« On a quitté l’enfer » : le camp de réfugiés de Mbera, un Mali en miniature dans les confins mauritaniens

Depuis 2023, le grand Est mauritanien fait face à un afflux sans précédent de réfugiés maliens fuyant les violences perpétrées par l’armée de Bamako et les mercenaires russes de Wagner. Les arrivées bousculent le fragile équilibre d’une région déjà pauvre en ressources.

Le Monde – Un jour sur deux, au petit matin, avant que l’atmosphère du désert mauritanien ne devienne brûlante, Thiaye (tous les prénoms ont été modifiés), réfugié malien, parcourt dix kilomètres à pied, la tête enveloppée dans un chèche blanc. A un rythme effréné, l’octogénaire s’enfonce dans les travées ensablées du camp de réfugiés maliens de Mbera, situé à plus de 1 200 kilomètres à l’est de la capitale, Nouakchott.

Dans le reflet de ses lunettes noires défilent les rangs de baraquements en tôle et les tentes siglées « UNHCR » de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés. « Par là, les installations des nouveaux venus rendent étroites les bordures du camp », relève le professeur de mathématiques à la retraite. « Ce nouveau quartier, on l’appelle “Wagner” », dit-il, en référence aux déplacés qui ont fui les exactions de l’armée malienne et de ses alliés russes.

Entre 2022 et 2025, le nombre de Maliens arrivés en Mauritanie a plus que doublé, selon l’UNHCR, passant de 70 000 à 160 000, et même à 245 000 selon Nouakchott – tous n’ont pas le statut de réfugié. La majorité s’est installée dans la région frontalière du Hodh Ech-Chargui, l’une des plus pauvres du pays, dans le camp de Mbera et ses alentours.

« On a quitté l’enfer »

« Tous les nouveaux arrivants sont là à cause des hommes blancs », assure Moustafa, réfugié touareg habitant du « bloc Wagner ». Arrivé il y a huit mois avec sa femme, ses quatre enfants et dix-huit autres familles de son village malien près de Léré, dans le cercle de Niafounké, il est terrorisé à l’idée d’être identifiable. « Parler, c’est prendre des risques. Tous les groupes présents au Mali ont des yeux et des oreilles, qu’il s’agisse des djihadistes, des rebelles du Front de libération de l’Azawad [mouvement indépendantiste du nord, FLA] ou de l’armée et Wagner », met-il en garde.

A l’ombre de sa tente, Moustafa raconte la politique de terreur menée par l’armée malienne et ses supplétifs russes. Pendant des semaines, début 2024, son village a été pillé au rythme de va-et-vient violents, puis sanglants. « A la fin, nous n’avions ni nattes ni coussins, ils ont même pris nos casseroles », rapporte-t-il. Le départ des siens s’est décidé à la hâte « le jour où ils ont commencé à tuer ». « Le fils de notre voisine, un paysan, est tombé sous leurs balles, devant nous », raconte-t-il.

Depuis son arrivée au Mali, en 2021, le groupe de mercenaires russes Wagner, remplacé en juin par Africa Corps, a commis d’innombrables exactions et tueries, dont des exécutions extrajudiciaires par balle, des viols et des pillages, selon plusieurs organisations de défense des droits humains.

Les autorités maliennes, elles, se félicitent de ce partenariat face aux séparatistes touareg du Front de libération de l’Azawad, qui luttent depuis 2012 pour leur indépendance dans le Nord, ainsi que face aux groupes terroristes affiliés à Al-Qaida qui prolifèrent dans l’est, le nord et, depuis peu, dans l’ouest du pays. Mais les civils semblent être les premières cibles de ces combattants étrangers, en particulier les membres des communautés peule et touareg, respectivement assimilées aux groupes djihadistes et aux indépendantistes du FLA.

« Ils tuent de sang-froid, sans aucune raison, sans se poser de questions, sans discernement », répète Samba, un jeune éleveur peul, arrivé sur le camp de Mbera il y a six mois. Originaire de la ville de Nampala, dans la région de Ségou, il raconte avoir pris la direction de la Mauritanie, après que des mercenaires russes ont immolé son troupeau de chèvres et brûlé sa maison, parmi plusieurs autres. « On a quitté l’enfer », confie-t-il.

A Mbera, chaque bloc d’habitations témoigne de l’horreur de la guerre et de sa durée sur le sol malien depuis les premières insurrections des groupes djihadistes et indépendantistes, en 2012. « On a gardé notre esprit grégaire en décidant de se rassembler par villes d’origine, et donc par catastrophes », explique le vieux Thiaye, qui occupe des fonctions de coordination dans le camp, tout en poursuivant sa marche matinale. « Là, c’est le bloc que l’on appelle “aviation”, parce que, à l’époque, ce sont les civils fuyant les bombardements de l’opération “Serval”, en 2013, contre les djihadistes dans la région de Ségou, qui s’y sont installés, craignant d’être les victimes de dommages collatéraux. » Le coordonnateur n’oublie pas de citer les victimes des djihadistes, des conflits communautaires et intracommunautaires…

Depuis la création du camp de Mbera, en 2012, la Mauritanie accueille les Maliens sans distinction, à condition qu’ils entrent par le seul poste-frontière officiellement ouvert, celui de Fassalé, à 30 kilomètres de Mbera.

Le camp et ses alentours abriteraient ainsi certains protagonistes des conflits qui font rage au Mali, ou du moins des proches de ces derniers. « Il y a beaucoup de soldats du FLA qui viennent voir leur famille, ils se reposent quelques semaines et retournent au front, rapporte Mohammed, fils d’un ancien combattant établi dans le camp depuis 2012. Ils font des roulements de permission comme ça. » Le jeune homme précise d’emblée que « pour respecter les “règles internationales relatives au camp de réfugiés”, ils entrent sans leurs armes ».

A Mbera, les avis divergent, entre soutiens sans faille pour les « libérateurs du Nord » et ressentiments. « Les Mauritaniens sont très attentifs à tout cela et ne veulent surtout pas importer le conflit malien sur leur territoire », souligne un diplomate. En octobre 2024, lors d’une visite, le ministre de l’intérieur mauritanien, Mohamed Ahmed Ould Mohamed Lemine, a rappelé que « l’engagement politique dans le camp est inacceptable ».

Sa déclaration est intervenue quelques jours après que des sympathisants ont brandi le drapeau tricolore de l’Azawad, lors d’un match de football. « L’autre phénomène inquiétant, c’est le recrutement de la jeunesse désœuvrée du camp, notamment par les djihadistes qui font des incursions », ajoute la source diplomatique précitée.

« Un combat de tous les jours »

Le risque est d’autant plus grand que, depuis 2023, l’afflux de réfugiés semble avoir bousculé le fragile équilibre qu’avait trouvé Mbera. « Ç’a été un choc, admet Thiaye. Avant, nous fonctionnions comme une ville, avec 500 commerçants sur le marché, mais voilà que l’urgence nous a rattrapés. » Conçu pour environ 60 000 réfugiés, le camp, avec ses 120 000 résidents, est aujourd’hui saturé. Les services de première nécessité prévus, dont l’accès à l’eau, la santé et l’éducation – alors que plus de la moitié des réfugiés sont mineurs –, ne suffisent plus.

Autre coup dur, en janvier, la suspension de l’aide américaine sur décision de Donald Trump, qui a provoqué la réduction drastique des distributions d’argent du Programme alimentaire mondiale et d’Action contre la faim. « Depuis le début de l’année, ils n’ont pu sécuriser ces distributions mensuelles de 500 ouguiyas [environ 11 euros] que pour 8 000 personnes, les plus fragiles », regrette Thiaye. Résultat, sur la place du marché, les échoppes vendent à crédit. Pour preuve, Mohamed Ag Aweissoun, réfugié depuis 2013 et commerçant touareg, brandit trois cahiers noircis d’encre. « Ce sont les impayés uniquement pour 2025, dit-il. Il n’y a plus aucune stabilité économique par ici. »

Si la situation dans le camp est inquiétante, elle reste toutefois sous le contrôle de l’UNHCR. « Le plus alarmant, ce sont les réfugiés installés en dehors du camp, que l’on estime à près de 140 000 », indique Cheikh Ewah, coordinateur gouvernemental de la cellule de développement de la région du Hodh Ech-Chargui.

Dans la commune de Douankara, à seulement quelques kilomètres de la frontière, le maire, Sidi Ould Mohammed, a récemment recensé 4 022 ménages, soit 38 118 personnes, contre 380 trois ans plus tôt et 1 920 personnes. Partout, à l’ombre des acacias, les abris de fortune construits par les réfugiés s’étalent, jusqu’à quelques mètres de sa bâtisse. « Nous faisons face à beaucoup de tensions par rapport à l’eau, à l’unique école et aux pâturages », explique l’édile, qui héberge chez lui cinquante-huit mineurs maliens isolés.

Une majorité de réfugiés, éleveurs dans leur pays, a franchi la frontière avec son bétail. Des ressources alimentaires et financières essentielles, mais qui exercent une pression sur cette région désertique où les pâturages sont rares pendant la saison sèche. « C’est un combat de tous les jours, relate Ibrahim Sidi Mohammed, éleveur mauritanien. Souvent, on est obligés de demander aux Maliens de se déplacer vers d’autres pâturages plus à l’intérieur du pays, mais je ne sais pas jusqu’à quand tout cela va tenir sans conflit. »

Dans le grand Est mauritanien, l’inquiétude gagne du terrain à mesure des arrivées quotidiennes de réfugiés. Dans plusieurs localités du Hodh Ech-Chargui, leur nombre a largement dépassé celui des populations hôtes.

 

 

 

 

 

Source :  Le Monde

 

 

 

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