Mohamed Ould Echriv Echriv : « Ball Amadou Tidiane, Amadou Sarr, l’un fut la voix de la fidélité journalistique, l’autre la voix de la sagesse populaire »

En eux, la radio mauritanienne a trouvé ses deux pôles : l’exactitude et la sagesse.

L’histoire des médias mauritaniens ne saurait être écrite sans mentionner les figures pionnières qui ont fait entrer les langues nationales dans l’espace public radiophonique et télévisuel. Si le français, langue héritée de la colonisation, domina longtemps la sphère médiatique officielle, des voix singulières surent briser ce monopole pour imposer la dignité de l’expression nationale. Parmi elles, deux noms se distinguent : Ball Amadou Tidiane, virtuose de l’instant et traducteur génial de l’invisible, et Amadou Sarr, philosophe du Fuuta et conteur moderne de la radio.

Arrivé à Radio Mauritanie en 1968, au lendemain de l’indépendance, Ball Amadou Tidiane incarna la première irruption structurée du pulaar dans l’univers médiatique officiel. Son génie résidait dans une prouesse linguistique presque surhumaine : lire en direct les dépêches et communiqués rédigés en français – sans traduction préalable – et les restituer instantanément, dans un pulaar fluide, clair et fidèle, sans heurt ni hésitation.

Cet acte, en apparence technique, relevait en réalité d’une gymnastique intellectuelle vertigineuse. Traduire en simultané, sans support écrit, un texte conçu dans une autre langue, suppose non seulement une maîtrise parfaite des deux idiomes, mais surtout une capacité de transmutation immédiate : transformer un code en un autre, sans perdre le sens, la nuance, ni la musicalité. Là où d’autres buteraient, répéteraient, se corrigeraient, Ball avançait avec une aisance désarmante.

Sa voix, douce et suave, traversa plusieurs générations. Elle accompagnait la Mauritanie naissante dans ses premiers pas d’État indépendant. Informer avec honnêteté, donner des nouvelles fiables, annoncer même les communiqués de décès avec une dignité exemplaire : telle fut la mission de Ball Amadou Tidiane. En lui, le pulaar trouva son premier habit de modernité médiatique, sa première assise dans l’espace de l’État.

À côté de ce journaliste hors pair, un autre registre se dessine avec Amadou Sarr, dont l’émission dominicale, diffusée dans les années 1980 et 1990, demeure un jalon majeur de l’histoire culturelle. Là où Ball traduisait la dépêche, Sarr traduisait le monde.

Son programme du dimanche matin commençait par des notes musicales, puis sa voix enveloppante ouvrait un espace de réflexion populaire et de sagesse ancestrale. Les retraités, les paysans, les citadins désœuvrés, tous attendaient cette heure où le Fuuta, par la magie de ses contes et de ses proverbes, devenait le théâtre d’une philosophie accessible et profonde.

 

Ses récits, ponctués de formules proverbiales et de moralités subtiles, étaient une école : on y apprenait la patience, l’humilité, la prudence face aux puissants, et l’art de vivre ensemble malgré les épreuves. Par lui, le pulaar n’était pas seulement une langue d’usage : il devenait une langue de pensée, une langue de philosophie.

Ces deux figures révèlent la nécessité d’une réflexion méthodologique : traduire en langues nationales n’est pas une simple opération linguistique. Là où le français fonctionne dans un cadre abstrait, normatif et écrit, les langues nationales exigent une médiation orale, imagée et symbolique.

Ball Amadou Tidiane, par sa traduction simultanée, montrait qu’il est possible de rendre immédiatement accessible l’information nationale aux populations non francophones.

Amadou Sarr, par ses contes, montrait que l’efficacité d’un message ne réside pas seulement dans sa littéralité, mais dans sa capacité à toucher l’imaginaire collectif.

De là naît une conclusion : utiliser les langues nationales dans les médias, ce n’est pas « traduire » au sens mécanique, mais transposer au sens culturel. C’est recréer le message pour qu’il vive dans l’univers mental et symbolique de ceux qui l’écoutent.

Aujourd’hui, alors que la télévision et les réseaux sociaux dominent l’espace public, la leçon de Ball Amadou Tidiane et d’Amadou Sarr demeure brûlante d’actualité. Ils ont prouvé que la radio pouvait être le sanctuaire des langues nationales, à la fois lieu d’information et espace de sagesse.

L’un fut la voix de la fidélité journalistique, l’autre la voix de la sagesse populaire. Ensemble, ils ont inscrit le pulaar dans la mémoire nationale, non comme une langue périphérique, mais comme une langue de centralité, capable de dire le monde moderne sans trahir sa profondeur ancestrale .

En eux, la radio mauritanienne a trouvé ses deux pôles : l’exactitude et la sagesse, l’instantané et l’éternel. Leur héritage est une invitation à reconsidérer le rôle des langues nationales dans les médias : non comme simples traductions, mais comme instruments de pensée, de culture et de dignité collective.

 

 

 

 

Mohamed Ould Echriv Echriv

 

 

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