
M Le Mag – Reportage – A Lattaquié, sur le littoral syrien, théâtre de tueries visant la minorité alaouite dont est issu le clan Assad, quatre couples de confession sunnite et chiite se sont unis lors d’un mariage collectif. Une façon de lutter contre les divisions communautaires qui déchirent le pays, comme vient encore de le montrer l’attentat du 22 juin contre une église à Damas.
Le sol est jonché d’épingles à cheveux et l’odeur des mèches, surchauffées par le souffle du séchoir, embaume la salle. Entassées sur des étagères, des couronnes de faux diamants attendent d’auréoler les têtes. Une esthéticienne effectue quelques pas de danse sur les notes d’une chanson pop.
Dans ce salon de beauté en sous-sol d’un immeuble de Lattaquié, une ville de la côte nord-ouest de la Syrie, ancien fief de la famille Al-Assad, quatre femmes se préparent en ce début du mois de juin à célébrer leurs noces respectives au cours d’un mariage collectif regroupant plusieurs confessions.
Dans l’embrasure de la porte, un homme passe une tête. Dans la précipitation, deux des futures mariées dissimulent leurs cheveux et visage en protestant. Car elles sont de confession sunnite. Les deux autres sont alaouites, une branche de l’islam chiite, aux mœurs et croyances différentes.
« On est fiancés depuis un an et demi, depuis qu’Achraf est tombé en panne devant chez moi », raconte en souriant Roula Salman. « En se mariant ainsi, on voulait montrer que la Syrie était toujours unie », ajoute la jeune femme de 27 ans, étudiante en physique à Lattaquié. Un choix inédit et symbolique dans un contexte très tendu. Dimanche 22 juin, un attentat-suicide a ainsi visé l’église Saint-Elie, à Damas, faisant au moins 25 morts et une soixantaine de blessés parmi les chrétiens rassemblés.
Calme précaire
En mars, une vague de massacres ciblant majoritairement la communauté alaouite – cette minorité religieuse à laquelle appartient le clan Assad représente environ 10 % de la population syrienne – a fait au moins 1 700 victimes civiles, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme. Des centaines de vidéos de meurtres et de pillages ont déferlé sur les réseaux sociaux, incriminant des factions armées extrémistes, pour certaines affiliées au nouveau régime dirigé par le président par intérim Ahmed Al-Charaa, un sunnite et ancien chef djihadiste.
Un calme précaire est revenu sur la côte, mais les invités ne sont pas tous sereins, d’autant que le lieu des festivités se situe à quelques kilomètres seulement du quartier d’Al-Dattour, où, le 4 mars, deux soldats du ministère de la défense ont été tués dans une embuscade tendue par des fidèles du régime de Bachar Al-Assad. « Et si des hommes armés venaient se venger pendant la fête ? », murmure une hôte.
L’appréhension semble se dissiper lorsque les quatre couples font leur entrée. Un pharaon géant en carton-pâte fait office de porte. Avalés par cette silhouette kitsch et majestueuse, les mariés défilent au son de la traditionnelle musique de noce de la chanteuse libanaise Majida El Roumi. Autour d’eux, les familles sont réparties le long de grandes tablées. Une forêt de bras tendus, téléphone à la main, tente de capturer l’instant.
Dès l’ouverture de la cérémonie, tout est fait pour célébrer l’idée du vivre-ensemble. Les enceintes diffusent un fond sonore mêlant l’appel du muezzin aux tintements des cloches d’église – bien qu’il n’y ait pas de couple chrétien. Deux enfants d’honneur proclament au micro : « Bienvenue dans la nouvelle Syrie ! » Les regards des quelque 200 convives se croisent, curieux et émus d’être rassemblés ici.
« Promouvoir la paix civile »
A l’origine de cette cérémonie singulière, Ayman Sejari et sa sœur Jihan, deux quinquagénaires. Quand la dictature de Bachar Al-Assad est tombée, le 8 décembre 2024, renversé par Ahmed Al-Charaa et son organisation islamiste Hayat Tahrir Al-Cham (HTC) –, marquant la fin de quatorze années de guerre civile, ils ont ressenti l’urgence de relancer cette initiative mise sur pause depuis la révolution de 2011. « Avant la guerre, on était très impliqués dans de nombreux projets humanitaires. On a lancé les mariages collectifs en 2009 », explique Jihan Sejari.
Dans ce duo sunnite issu d’une famille aisée, Jihan Sejari veille sur les mariés quand Ayman orchestre la logistique de la cérémonie. « Avant la guerre, notre objectif était de soutenir les plus modestes. Maintenant, le but est surtout de promouvoir la paix civile », poursuit-elle.
Alors, pour s’assurer de la compatibilité des couples avec le projet, les organisateurs les ont triés sur le volet, en menant des entretiens. « La plupart des questions cherchaient à savoir si l’on était favorable au vivre-ensemble », explique Marina Hassan, 32 ans, une des mariées de confession alaouite.
Source : M Le Mag – (Le 26 juin 2025)
Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com