Mauritanie – 26 milliards d’anciennes ouguiyas pour « clore le passif humanitaire » : La boite de Pandore

Le Calame – Le gouvernement mauritanien a annoncé, il y a quelques jours, l’octroi de 26 milliards MRO aux rescapés militaires, veuves, orphelins, victimes des évènements de 1989 -1990. Ce geste qui intervient au moment où se prépare le dialogue politique espère clore définitivement ce douloureux dossier derrière lequel les victimes courent depuis plus de trente ans.

Les gouvernements précédents ont tenté de trouver des solutions mais sont tous passé à côté. La tentative de l’ex-président Ould Abdel Aziz, en 2009, a même exacerbé les divisions entre les organisations de défense des victimes. Alors que certains voulaient des réparations sans préalable, d’autres réclamaient, avant tout, justice et vérité, exigeant de connaître pourquoi des mauritaniens avaient été exécutés, déportés, révoqués de leur poste, expropriés par d’autres mauritaniens, sans aucune forme de procès… et que la justice s’exerce pour éviter que pareilles exactions se reproduisent dans le pays. Une solution que l’ex-président Ould Taya, sous le magistère duquel se sont produits lesdites horreurs, et Ould Abdel Aziz ont rejeté depuis 1989-1990, privilégiant des « réparations » ou « aides », c’est-à-dire des « arrangements à l’amiable. »

Prenant le pouvoir en Août 2008, Ould Abdel Aziz profita de sa proximité avec certains officiers victimes et un contexte de rejet de son coup d’État contre un président démocratiquement élu, feu Sidi Cheikh Abdallahi, pour engager une opération de charme auprès des victimes. Il reconnut, au nom de l’État, les exactions commises contre la communauté négro-africaine et fit, du 25 Mars 2009, la « Journée nationale de réconciliation », suite à la Prière aux morts effectuée à Kaédi mais la mauvaise gestion des « aides » qu’il attribua et leur extension à des personnes étrangères au dossier portèrent un sérieux coup à sa démarche. Les victimes se déchirèrent autour de miettes, alors qu’ils espéraient des sommes conséquentes avant de se réorganiser.

CCRM et CCVE

Au lendemain de son élection en 2019, le président Ghazouani exprima sa volonté de trouver une solution consensuelle avec les victimes ; il mit en place une commission composée de ses ministres et conseillers ; les échanges commencèrent en 2022, entre cette commission et les victimes regroupées au sein du cadre de concertation des rescapés de Mauritanie (CCRM) et celui de concertation des victimes des évènements (CCVE). Les deux organisations ont concocté, après moult débats, une feuille de route qui fut soumise au gouvernement.

En dévoilant le montant de 26 milliards MRO, le gouvernement semble privilégier, ici encore, les « réparations » par rapport aux autres devoirs (vérité, justice transitionnelle…). De quoi faire monter sur leurs grands chevaux les veuves et orphelins se réclamant de Mère Houlye, maman du lieutenant Sall Abdoulaye, pendu à la garnison militaire d’Inal au Nord du pays, comme vingt-sept autres officiers, sous-officiers et soldats, dans la nuit du 27 au 28 novembre 1990 pour célébrer la fête de l’Indépendance du pays ! Ce groupe a tenu, au lendemain de l’annonce du montant annoncé par le gouvernement, un sit-in sur la Place de la Liberté pour réitérer son refus d’un tel accord. Pour ces veuves et orphelins, « l’argent nous importe peu, nous ne monnayons pas le sang de nos martyrs, nous réclamons vérité et justice ! ». Visiblement, ce bloc restera en marge de la solution convenue entre le CCRM, le CCVE et le gouvernement. Ces deux dernières organisations sont en train de d’harmoniser leurs positions avec la diaspora dont des délégués sont à Nouakchott depuis quelques jours, avant de déposer leur réponse définitive auprès du gouvernement.

Autre anguille sous roche, certaines voix se demandent pourquoi le gouvernement distribue à ces victimes des milliards d’ouguiyas des contribuables mauritaniens, alors qu’il y a bien d’autres mauritaniens nécessiteux. Elles oublient que l’argent ne ramène pas les morts, ne fait pas pardonner ; elles ont oublié de se rappeler que la solution d’Ould Abdel Aziz avait profité à des personnes étrangères au dossier, contribuant ainsi à réduire à des miettes les « aides » et ouvrant, du coup, la boîte de Pandore. Il faut aussi signaler qu’à cause des évènements de 1989-1990 certains mauritaniens s’entêtent encore à nier que des compatriotes sont morts, vivent en exil, apatrides, sont renvoyés de leur travail, ont perdu leurs terres, leurs maisons et autres biens. Toute tentative de trouver une solution consensuelle est certes à louer mais à la condition expresse que la démarche soit réellement sincère et, surtout, inclusive. Il est étonnant et incompréhensible que le gouvernement et peut-être même certaines organisations veuillent exclure diverses victimes et personnalités de premier plan.

Plus encore, on ne peut ne pas s’interroger sur les motivations du gouvernement qui a choisi le moment où la phase préparatoire du dialogue politique vient de s’achever, avec, en notable recommandation, les questions de l’unité nationale et, donc, du passif humanitaire. Pourquoi les autorités n’ont-elles pas attendu les conclusions dudit dialogue pour y fonder les solutions ? Et, autre grosse question, pourquoi une commission vérité-réconciliation n’est-elle pas mise sur pied pour plancher sur ce passif humanitaire ? Espérons, en tout cas, que les organisations des victimes réussiront à éviter les accusations, frustrations et altercations pendant la répartition des aides ! Les attentes sont immenses chez toutes les victimes.

 

 

Dalay Lam

 

 

 

 

Source : Le Calame (Mauritanie)

 

 

 

 

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