– L’opération « mains propres », lancée par le gouvernement du premier ministre sénégalais, Ousmane Sonko, contre les proches de l’ancien exécutif, se durcit. Elu sur une promesse de rupture, le parti au pouvoir est sous pression pour accélérer les enquêtes judiciaires sur les violences qui ont fait des dizaines de morts entre 2021 et 2024 et sur la gestion des finances du pays sous la présidence de Macky Sall. Des investigations qui ont débouché sur des interpellations en cascade au cours des dernières semaines.
Le 29 septembre, la femme, deux de ses six enfants et le marabout du patron de presse Madiambal Diagne ont été arrêtés à Dakar et incarcérés. La justice les soupçonne d’avoir touché 1,7 million d’euros de rétrocommissions liées la construction, en 2020, de « 69 bâtiments judiciaires et d’un hôpital à Ourossougui [à 500 km à l’est de Dakar] » impliquant l’entreprise française, Ellipse Projects, selon la note du parquet qui a fuité dans la presse sénégalaise.
Madiambal Diagne, lui, a réussi à échapper aux autorités. Visé par un mandat d’arrêt international, l’ancien conseiller de Macky Sall, très hostile au gouvernement d’Ousmane Sonko, est réapparu en France le 25 septembre après avoir quitté le Sénégal dans des conditions floues. Empêché par la police d’embarquer à l’aéroport de Dakar, il aurait réussi à s’éclipser avant de prendre la route jusqu’à Banjul, la capitale de la Gambie voisine, puis de monter dans un avion pour l’Hexagone. Une fuite qui a valu au chef de la division des investigations criminelles (DIC) et à celui du commissariat spécial de l’aéroport de Dakar d’être relevés de leurs fonctions à titre conservatoire.
« Blanchiment de capitaux »
Mais les coups de filets dans l’entourage des anciens responsables sont plus nombreux que les cafouillages. Le 19 septembre, le pool judiciaire financier (PJF) a incarcéré le fils et le chauffeur de l’ex-premier ministre et candidat à la présidentielle, Amadou Ba, pourtant épargné jusqu’à présent par les enquêtes financières. Tous les deux sont poursuivis pour, entre autres, « blanchiment de capitaux ».
Derrière le cas d’Ibrahima Ba, les magistrats sénégalais semblent s’intéresser davantage à un autre « fils de » : Amadou Sall, le fils de l’ex-président, Macky Sall, parti vivre avec sa famille à Marrakech, au Maroc, à la fin de son dernier mandat, en avril 2024.
D’après le parquet financier qui se fonde sur un rapport de l’agence anticorruption (Centif), « Ibrahima Ba détiendrait 30 % » d’une société civile immobilière, « constituée avec Amadou Macky Sall ». Ce personnage clé, présenté par le parquet comme le « centre d’un dispositif », qualifié de « système financier complexe et structuré (…) avec des mouvements de fonds massifs et suspects » à travers une myriade de sociétés au Sénégal et en Côte d’Ivoire.
« Ils ont lancé une chasse aux sorcières »
Faute de pouvoir mettre la main sur Amadou Sall qui ne répond pas à leurs convocations, les magistrats sénégalais ciblent ses proches. Le 25 septembre, Wally Seck, le chanteur adulé et icône du mbalax et proche de l’ancien président, est poursuivi pour association de malfaiteurs et blanchiment d’argent pour avoir vendu sa Rolls-Royce à… Amadou Sall. D’après une source au fait du dossier, le musicien a pu échapper à la prison en négociant à son retour de Dubaï un placement en liberté provisoire en échange d’un cautionnement de 305 000 euros correspondant au prix d’achat de la berline de luxe.
« On assiste à l’effondrement d’un système qui associait la famille et les copains de dirigeants politiques à la gestion financière, au fonctionnement de l’Etat et à leurs dérives, estime le politologue Moussa Diaw. La justice sénégalaise lève peu à peu le voile sur ces opérations d’enrichissement illicite, et ce n’est que le début ».
Une lecture contestée par les défenseurs de Madiambal Diagne . « Les autorités sénégalaises ont franchi un seuil en s’en prenant aux familles, juge William Bourdon, l’un des avocats de M. Diagne. S’attaquer aux proches dévoie la procédure sur le chemin de la persécution politique ».
« Faute de résultats judiciaires, ils ont lancé une chasse aux sorcières, s’étrangle un ancien ministre qui a, lui aussi, quitté Dakar. Ce pouvoir ne recule devant rien, ils lancent des représailles tous azimuts, y compris contre les parents et les enfants des anciens cadres dirigeants. En s’attaquant au fils de Macky Sall et à son beau-frère [Mansour Faye emprisonné durant quatre mois avant d’être placé en liberté provisoire], ils visent l’ancien président. Qu’ils aillent chercher Macky Sall. »
Silencieux depuis son départ pour Marrakech, ce dernier est sorti de sa réserve à New York en marge de l’assemblée générale de l’ONU où il s’active en coulisses pour se faire élire secrétaire général. « Je n’avais jamais entendu parler de ces accusations. Jamais ! », a affirmé, le 29 septembre, Macky Sall à propos de la « dette cachée » de 7 milliards de dollars révélée par un audit de la Cour des comptes en février.
Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com