ne se reproduise le scénario traumatique des frappes israéliennes contre le Qatar du 9 septembre 2025. Or, les deux fois, l’administration Trump s’est abstenue de venir à la rescousse de ses partenaires du Golfe.
Ces deux évènements ont durablement ébranlé les dirigeants du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Comme l’explique le Dr Abdallah Al-Tayer, conseiller au ministère des affaires étrangères, à la suite des frappes israéliennes sur Doha, les six pays membres ont convenu de raffermir leur solidarité au sein du pacte régional qui a survécu à la crise de cinq ans avec le Qatar. L’essentiel, poursuit ce diplomate, est de maintenir la cohésion des pays membres du CCG afin d’éviter l’écueil de la fragmentation dans un environnement régional fortement détérioré. Les différences de vues demeurent sur d’autres dossiers régionaux, comme sur le Soudan qui est un point de friction majeur entre Riyad et Abou Dhabi, mais aussi sur le Yémen où les conflits d’intérêts entre l’Arabie saoudite, les EAU et Oman sont connus de tous. Mais tous s’accordent de ne pas s’en ouvrir publiquement et de donner la priorité à la cohésion et à la sécurité au sein.
Une fragilité structurelle du royaume
Si l’Arabie saoudite se satisfait de l’affaiblissement de l’Iran dans la région, le contexte de l’après 7 octobre 2023 ne modifie pas la fragilité structurelle du royaume et des monarchies voisines. Elles restent très dépendantes du dispositif sécuritaire étatsunien mais elles le perçoivent surtout comme étant prioritairement destiné à la protection d’Israël.
Aujourd’hui, c’est davantage la domination militaire écrasante d’Israël que redoutent Riyad et les autres monarchies du Golfe. Elle est perçue comme l’élément le plus déstabilisant dans la région1. Les ambitions expansionnistes d’Israël au Liban et en Syrie, les nombreuses violations du cessez-le-feu à Gaza depuis l’adoption du plan Trump, la recrudescence des violentes attaques commises par les colons contre les Palestiniens de Cisjordanie avec la complicité de l’armée israélienne, sont perçues comme une volonté délibérée de fragmenter la région.
Aujourd’hui, c’est davantage la domination militaire écrasante d’Israël que redoutent Riyad et les autres monarchies du Golfe. Elle est perçue comme l’élément le plus déstabilisant dans la région1. Les ambitions expansionnistes d’Israël au Liban et en Syrie, les nombreuses violations du cessez-le-feu à Gaza depuis l’adoption du plan Trump, la recrudescence des violentes attaques commises par les colons contre les Palestiniens de Cisjordanie avec la complicité de l’armée israélienne, sont perçues comme une volonté délibérée de fragmenter la région.
Si le dialogue est de mise avec Téhéran, Riyad considère que l’Iran, bien qu’affaibli, demeure en capacité d’activer ses réseaux dont les milices chiites en Irak ou encore les houthistes au Yémen. Pour résumer, explique Saleh Al-Khaltan, Riyad considère que « l’hégémonie israélienne au Proche-Orient constitue la menace la plus sérieuse dans la région. Dans le même temps, un Iran affaibli, mais résilient, qui n’a pas renoncé à soutenir ses proxys, certes amoindris, demeure un point de vigilance sérieux ».
Chercheure, spécialiste des monarchies du Golfe à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM)) et enseignante (histoire et monde contemporain, péninsule Arabique), à Sciences Po Lille.
Source : Orient XXI
Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com
