« L’Afrique ne doit plus attendre de miracles venant des autres »

A la veille de la 4e Conférence internationale sur le financement du développement organisée du 30 juin au 3 juillet à Séville, Carlos Lopes, ancien secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies, invite le continent à construire son propre système financier.

Le Monde – Carlos Lopes est professeur d’économie politique à l’université du Cap en Afrique du Sud après avoir occupé des postes de haut niveau au sein des Nations unies, notamment celui de secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique. Il a participé à la préparation de la 4e Conférence internationale sur le financement du développement, qui s’ouvre le 30 juin à Séville, en tant que membre de la commission internationale d’experts chargée par le gouvernement espagnol et le secrétaire général des Nations unies de faire des propositions nouvelles. Il plaide pour que l’Afrique prenne ses distances avec un modèle de développement écrit par le Nord.

La conférence des Nations unies sur le financement du développement répond-elle aux besoins de l’Afrique ?

La déclaration finale a été approuvée avant même l’ouverture de la conférence. Il n’y aura donc pas de négociations à Séville. Je ne parlerai pas d’absence de résultats, mais ils ne sont certainement pas à la hauteur de ce qu’est en droit d’attendre l’Afrique. Le véritable sujet, celui de l’accès aux capitaux à des conditions justes, reste le grand laissé-pour-compte des discussions. C’est l’éléphant caché dans la pièce. La réforme des institutions financières internationales pour donner accès à davantage de prêts concessionnels et la création d’instruments pour inciter le secteur privé à investir davantage vont dans le bon sens, mais c’est secondaire et on reste dans un registre très incantatoire.

Qu’entendez-vous par conditions justes ?

Non seulement les pays africains trouvent difficilement à emprunter sur les marchés internationaux ou auprès des banques mais, lorsque cela est possible, c’est à des conditions prohibitives. Prenons des exemples concrets : les grandes agences de notation continuent d’évaluer le risque africain à l’aune des dettes souveraines, ce qu’elles font rarement ailleurs. Cela pénalise le continent car tout le monde est mis dans le même sac, l’entreprise la plus prospère – et il y en a – comme le gouvernement le moins compétent. Cela se traduit par des primes de risque surévalué et des coûts d’emprunt élevés. D’autant, et des études l’ont montré, que ces notations reflètent souvent davantage des appréciations politiques que les fondamentaux macroéconomiques.

Les règles prudentielles imposées aux banques au lendemain de la crise financière de 2008 sont également discriminantes pour les pays les plus vulnérables, car elles conduisent les établissements à se tenir à l’écart des marchés africains. Ce n’était pas l’intention de la banque internationale des règlements qui a élaboré ces règles adoptées au niveau international sous le nom de Bâle 3, mais le résultat est là.

L’accès aux financements climatiques est un autre exemple : l’Afrique, qui est le continent qui a le moins contribué au dérèglement climatique et en subit déjà les chocs d’une manière disproportionnée, est là aussi marginalisée et sommée de respecter une longue liste de conditionnalités pour répondre à un problème qu’elle n’a pas créé. C’est le fondement de l’injustice climatique.

Le démantèlement de l’Usaid et la baisse de l’aide publique au développement d’autres donateurs frappent durement de nombreux gouvernements africains. Quelles réflexions en tirez-vous ?

Le retour au pouvoir de Donald Trump nous a fait entrer dans une autre dimension du recul du multilatéralisme et du financement des initiatives globales. Il marque la primauté des politiques transactionnelles qui n’avaient jamais vraiment disparu, mais qui deviennent plus brutales. Chaque deal se négocie à la dure sans grande vision collective. Les pays africains doivent en tirer les conséquences et faire aussi le bilan des politiques d’aide publique au développement dans lesquelles ils se sont enfermés.

Je ne dis pas qu’il faut jeter le bébé avec l’eau du bain mais, au bout de six décennies, cette aide n’a pas permis d’engager une transformation structurelle de leur économie. Pourquoi ? Parce qu’en Afrique, à la différence de ce qui s’est passé dans certains pays d’Asie, elle a été utilisée seulement pour compenser ce que les gouvernements n’étaient pas en mesure de fournir, de l’éducation, de la santé… Au lieu d’appuyer des politiques de transformation profonde. 80 % de l’aide américaine à l’Afrique est consacrée à l’humanitaire et à la santé. Les donateurs ne sont pas seuls responsables, car c’était aux responsables africains de fixer leurs priorités, de montrer qu’ils ont une vision. Ils n’ont pas été au rendez-vous.

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Propos recueillis par 

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

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