«Brahim, ce héros moderne, traie les chèvres… et les moutons. Oui, les moutons.»

C’était censé être une épreuve de français. Une simple dictée du bon sens. Un texte à lire, quelques questions à cocher, un « champ » lexical à explorer gentiment entre deux ratures. Mais voilà, ce qui devait être un pont vers le savoir est devenu une passerelle en corde pour les enfants d’aujourd’hui : fragile, bancale et très franchement… hilare.

 

Le texte commence « Brahim est en vacances à Rosso ». Jusque-là, tout va bien. Brahim, on l’aime. Il est brave. Enfin… le texte nous le dit. Et il faut croire ce qu’on nous dit, n’est-ce pas ? Mais très vite, on comprend que Brahim n’est pas en vacances. Non. Il est en stage agricole intensif non rémunéré. À l’aube, il part aux champs de riz — oui, les champs de riz, au pluriel, s’il vous plaît — pour des travaux champêtres. Un grand classique : on multiplie les termes pour dire la même chose, histoire d’embrouiller les enfants et de leur faire confondre un champ de riz avec… un champ de mines syntaxiques.

Car, soyons sérieux deux secondes : pourquoi ne pas écrire tout simplement « rizières » ? Non seulement c’est plus court, plus juste, plus précis — mais surtout, ça évite cette impression qu’on a affaire à une métaphore agricole rédigée à coups de houe sur un clavier fatigué.

Mais l’absurde ne s’arrête pas là.

Brahim, ce héros moderne, traie les chèvres… et les moutons. Oui, les moutons.

Alors là, les profs de bio, les vétérinaires et les moutonniers professionnels se sont effondrés en même temps. Car oui, chers amis, on n’a jamais vu un mouton mâle produire du lait, même dans les rizières interstellaires. Et encore moins au petit matin, avant de préparer les verres de thé pour la « toute famille ». Eh oui, la toute famille, pas « toute la famille ». Le lapsus n’est pas innocent : la toute-famille, c’est peut-être un concept administratif inventé par le rédacteur du texte, quelque part entre le ministère de l’Éducation et le marché aux bestiaux.

Et c’est là qu’on comprend : ce texte, ce n’est pas une épreuve, c’est un manifeste. Un pamphlet contre la logique. Un traité de surréalisme éducatif. Le type qui l’a pondu a probablement eu un doctorat en traire-des-boucs et un certificat d’orthographe signé par un mouton lui-même.

Quelques pistes d’analyse :

Le brave garçon Brahim : ou le prototype du jeune néo-paysan multitâche qui fait office d’ouvrier, d’éleveur, de sommelier à thé et de psychologue familial (puisqu’il écoute sa grand-mère raconter des histoires sans jamais lui répondre — grand respect).

Les champs de riz pluriels : une subtile façon de dire qu’on veut généraliser la confusion entre travaux champêtres et agriculture spécialisée. Un chef-d’œuvre de tautologie.

Traire les moutons : une image symbolique du système éducatif ? Où l’on tente de tirer du sens, du savoir, voire du lait… de tout ce qui passe, y compris ce qui n’en produit pas.

La toute famille : peut-être une métaphore involontaire de l’administration nationale — vague, floue, mais présente.

Ce concours, loin d’être un test de niveau, est un test de patience. Il faut être à la fois linguiste, berger, logicien, psychopédagogue et poète pour espérer grappiller quelques points. Et encore.

L’enfant qui répond correctement est un héros. Celui qui ose poser des questions sur la traite des moutons, lui, devrait recevoir une bourse et une médaille.

Et le rédacteur du texte, quant à lui ? Disons-le franchement : recherché vivant ou corrigé d’urgence.

« L’école est un sanctuaire. Merci de ne pas y traire n’importe quoi. »

 

 

 

Mohamed Ould Echriv Echriv

 

 

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