– Il s’en est fallu de peu qu’il finisse renversé par des militaires comme plusieurs de ses ex-homologues ouest-africains ces dernières années. Dimanche 7 décembre, il est environ 5 heures du matin lorsque le président Patrice Talon est attaqué chez lui, dans sa résidence du centre-ville de Cotonou, par des mutins dénonçant sa gouvernance et la « dégradation continue de la situation sécuritaire dans le nord du Bénin ».
L’assaut est violent. Les hommes armés tentent de pénétrer dans la villa présidentielle, protégée par des éléments de la garde républicaine. Leurs tirs touchent des volets, une baie vitrée explose. Près d’une heure après leur arrivée, les aspirants putschistes battent en retraite.
Pour beaucoup, ce matin-là, le chef de l’Etat a dû son salut en grande partie à son fidèle directeur de cabinet militaire, le général Bertin Bada. Attaqué lui aussi dans sa maison, trois heures plus tôt, cet officier ayant la main sur le système sécuritaire a réussi à s’échapper – contrairement à son épouse, tuée dans les combats – et à donner l’alerte. « C’est grâce à lui que la garde républicaine a été prévenue. S’il avait été capturé, c’était terminé pour le président », estime un officier sous couvert d’anonymat.
Durant ces quelques heures à haut risque, Patrice Talon a aussi pu compter sur l’intervention rapide de ses alliés nigérians et français, qui ont respectivement mené des frappes aériennes et envoyé des forces spéciales au sol pour l’aider à reprendre le contrôle de la situation. « Ce n’était pas un coup d’Etat mais une attaque. Il en faut bien plus pour un coup d’Etat. Il n’y avait aucun ralliement de la population, aucune frange importante de l’armée n’y a adhéré », a minimisé M. Talon le 18 décembre, lors d’une interview à la presse béninoise.
Révision constitutionnelle controversée
Il n’empêche. En dépit de son échec, cette tentative de putsch écorne une fin de règne que le président, « forcément marqué » par ces « événements traumatisants », glisse un de ses proches collaborateurs, s’était pourtant appliqué à organiser. Elu en 2016, réélu en 2021, cet homme d’affaires prospère, converti à la politique, a effectué les deux mandats présidentiels autorisés par la Constitution et ne pourra pas se présenter le 12 avril 2026. Pour briguer sa succession, il a choisi comme dauphin son ministre de l’économie et des finances, Romuald Wadagni, 49 ans.
Pas de quoi convaincre ses opposants, qui l’accusent de vouloir continuer à tirer les ficelles après son départ de la présidence. Au cœur de leur argumentaire : une révision constitutionnelle controversée adoptée par l’Assemblée nationale, le 15 novembre, qui prévoit l’allongement des différents mandats, y compris présidentiel, de cinq à sept ans, mais surtout la création d’un Sénat aux prérogatives politiques et législatives étendues, dont une des missions sera de « réguler la vie politique » béninoise.
En tant qu’ancien chef de l’Etat, Patrice Talon en sera membre de droit et pourrait en devenir le président. « Certains redoutent qu’il garde la main sur la gouvernance du pays à travers le Sénat », indique Azizou Chabi Imorou, enseignant-chercheur et directeur de l’Institut pour la gouvernance démocratique.
Cette modification constitutionnelle instaure par ailleurs une « trêve politique », s’étirant de la date de proclamation définitive de l’élection du président de la République jusqu’à douze mois de la fin de son mandat, soit près de six années durant lesquelles « l’animation politique à finalité compétitive et électorale est prohibée ». Une définition à l’appréciation variable, qui fait craindre à certains une mise sous cloche du débat démocratique au Bénin.
« C’est un mauvais procès fait au président, rétorque un ministre qui a requis l’anonymat. Nous sommes dans un pays qui a besoin de se développer. Quand le peuple a donné un mandat à quelqu’un, il faut le laisser gouverner. Il ne faut pas critiquer pour critiquer, mais le faire en proposant des alternatives. » « Patrice Talon est un réformateur, ajoute Orden Alladatin, député proche du chef de l’Etat. Il a engagé une thérapie de choc pour transformer notre système en profondeur. Son seul objectif est de rendre notre pays gouvernable. »
Défis économiques et sociaux
A l’heure du bilan, beaucoup, y compris au sein de l’opposition, reconnaissent au président sortant de bons résultats économiques. Depuis 2018, la croissance du PIB dépasse les 6 % par an – hormis en 2020, année de la pandémie de Covid, où elle a été de 3,8 %. Malgré la menace croissante des groupes djihadistes sahéliens, qui mènent des incursions meurtrières dans son septentrion depuis le Burkina Faso et le Niger voisins, le pays tâche de continuer à attirer les investissements étrangers et de développer son secteur touristique, un des piliers de la politique économique du gouvernement.
En dix ans, d’importants travaux d’infrastructures et d’urbanisme ont été entrepris, notamment pour embellir le centre et la corniche de Cotonou. Après l’ouverture d’un Sofitel luxueux dans la capitale économique, un Club Med et un golf sont en cours de construction sur la côte, près de Ouidah. De quoi constituer une vitrine séduisante alors que le reste du pays croule sous des défis économiques et sociaux. « Il est indéniable que le Bénin est plus attractif. Mais les prix ont augmenté et la majorité des gens souffrent au quotidien. Il y a des frustrations à tous les niveaux », analyse un entrepreneur béninois sous couvert d’anonymat.
Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com
